Imágenes de página
PDF
ePub

Pourtant, je ne voudrais pas que l'on se méprit au sens de ces lignes. Si j'insiste particulièrement sur le dernier acte, que couronne l'apothéose des muses, et qui est le point culminant de l'ouvrage, il reste vrai que les deux autres actes renferment d'indéniables beautés, dont le dénombrement excéderait les limites d'un article. L'entrée des femmes au premier acte est d'un charme adorable et il n'est pas possible de rester insensible à l'éloquence de certains silences magnifiés par la symphonie et à la caresse de telle phrase de Kréousa parlant de son enfant perdu. M. Servais a des inspirations d'une fraîcheur et d'une tendresse ineffables. Que de coins ravissants dans les rôles de Kréousa et d'Ion! Et quelles délices que cet hymne « Io Païan! » et ces danses au rythme langoureux !

L'Apollonide est plus qu'un noble effort, c'est une réalisation heureuse, d'autant plus digne d'inspirer le respect qu'elle a la double consécration de la persécution dont elle fut l'objet et du succès éclatant qui l'accueilllt en la cité grand-ducale de Carlsruhe.

M. Mottl, kapellmeister de conviction ardente, s'est dévoué à cet ouvrage de valeur peu ordinaire et,. avec les ressources en sa possession, a fait de son mieux. Son orchestre impeccable fut merveilleux. Mme Mailhac est une des grandes tragédiennes lyriques de ce temps qui font passer sur un auditoire le divin frisson et les artistes qui entouraient cette cantatrice unique se sont montrés à la hauteur de la tâche qui leur était confiée. On dit que le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles est décidé à monter l'Apollonide; tant mieux! Il y aura encore de belles soirées en ce théâtre qui a déjà rendu de si sérieux services à l'art musical et, si souvent, aussi, donné le bon exemple à nos scènes les plus subventionnées.

ANDRÉ CORNEAU

Les Livres

ÉTATS, SOCIÉTÉS, GOUVERNEMENTS

FRANÇOIS BOURNAN)) : Les Juifs et nos Contemporains (Pierret). Voici une série d'interviews, des lettres et des extraits de journaux, des bribes de conférences, des rognures de romans qui visent à nous faire connaître l'opinion de nos contemporains sur les juifs et l'antisémitisme. L'impression générale qui s'en dégage n'est point celle que l'éditeur a cherchée : l'avocat du diable l'emporte cette fois; il a plus d'esprit, plus d'érudition, plus de logique que son adversaire. A ne voir qu'un dialogue machiné dans ce livre de propagande, il se trouve que M. François Bournand n'a pu, malgré ses commentaires et de naïfs artifices typographiques, prêter aux nationalistes et antisémites d'autre raison généreuse qu'une apparente tendance au socialisme, tout au moins à « l'attaque des riches >>, mais l'esprit satanique de la révolution a vite fait de lever ce masque : le plus simplement du monde, les socialistes reprennent leur bien, le geai antisémite apparaît alors assez déplumé. Parle-t-on au contraire de race ou de religion, les juifs se trouvent aussitôt en assez bonne posture. S'en tient-on aux valeurs individuelles, un Spinoza ou un Henri Heine participent à la beauté de l'humanité. Et ne faut-il pas quelques hommes comme ceux-là pour la rédemption des masses? Après lecture des trois cents pages incohérentes de ce livre fidèle où s'affirme une fois de plus la belle âme de concierge dite moderne, il apparaît que la question juive est une question de goûts plutôt que d'idées; elle échappe à la discussion; maintes opinions contemporaines sont comme des champignons de terrain vague; c'est ce qu'on appelle la poussée antisémite. Il y a sans doute de bonnes plaisanteries sur les Auvergnats d'un report possible à la question juive et Forain ne manque pas de les faire, ce qui n'empêche Blaise Pascal d'avoir écrit les Provinciales. Autre chose est le provincialisme qui s'oppose au patriotisme républicain d'un Clemenceau. Celui-ci parle au nom de la France, mais les sectateurs de la France aux Français entendent bien qu'il ne faut pas confondre.

ARSÈNE DUMONT : Natalité et Démocratie (Schleicher).

L'auteur étudie en six conférences, professées à l'Ecole d'Anthropologie de Paris, le mouvement de la population française ; il tient état de notre production et soumet la race à des calculs fixes. Ses chiffres sont éloquents plus que ses raisons. Il nous rappelle avec un effroi patriotique assez prudhommesque que les femmes françaises sont moins fécondes que les wurtembergeoises et que, dans 51 de nos départements sur 87, les décès l'emportent annuellement sur les naissances, ce qui n'empêche pas la population d'augmenter.

Est-ce, comme il le pense, un indice de décadence réelle? On peut en douter après avoir constaté que les départements les plus pauvres sont ceux qui fournissent le plus à la cause du patriotisme numérique. Il reste encore que la France, peuplée avant 1789 de vingt-six millions d'habitants, en compte aujourd'hui trente-huit millions. Que veut-on de plus ?

J'aime mieux la critique des mœurs où glisse insensiblement notre démographe et ses notations sur le vif': lorsqu'il constate, par exemple, que les marins de Groix sont tous pêcheurs et qu'ils ont beaucoup d'enfants, tandis que ceux de Bréhat se destinent à la flotte de guerre pour devenir ensuite petits fonctionnaires, gardiens de phares, employés dans les ports, ce qui leur donne pour idéal l'existence décente, économe et rangée du retraité, d'où il résulte en fait une natalité très faible. Il y a là une observation bien spéciale et qui vaut mieux que toutes les considérations abstraites. Les professions de tout repos et la manière bourgeoise sont fortement malmenées par M. Arsène Dumont, et son livre intéressant conclut, à tout prendre, en un sens socialiste : « Quand notre pseudo-démocratie, qui nous mène au césarisme et à la dépopulation, sera devenue une démocratie véritable, la nation marchera, de front et en ordre, vers un maximum jusqu'à ce jour insoupçonné de valeur individuelle et sociale, de liberté et d'harmonie. »

Quand l'humanité sera « de front et en ordre », nous passerons la revue du bonheur ; et puis : « Rompez les rangs!» sera le cri nouveau.

MME ANNA LAMPÉRIÈRE : Le Role social de la Femme (Alcan). A la fougue de nos Bradamante Mme Lampérière oppose un sens rassis, doctrinal et se campe sur le terrain de la raison pratique. Le droit de conquête ne lui dit rien; pour elle la femme n'a que faire de libertés plus grandes, elle ne doit pas se lancer dans l'inconnu, mais prendre conscience des fonctions spéciales auxquelles elle est destinée et se consacrer à un rôle qui ne soit pas celui de l'homme.

Esprit positif et de demi-science, sans audaces, mais sentencieux, pour qui le problème moral s'affirme dans la tradition et l'usage, Mme Lampérière estime qu'une bonne division du travail conduirait l'homme à œuvrer, à acquérir, et la femme à administrer: les métiers aux hommes, l'organisation aux femmes, depuis le carnet de l'épicier jusqu'au grand livre de la dette publique. Partant de cette constatation que la femme peut être une ménagère, Mme Lampérière conclut, me semble-t-il, de l'économie domestique à l'économie politique; et, comme il n'y a pas de petite réforme au point de vue des mœurs, elle insinue ; « Bien des métiers sont réservés aux femmes qui devraient être tenus par des hommes; on n'oubliera pas qu'en Amérique des Chinois font le blanchissage. »>

Après cela, rien ne l'embarrasse. Ainsi, la question sociale, quoi de plus simple? « La question sociale est une question d'éducation; on l'a dit maintes fois et tout le démontre. Or, qui fait l'éducation des

ètres? qui peut faire l'éducation sociale? La femme seule, parce que c'est sa destination biologique. »

Inutile d'insister. La biologic n'empêchera pas le raisonnement de Mme Lampérière d'être trop simple et d'une logique trop complaisante. Cependant un grave journal du soir accueillit naguère les études que Mme Lampérière réunit aujourd'hui en volume et les opposa à ce qu'il lui convenait d'appeler « les erreurs de la campagne féministe ». Mme Lampérière parle de l'amour comme une sage-femme qui aurait lu le Dr Papillaud elle appelle ça la « loi de sélection »>, qu'elle définit : « La tendance qui porte un être en possession de toutes ses forces vers un être non seulement égal à lui, mais, s'il est possible, plus beau, plus fort que lui. »

Mme Lampérière excelle à dire de ces choses simples et fortes, comme on voit; elle n'y entend pas malice et se garde des idées subversives, par respect de la race et de la société, et parce que la loi de continuité veut... si bien qu'elle continue à dire des choses énormes avec ingénuité.

VICTOR BARRUCAND

ALBUMS

HECTOR GUIMARD: L'art dans l'habitation moderne, le Castel Beranger (Rouam).

Dans une paisible rue d'Auteuil, proche cette morgue où gisent honteusement entassés les statues et les tableaux des Collections Artistiques de la Ville de Paris, devant la façade d'une maison de construction récente, les passants béent, des groupes chevelus discutent, les cyclistes se relèvent, les automobiles s'arrêtent et, lorsque le régiment défile, le colonel massivement se retourne et se congestionne. Cette maison sensationnelle, c'est le Castel Béranger, construit (1894-1898) sur les plans et les dessins de M. Hector Guimard, professeur à l'Ecole des Arts décoratifs. A compulser l'album publié par cet architecte et reproduisant en 65 planches in-folio exécutées, d'après des clichés photographiques, en fac-simile d'aquarelles par un procédé personnel- tous les détails de la construction qu'il a édifiée et de la décoration dont il l'a ornée, on conçoit l'émoi qu'éprouve, devant les gaillardes arabesques et l'audacieuse polychrome de son œuvre, un public atrophié par le minable parallélisme, par les veules badigeons des coutumières architectures citadines.

[ocr errors]

Le Castel Beranger n'a de romantique que sa dénomination; c'est un très moderne immeuble de rapport à trois corps contenant une quarantaine d'appartements. Sa façade, au lieu d'être l'habituel rectangle, percé d'ouvertures symétriques, est multiple : la brique rouge ou émaillée, la pierre blanche, le grès flammé, la meulière s'y disposent en pans inégaux et en teintes variées sur lesquels grimpent, teintés d'un unique bleu-vert, le fer et la fonte des balcons, des bow-windows, des ancres de chainage, des tuyaux, des

chêneaux, et les boiseries, d'une teinte identique, mais à un ton plus clair. La porte d'entrée en cuivre rouge étincelle; le vestibule n'a rien du banal vomitoire acajou en faux-marbre : les grès flammés de Bigot, le cuivre, la tôle découpée, la mosaïque de grès cérame, la fibrocortchoïna le revêtent somptueusement; les escaliers n'ont pas la sournoise gravité de celui de Pot-Bouille : ils sont hardiment orangé, bleu ou vert, les murs recouverts de cordolova et d'étoffes aux arabesques dynamogéniques, les marches tendues de tapis aux entrelacs escaladeurs.

Chaque appartement a son caractère particulier : le bourgeois, le travailleur, l'artiste, le smart y peuvent trouver ce qui leur convient; l'amateur des jardins y peut satisfaire ses goûts grâce aux platesbandes du rez-de-chaussée ou des terrasses supérieures.

Jadis, on n'était guère nomade: on pouvait orner sa demeure d'objets d'art et de bibelots. Aujourd'hui, que l'on déménage volontiers, transporter ces accessoires, et même les meubles, devient une opération ardue. Un intérieur moderne doit donc présenter, par ses propres moyens, un maximum de confort et de décoration. Aussi bien, aù Castel Béranger, les cheminées, suffisamment parées de leur grès flammé, de leur cuivre rouge, de leur lave émaillée, ne réclament nul autre ornement. Les papiers de tenture sur lesquels virevolte la fantaisie ornementale de M. Guimard n'exigent — et ne supportent d'ailleurs l'appoint d'aucun cadre. Aux fenêtres, dont les obligatoires perpendiculaires sont heureusement rompues par l'arc harmonieux des vitraux, nul besoin de rideaux; aux huis décorés des bronzes et ferrures indispensables, nulle urgence de la complication des portières; les pièces s'ornent de crédences, de piédouches, de consoles, d'étagères remplaçant la plupart des meubles nécessaires; cependant pas de table aux salles à manger, pas de lit aux chambres à coucher. Sur de calmes plafonds, en tuiles de terre cuite encastrées dans de légères poutrelles en fer bien apparentes, débarrassés des vaines et molasses pâtisseries, l'œil se repose de ce décor mouvementé. Rien d'inutile, d'ailleurs, rien d'inexplicable dans cette décoration. Les motifs d'ornementation ne seront pas des objets quelconques de flore ou de faune, mais des lignes imposées par la destination, l'usage, la nécessité. Ex.: sur un tapis d'escalier, ah, pas de feuilles de marronnier ni de têtes de lion, mais des entrelacs vous incitant vers les étages supérieurs. Comme il sied, la ligne droite bannie ou dissimulée, la teinte plate évitée. — La beauté naturelle des matériaux respectéc : s'il faut, pour des raisons pratiques, les protéger de peinture, on les reconnaîtra facilement sous la teinte unique réservée à chacun d'eux, et à l'échelle de leurs tons respectifs.

Car l'architectonique de M. Guimard, sous une apparence fantaisiste, est de pure logique. Telle courbe d'aspect capricieux s'explique par des raisons d'hygiène, tel ornement de physionomie paradoxale est ordonné par l'isorrhopastique, tels matériaux hétéroclites par l'économique utilisation de ressources nouvelles.

« AnteriorContinuar »