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sont personnelles nous ne pouvons pas laisser dire que nous avons en vue le dénigrement de l'armée tout entière, et j'apporte ici notre protestation. »

M. Viviani continue :

« Lorsqu'en février dernier, je montais à cette tribune pour interpeller M. Méline sur l'attitude de M. de Boisdeffre devant le jury de la Seine, je disais qu'il n'y avait pas un parti en France qui pût ne pas s'incliner devant l'armée nationale. Je le dis encore. » (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Et encore:

« L'armée, n'est-ce pas la nation? Est-ce que, vous comme nous, nous n'y avons pas notre place? » (Applaudissements â gauche.)

Ils avaient prêché aux électeurs que tout ce qui est bourgeois est dès à présent, mauvais sans remède et sans espoir: idée simple, commode, fausse; et ces mêines candidats, devenus députés, se sont mis malgré eux à faire ces fonctions. bourgeoises qu'ils avaient supprimées en pensée; ils se sont mis, comme les députés bourgeois, à faire leur service militaire.

Car c'est bien son service militaire que la Chambre continue à faire; dès qu'on parle de l'armée à la tribune, les députés remplacent le travail critique par l'obéissance passive.

Il ne fallait pas protester en bloc contre toutes les paroles de M. Méline, contre toutes ses accusations; il fallait distinguer; il fallait accepter hautement l'expression « toute l'armée »; il fallait rejeter hautement le mot « perfide »; il fallait accepter sincèrement le mot «< systématique ». Ce que M. Méline et les réactionnaires ses complices ne se représentent sans doute même pas, c'est qu'on puisse attaquer une institution fermement sans haine; il faudra cependant qu'il s'y résigne et qu'il se le représente, car ce sera notre nouveauté : nous ferons sans relâche la guerre à la guerre; mais à la guerre, qui est haineuse, nous ne ferons pas une guerre haineuse, car alors nous nc serions pas plus avancés qu'avant. Sans haine, sans rien qui ressemble aux sentiments de M. Méline et de ses réactionnaires, nous attaquons l'institution de toutes les armées, de toute l'armée, en ce qu'elle est, précisément, un instrument de haine internationale, en ce qu'elle devient une école de haine civile.

CHARLES PÉGUY

LES FAUTES INDIVIDUELLES

« Les fautes individuelles n'atteignent pas les institutions. » Voilà encore une formule sonore, chère aux « amis des militaires >>.

Or, c'est là encore une équivoque en effet, s'il est vrai que certaines fautes individuelles n'atteignent pas l'institution à laquelle appartient le coupable, il est d'autres fautes individuelles qui atteignent rigoureusement cette institution. Précisons.

1° D'une part, il y a des fautes individuelles, inspirées par des passions étroitement propres à l'auteur de ces fautes; des fautes déter

minées par une conformation morale purement personnelle, laquelle n'est attribuable en aucune façon à l'influence de la profession exercée par le coupable. Il est clair que ces fautes-là n'atteignent pas l'insțitution: le crime de Fenayrou n'a jamais déshonoré la pharmacie, et personne n'a songé, lors du procès Bazaine ou Anastay, à prétendre que le régiment fût une école de trahison ou d'assassinat.

2o D'autre part, il y a des fautes individuelles auxquelles président des tendances, des sentiments, des croyances, en un mot un certain état psychologique explicable par le jeu naturel de la fonction sociale du coupable, par des habitudes de sentir et de penser nécessairement spécifiques de toute une corporation. Ces fautes-là atteignent l'institution. Ce sont des crimes symboliques, dans lesquels la responsabilité du coupable s'efface pour faire place au principe moteur, moral ou politique, lequel comparaît devant la raison humaine : c'est ainsi que les crimes, pourtant individuels, de Louis XIV et de ses successeurs ont amené la France à faire justice du système monarchique, et que, à l'occasion de l'affaire de Panama, certains penseurs ont cru pouvoir, derrière la surface de quelques députés, atteindre l'essence du régime parlementaire.

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Notons, en passant, qu'en fait les fautes sont toujours individuelles, c'est-à-dire commises par des individus : et que, les modes d'éducation, les principes, les lois n'ayant pas encore trouvé moyen de révéler leurs défectuosités autrement que par des actes individuels si l'humanité s'astreignait à accuser strictement les individus et ne mettait jamais en cause les principes, elle s'interdirait du même coup toute abrogation de loi, toute réforme, toute révolution, tout progrès.

Cette distinction une fois reconnue entre ces deux catégories de << fautes individuelles », je demande aux membres de la «< Patrie française » dans quelle catégorie ils placeront les fautes actuellement reprochées aux militaires? Je demande si la soustraction de pièces à la défense, violation du droit commise par souci de l'intérêt national; si le faux Henry, exécuté dans une intention toute patriotique; si la conduite de M. du Paty de Clam, inspirée par l'esprit de discipline; si la partialité des enquêtes relatives au procès Esterhazy, dictée par une confiance inébranlable dans le bien jugé d'un arrêt supérieur; si en un mot tous ces actes commis par une application rigoureuse et intransigeante de vertus militaires ne nous mettent pas en présence de fautes singulièrement symboliques, et si dès lors le logicien n'est pas fondé à poursuivre, bien au delà des minces contingences individuelles, le véritable auteur, seul responsable, l'esprit militaire?

Surtout qu'on n'aille pas déplacer la question : nous ne demandons pas si, en localisant la cause première dans la nature de l'esprit militaire, nous commettons une bonne ou une mauvaise action; mais simplement si nous raisonnons juste ou faux.

JULIEN BENDA

Notules de Théâtre

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Nouveautés. La Dame de chez Maxim, vaudeville en trois actes de M. G. FEYDEAU. Gymnase. Trois Femmes pour un Mari, vaudeville en trois actes de M. GRENET-DANCOURT. Ambigu. La Mioche, drame en cinq actes et neuf tableaux de M. JULES MARY. Theatre des Capucines. Le Coup de Cyrano, comédie en deux actes de M. TRISTAN BERNARD. Nouveau-Cirque. La Cascade merveilleuse. Nouveau-Théâtre. Le

Roi de Rome, pièce en cinq actes de MM. EMILE POUVILLON et ARMAND D'ARTOIS.

Jusqu'à ce jour M. G. Feydeau n'était que le meilleur de nos vaudevillistes. Champignol malgré lui, l'Hôtel du Libre-Echange, le Dindon, le Fil à la Patte lui assuraient déjà parmi nos Bissons et nos Valabrègues une place de choix, probablement la première. Mais il n'était que plus habile ou plus heureux que ces messieurs; il n'y avait pas, entre leurs ouvrages et les siens, une différence, si j'ose ainsi parler, qualitative.

Aujourd'hui, il n'en va plus de même, et M. Feydeau, depuis qu'il nous a donné cette triomphante Dame de chez Maxim dont le succès, après avoir secoué le vieux Paris et l'antique Europe, galvanisera les deux Amériques et la Polynésie, apparaît comme un être privilégié, pourvu de dons personnels et incomparables. Il a le génie de la fantaisie bouffonne; il s'atteste un créateur d'un ordre supérieur, capable de concevoir un monde différent de celui où nous vivons et caractérisé par ce fait que tous les événements s'y impliquent dans l'absurde et s'y nécessitent dans l'improbable.

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Il y a vraiment là une faculté quasi géniale d'organiser l'invraisemblable et de coordonner le contradictoire. A cc degré, le quiproquo, le coq-à-l'âne, la cocasscrie, le burlesque prennent une beauté pour ainsi dire abstraite et rationnelle. C'est de la haute mathématique et je ne m'étonnerais nullement que certains des spectateurs de M. Feydeau éprouvent à le suivre le même plaisir que leur peuvent procurer un livre de géométrie, telle partie de l'Ethique ou encore le Joueur d'Echecs de Maëlzel. Ces œuvres valent par la force vive de logique qui les édific; elles se développent d'elles-mêmes selon les lois nécessaires de la raison en fonction de certains principes ou postulats initiaux. Il en va de même ici. Etant donné que... et ceci que... et ceci... il en résulte que... et les conséquences diverses (presque toutes les possibles) sont extraites des prémisses posées, avec une cohérence, une conscience, une puissance de déduction tranquille qui forcent l'admiration. Le point de départ peut être arbitraire; il n'importe. L'auteur a tous les crédits et peut prendre toutes libertés; nous sommes ses complices les plus sûrs, puisqu'en somme

il ne désire que notre divertissement. Mais l'exposition faite, c'est-àdire tous les éléments de sa démonstration analytiquement exposés, nous entendons qu'il n'en déduise rien qui n'y trouve sa justification, qui n'y soit implicitement contenu, qui n'en dérive synthétiquement; et les faits les plus drôlatiques, les événements les plus surprenants, les rencontres les plus bouffonnes, les surprises les plus hilarantes, les malentendus les plus opaques et les plus denses méprises doivent encore être des résultats nécessaires, prévisibles, non prévus cependant (d'où la joie!), des conséquences mathématiques, des produits pour ainsi dire de toutes les forces comiques mises en œuvre pour notre amusement. A ce jeu, où l'ordonnance la plus sage règle la folie la plus épileptique, M. Feydeau excelle et il y a un Laplace caché dans cet éminent vaudevilliste. Un poète aussi, car tous les dons du créateur sont évidents en l'homme qui peut provoquer tant de joie à simplement faire s'entrecroiser diverses séries d'incidents empruntés à la réalité la plus immédiate, la plus prochaine. Les rencontres de ces séries, leurs points d'intersection constituent précisément les coïncidences, les improbabilités cependant réelles qui dans la vie nous secouent d'un brusque éclat de rire et qu'ici l'art de l'auteur multiplie savamment.

Je m'excuse de ces réflexions un peu abstraites à l'occasion d'une pièce si joyeuse qui fera tressauter la fressure de tous les peuples du monde; elles attestent au moins la qualité du plaisir que j'ai pris à ce spectacle, que je recommande spécialement aux si décriés intellectuels.

Des réserves, on en peut faire. Il y a des lenteurs dans le début et des longueurs dans le second acte, quelques invraisemblances, tout de même, malgré tout (il faut bien, dans le nombre!), trop d'épisodes; mais il n'y a là qu'un peu de surabondance et nous serions mal venus à insister, puisque tout l'essentiel y est..

La pièce est jouée dans un bon mouvement, mais sans éclat et sans originalité. (J'excepte Tarride, de tout premier ordre dans un rôle de général parfaitement idiot, courtois, jovial, aristocrate et bon enfant.) Germain, ahuri dès le début, n'est qu'ahuri, et cela sans variété. Colombey, d'un comique tendu et laborieux, n'a pas retrouvé son succès du Sursis. Torin, Mangin, Landrin, trinité en in, s'acquittent honorablement de la tâche qui leur est confiée. Quant à Mlle Cassive, vraiment aussi môme Crevette que possible (Eh! allez donc, c'est pas mon père!), elle se répète à satiété au cours de ces trois actes et finit par rendre monotones ses meilleurs effets. Toutefois, il serait injuste de ne pas proclamer qu'elle a remporté dans ce rôle le plus grand succès de sa noble carrière artistique. Les Nouveautés aussi, d'ailleurs, le plus grand succès de leur non moins noble carrière... Nous ne reverrons plus, mes frères, de répétition générale aux Nouveautés, c'est fini! Sur les débris de cette planète fracassée par une comète maladroite, des comédiens très différents évidemment des bipèdes que nous sommes et fort perfectionnés

mâchonneront encore, ràleront, baveront des lambeaux de phrases de cette increvable, mais crevante Dame de chez Maxim.

Au Gymnase, très bonne et qui sera fructueuse reprise de Trois Femmes pour un Mari du sympathique Grenet-Dancourt. Gloires lui soient rendues! Il fut un des initiateurs du genre où triomphe Feydeau. Mais il manque de cette fantaisie endiablée, de cette audace extraordinaire que nous exaltions tout à l'heure. Le quiproquo est bien conduit, mais trop sagement, et les surprises sont rares. Nous avons toutefois revu avec plaisir les excellents Carindol, les oncles Dubochard et Dardenbois et le couple Boxoon (ces noms sont à faire frémir!).

Au contraire des Nouveautés, les interprètes sout individuellement plus satisfaisants que d'ensemble. La pièce n'est pas assez lestement menée, assez enlevée. A citer avec grands éloges Boisselot et Numès. Mlles Carlix et Dallet sont charmantes et fines; on ne peut leur reprocher que de paraître trop peu. Mlle Thomassin est une comédienne expérimentée et fort avenante qui paraît destinée à de proches succès (elle fut exquise dans l'Amorceur). Quant à Mme Grassot, il faut s'incliner devant elle; elle est la seule duègne à Paris dont les contorsions, les grimaces et les mines soient divertissantes.

A l'Ambigu, la Mioche. Ce mélodrame ne paraît pas destiné à tenir longtemps l'affiche. Il est trop ambitieux et aborde témérairement un sujet aussi périlleux que celui du Supplice d'une Femme. Toutes les corseries qui le corsent ne semblent pas d'un pittoresque assez saisissant pour incliner à l'indulgence un public indisposé par tout un acte des plus pénibles entre Michel Nicolaï, Frédéric et Maric-Rosc. Une telle situation exigeait un maître qui ne fût pas qu'un maître charpentier.M. Jules Mary a trop présumé de ses forces; il réparera dans quelque six mois avec un bon mélodrame plus modeste et plus apte à faire se moucher les foules.

M. Léon Noël est un bon gros père de bandit à embrasser sur les deux joues. MM. Ravet et Lefrançais ont de la tenue et M. Renot est un gendarme qui ne rit pas dans la gendarmerie. Mlle Cogé ne manque pas de force tragique, mais elle est parfois un peu sèche, et Mlle Andrée Méry, qui a de la grâce et du charme, est un peu pâle, grêle et fluette.

C'est bien simple. Dans la délicieuse comédie de Tristan Bernard, le Coup de Cyrano, aux Capucines, Cyrano mange le morceau. Il débine à Roxane le truc des lettres maquillées et essaie de la soulever au pauvre benêt de Christian, en réclamant le bénéfice de toute så littérature. Mais Roxane se fiche des métaphores comme de sa soixante-neuvième chemise; elle aime Christian pour son physique et non pour sa métaphysique; ses lettres la rasent et elle est ravie d'apprendre que son gigolo n'en est pas responsable. Dénouement qui

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