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touchera les âmes sentimentales et satisfera les consciences délicates. L'amour y triomphe; la canaillerie et le mauvais style y sont punis de pair. Cette charmante fantaisie a ravi le public des Capucines qui n'a pas ménagé ses applaudissements à MM. Dayle, Spark et Lévesque, ainsi qu'à Mmes Barklay et Blanchet.

Il serait injuste de ne pas signaler, au Nouveau-Cirque, la pantomime nouvelle, la Cascade Merveilleuse, où, après des danses javanaises de haut goût, s'exécutent divers ébats nautiques du plus vif intérêt; des équilibristes, des sauteurs, des plongeurs, des chevaux et d'illustres pachydermes y prennent part. D'une roche artificielle cristallisée de petites femmes artificieuses jaillissent des flots vivaces d'eau miraculeuse où la lumière électrique dissout d'extraordinaires topazes, des améthystes puissantes et des rubis éclatants. Spectacle digne d'attirer les petits et les grands, ces derniers ayant encore la chance de pouvoir se ravir avant la pantomime aux merveilleux exercices de l'incomparable Thérèse Renz.

Le Roi de Rome de MM. Pouvillon et d'Artois a remporté au Nouveau-Théâtre un réel succès. Les auteurs ont habilement tiré parti de l'histoire un peu pâlotte et lointaine du malheureux duc de Reichstadt. Il semble bien vraisemblable que ce jeune homme a dû, à plusieurs reprises, tenter de s'évader de l'exil et, s'y étant vainement épuisé, souffrir toute sa courte vie de la nostalgie d'un trône. Quoi qu'il en soit, l'œuvre de MM. Pouvillon et d'Artois sait nous intéresser aux espoirs déçus et aux amours charmantes du fils de l'empereur. Rien dans ce drame n'est très original, rien non plus n'y est choquant, sinon peut-être ces trop fréquentes et faciles apostrophes aux gloires militaires, à la Grande Armée, à la Légion d'honneur et autres thèmes à développement fixe.

On peut regretter aussi que les auteurs aient cru nécessaire d'alourdir leur œuvre d'un prologue qui est décousu, d'intérêt mince, et même assez maladroit. Mais il y a, au premier, au second et au dernier actes, des scènes heureuses et fortes qui ont été chaleureusement accueillies.

De Max est très remarquable dans le rôle bien venu du duc de Reichstadt. Bour, vieux grognard, vieux roublard, trace avec beaucoup de vérité et de finesse la silhouette de J. Chambert. Mlle Maud Amy est fort agréable dans le rôle un peu effacé d'Olga de Melk. Enfin Mlle Demongey a de la bonne humeur et de la bonne grâce dans le rôle épisodique d'une jolie fille de Vienne.

M. N.

Musique

DANS LES GRANDS CONCERTS

Secouant leur torpeur coutumière, voilà que les Concerts se mettent à exécuter des compositions de jeunes musiciens. M. Lamoureux s'évade du cercle des enchantements wagnériens; M. Colonne se décide à inscrire des noms inconnus sur ses programmes. C'est à n'y pas croire et pourtant il en est ainsi. Après avoir longtemps fait la sourde oreille aux réclamations de la critique indépendante, laquelle demandait avec instance que l'on jouât, enfin, autre chose que des œuvres archi-connues et unanimement consacrées, les deux chefs d'orchestre ont compris que l'Etat n'accordait pas une subvention annuelle aux Concerts qu'ils dirigent pour aider à l'éclosion des génics de Beethoven et de Wagner et qu'ils avaient à accomplir une besogne d'art plus immédiate et plus intéressante au point de vue français. Certes, les grands maîtres ne doivent point être traités en quantités négligeables; ils ont droit à tous les égards imaginables; il est bon, il est indispensable que leurs chefs-d'œuvre soient exécutés souvent; mais, à côté des morts illustres, il y a les vivants. Et ces derniers méritent bien une attention particulière. Si les Concerts n'accueillent pas leurs premiers essais où se feront-ils connaître? Ce n'est pas au Théâtre-Lyrique, puisque Paris est privé de cette scène d'utilité publique. Ce n'est pas à l'Opéra et à l'Opéra-Comique, scènes fort encombrées, où les compositeurs ne peuvent espérer d'être joués que lorsqu'ils ont déjà fait leurs preuves autre part. Les Concerts sont donc la ressource suprême des jeunes. S'ils manquaient à leur haute mission, s'ils se dérobaient à la responsabilité qui leur incombe, les jeunes n'auraient plus qu'à brûler leurs manuscrits et à gémir sur la situation lamentable qui est faite, en nos temps de fraternité, aux producteurs assez ingénus pour avoir pu croire que le travail exigé par le Conservatoire une fois terminé, les examens passés brillamment, le prix de Rome obtenu après mille efforts, obligeaient l'Etat à ne pas les abandonner au début de la carrière, c'est-à-dire au moment où l'on a le plus besoin d'appui. Mais je laisse ce genre de réflexions qui me mènerait trop loin, et je constate avec plaisir que MM. Lamoureux et Colonne viennent d'ouvrir les portes de leurs Concerts à plusieurs inconnus. Et, comme un bienfait n'est jamais perdu, la récompense ne s'est pas fait attendre.

Chez M. Colonne, la Procession nocturne, de M. Henri Rabaud, a réussi à merveille. En cette composition remarquable de tout point, une personnalité artistique s'affirme. D'inspiration distinguée, d'exé. cution claire et savoureuse, cette page a noble allure. Il y a beaucoup

de musique dans Procession nocturne, et il y a gros à parier que M. Henri Rabaud fera parler de lui quelque jour. M. G. Sarreau, dans un Episode symphonique pour piano et orchestre, prouve qu'il n'est pas indifférent.

Chez M. Lamoureux, la Naissance de Vénus, de M. Alexandre Georges, n'est pas indigne de l'auteur des pittoresques Chansons de Miarka. Le début, plein de rumeurs troublées et d'imprécision bruissante, est d'une curieuse impression. La phrase qui annonce et célèbre la déesse est banale; mais la fin du poème symphonique, fortement inspirée de la scène du Venusberg, ne manque pas d'ampleur et de joie copieuse. La Chaîne d'Amour, de M. Jules Bouval, ne pêche pas précisément par l'originalité; très honorable réalisation. Enfin, la musique écrite par M. Omer Letorey sur un passage du Brand d'Ibsen est loin d'être du premier venu. Le choral a du caractère et est savamment développé. Interrompu par un allegro tumultueux et par une fugue joliment conduite, il reparaît pour fournir à cette page d'un intérêt musical réel sa conclusion logique.

Je signale les grands succès remportés par Mme Jeanne Raunay dans des airs de Beethoven, Gluck, Wagner et Duparc. Et je m'en voudrais de ne pas mentionner l'accueil chaleureux fait, au Conservatoire, à des fragments du Miracle des Perles de M. Henri Busser et à Quatre Motets de ce musicien très en progrès.

ANDRÉ CORNEAU

UN NOUVEAU TOPIQUE FLAMAND: PRINCESSE D'AUBERGE

En attendant que M. Alcan songe à réclamer d'un de nous une << Psychologie du peuple flamand » à l'effet de compliquer un peu la conversation, il convient qu'on signale un cliché dont l'ossature prend déjà chair. Dès maintenant, les épithètes interchangeables adhérentes au vocable « Flandre » peuvent être relayées par une circonlocution que le fin public déjà hospitalise.

Le nouveau rite du tempérament flamand, c'est, voilà, un opéra : « Herbergprinses », Princesse d'Auberge, livret de M. Nestor de Tière, partition de M. Jan Blockx. Le Théâtre Lyrique Flamand d'Anvers, le monta en 1896; c'est néanmoins la Monnaie de Bruxelles qui lui réserve aujourd'hui son entrée dans le monde. M. Blockx profite des présentations pour colporter son œuvre sur les rapides de Groningue à Carcassonne, ou, plus exactement, à La Haye, à Verviers, Liège, Lille, Angers, Rouen, dans six cents endroits, parmi lesquels, sans doute, l'éditeur Heugel fait dans les feuilles publiques comprendre Paris, encore que M. Carré, de votre Opéra-Comique, descendu un de ces soirs à Bruxelles, à l'effet de réengager Mlle Wyns, ne dise pas précisément oui.

Verbo << Flandre» un encyclopédiste moyen tenait compte à ce jour En art des kermesses flamandes de Breughel le Drôle (truands et pataudes se serrent des cuisses, se soutiennent au moment du hoquet, marmaillons de

six mois refusent le sein pour enfoncer leur frimousse dans le broc à cervoise), de celles de Rubens (Louvre) et de Teniers (les seigneurs de village paient grassement ménétrier et aubergiste; le soir tombant on va se faire des enfants derrière les futailles vides et dans les fossés, et tant mieux pour le domaine et les fermages...), des intérieurs de cabaret de Van Ostade et de Van Cracsbeeck, de toutes les productions d'ailleurs de la famense école anversoise (religieuses ou profanes, c'est tout un : Maric, Suzanne ou Danaë, ce sont les gouges « ru̟béniennes »>!), puis, en ces temps-ci, des sculptures de Jef Lambeaux (la Folle Chanson, l'Ivresse, les Passions humaines);

En littérature: du théâtre de Willem Ogier, des Flamandes de Verhaeren,etc.; En archéologie: des brocs, pintes, cruches en grès, étain ou cuivre, des réchauds à pipes, des plats à barbe, des bonnets de laitière;

En gastronomie : des bières à particule de bourgs et bourgades : Diest, Louvain, Hougaerde, Werchter, Bornhem, et ces « faro de Bruxelles », ces « diable », ces « jack-op », ces « gucuze-lambic »; bouteilles pansues et poussiéreuses, couchées dans les petits chariots de table: genièvre de Hasselt vieux système, boonekamp et bitters; poulardes de Bruxelles, choux de Bruxelles, asperges de Malines, tripes, «choesels » des antiques gargottes, « bloedpans » des ducasses ~ on a saigné le pore! —, chapel de saucisses dorées de Diest, pains de saucisse du Lundi-Perdu à Anvers, pain cramique, jusqu'à mème les pâtisseries que sait faire liturgiquement M. Eugène Demolder;

Et pour parler des endroits de plaisir et des fastes: Rietdijk aux fanaux rouges, d'Anvers, magnifié par Lemonnier et Eekhoud; bouges à matelots où Mirbeau seul vit danser des Javanaises; caboulots plus familiaux à l'entour de la grand'place de Bruxelles, où tel brave archiviste du Vatican, venu en Belgique compulser des cartulaires, trouvait si plein délassement après des journées derrière ses bésicles; « Aangenamen Hof » du Vieil-Anvers de l'Exposition, où les commis maritimes pouvaient pincer les bonnes le dimanche; francs lurons au cabaret du « Diable-au-Corps »; pochardises en famille au Bruxelles-Kermesse de la récente Exposition.

Voilà, voilà, et c'est vive Flandre!

<< Princesse d'Auberge » est le dernier-nouveau véhicule de cette constante traditiou, et l'on augure dans les journaux que le tempérament national acquiert une exultante réviviscence.

Ce que c'est (1): Un musicien séduit non seulement par les yeux de l'accorte tenancière, mais aussi par la pinte qu'elle lui offre, oublie mère et fiancée, carillon et clavecin, pour être le Prince Carnaval aux côtés de la Princesse d'Auberge, lui dédier des ariettes bachiques et érotiques et ne plus désoùler. L'action fondamentale n'importe : c'est Carmen dans les bas-fonds de Bruxelles au XVIIIe siècle, avec du tragique à pouffer et une morale à laquelle on refuse l'attention.

Mais tout est prétexte à la circulation de paysans, de laitières et de charrettes à chiens, à des lutineries de scrveuses déliées, à un plantureux étalage de pochards exemplaires, à des bals de guinguette, chopes brisées, couteaux tirés, à un somptueux débraillement de la foule-gosses, garces, pitres, arlequins, maîtres-chanteurs, soldats et magistrats — en un mardi-gras énorme sur la grand place de la capitale. Et le carillon tintinnabule, jovial et sans reproche.

(1) Sur Princesse d'Auberge, on peut lire : CHRONIQUE DE BRUXELLES, par Georges Eekhoud (Mercure de France, janv. 1899). PRINCESSE D'AUBERGE, par Octave Maus (Art Moderne, 18 déc. 1899). MLLE WYNS DANS PRINCESSE D'AUBERGE, par Auguste Joly (La Libre Critique, 25 déc. 1898). PRINCESSE D'AU berge et MllE WYNS, par Ernest Deltenre (La Lulte, 15 janv. 1899).

Cette œuvre est destinée à être congrûment immonde : c'est ainsi qu'on la voit en province, mais, à la Monnaie, Mlle Wyns - et je le regrette, parce que toute chose doit tendre à ses fins n'a ni su, ni voulu être la « crapule » d'élection et a pris sur elle de sauver cet opéra de l'ignominie.

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Je l'avais pourtant avec une perfide serviabilité conduite devant une toile de Jordaens au Musée d'Anvers, d'où pouvait résulter le parfait enseignement : Devant une table chargée de fruits et de viandes, l'aïeule, la mère et l'enfant, parmi des musiciens familiers, entonnent la grasse chanson de la tradition du manger et du boire en Flandre. La gorge plantureuse de la mère parmi les brocarts éclatants, la bouche humide du gosse, discnt que cet enfant a sucé avec le lait capiteux le refrain. Et les enfants accueilleront, maintiendront et perpétueront le rit de goinfrer et de copuler. L'épigraphe du tableau élabore la doctrine: Comme chantent les vieux, ainsi sifflent les jeunes.

Depuis deux siècles cette toile prestigieuse enseigne délibérément le pire système de vie à notre peuple. Nous reconnaissons que M. Blockx a bien appris à cette école et siffle avec virtuosité « comme chantaient les vieux ». Mais elle est bien audacieuse, Mlle Wyns, qui refuse de subir cette tradition consacrée par les lieux communs et ne voilà-t-il pas qu'en son rôle de « fille » elle tente crânement ce miracle de réhabiliter la spiritualité candide, l'intime bonté, qui seraient donc — aussi? de Flandre.

Et en effet, ayant accordé une sérieuse attention au dénombrement des accessoires catalogués ci-dessus et non moins pleinement saisi l'intention du Jordaens commenté, elle répudie la version la plus facile pour en introduire une nouvelle. Ce sont là, pensa-t-elle, apparences superficielles de l'âme flamande et la débauche même n'y a pas cet apparat de carnassier. Faisons fi d'une couleur locale vernissée pour les touristes et les chroniqueurs cosmopolites, et mieux valoir l'essence plus douce, plus aimante, un peu espiègle, néanmoins duvetée, de la race. » Rita — c'est le nom de la Princesse d'Auberge serait dès lors, comme le découvrit aussitôt M. Joly en une clairvoyante exégèsc, l'âme de la foule flamande (au sens des héroïnes de P. Adam). Rita, fleur poussée au balcon d'un mauvais lieu, mais dans une rue où veillent les lampes saintes, atténue le mot terrible d'une épithète : bonne fille cst-clle et, parfois, petite fille! La bonhomie nationale l'absout déjà... » Mais Mlle Wyns a peut-être tort et risque beaucoup, en jouant si intelligemment.

Que Charlotte Wyns, que Georgette Leblanc, qu'Emma Calvé prétextent Carmen pour se révéler toutes les trois elles-mêmes, c'est tant mieux; des rôles universalisés, Hamlet, Carmen, Mignon, Faust, tolèrent, réclament peut-être aujourd'hui, l'appropriation individuelle. Mais la Princesse d'Auberge, qui devient, hélas! un type, était hier encore un nom propre. Il fallait d'abord le révéler classiquement, c'est-à-dire carrément et sans nuances; il fallait jouer faux,

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