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Sécession ne s'étend pas seulement à la conduite des troupes ; nous n'avons pas encore parlé du service sanitaire : ici, les Américains ont obtenu des résultats admirables et presque inimitables. Toute l'organisation de notre service de santé, les détails d'installation des baraques, des transports, des hôpitaux, tels qu'ils existent encore aujourd'hui dans les armées européennes, sont l'imitation imparfaite du modèle americain.

<«< Tous les témoins neutres ont représenté la discipline comme excellente pendant les dernières années... » Il faut remarquer à ce propos que les longues campagnes aboutissent généralement au résultat contraire; Napoléon en a su quelque chose, et l'armée allemande aussi connut un certain relâchement à la fin de la guerre de 1870-71.

Tout comme le major Scheibert, l'officieux Militaer-Wochenblatt disait, dans son numéro du 17 novembre 1875 :

<< Il est remarquable que, dans cette longue guerre, il ne se soit produit aucun complot, aucune mutinerie, et qu'on y ait constaté relativement peu de cas d'indiscipline. Tout général ou colonel capable sut rapidement obtenir l'obéissance passive: et, quand la paix fut faite, 800000 hommes retournèrent à leurs occupations sans un mot de récrimination, sans récompenses, et sans indemnités. »

Il faut citer encore ces jugements du major Scheibert, que corroborera tout officier au courant de l'histoire des campagnes : « Le général Lee fut le créateur d'une nouvelle tactique d'infanterie, qu'il sut manier brillamment... Le général Lee, un des premiers hommes de guerre de ce siècle. » Il est vrai que Lee, comme son illustre adversaire Sherman, était un officier de profession. Mais on reconnaîtra, je suppose, qu'au point de vue de l'expérience du commandement, on ne saurait assimiler aux officiers des armées européennes les officiers d'une armée de 16000 hommes, éparpillée dans de petits postes sur un territoire dix-sept fois plus grand que la France, et occupée uniquement à surveiller les tribus indiennes. On peut bien dire que, quand ils eurent à faire la grande guerre avec des armées de plusieurs centaines de milliers d'hommes, et qu'ils réalisèrent pour la première fois, et d'une façon magistrale, l'application militaire de toutes les conquêtes de l'industrie moderne, ils étaient, dans toute la force du terme, des chefs improvisés ; c'étaient, en quelque sorte, des lieutenants de gendarmerie qu'on aurait bombardés maréchaux de France.

Mais tel est le parti pris de ne pas voir ce qui heurte les intérêts et les préjugés, que le général Boguslawski, dans sa réponse à M. Bebel, n'a pas craint d'imprimer, et même de souligner, cette énormité : « La guerre de Sécession constitue le meilleur témoignage contre les armées improvisées, car elle dura quatre ans, tandis que l'armée allemande ne mit que sept mois à vaincre la France. » M. Bleibtreu se contente d'inviter le général à prendre un compas, pour mesurer les deux théâtres d'opérations. Mais les espaces à franchir n'étaient pas

seulement énormes; la densité de la population, le développement des voies de communication étaient incomparablement moindres que dans la campagne de France; et l'on ne saurait trop admirer l'endurance que montrèrent, dans les marches, les troupes américaines, aussi bien l'infanterie que la cavalerie, dont on est si bien habitué à citer comme modèles les chevauchées, que, dans toutes les armées, on a adopté leur mot raid, pour désigner certaines opérations de la cavalerie indépendante.

Au reste, je ne saurais mieux faire que de reproduire ici une page du colonel Rüstow, une autorité indiscutée en art militaire (1) :

<< En Europe, dit le savant historien et stratégiste, la guerre civile américaine a souvent servi d'argument contre la valeur du système des milices. L'homme sensé ne saurait comprendre ce que la guerre d'Amérique a de commun avec le système des milices, car les EtatsUnis possédaient une armée permanente, formée d'après l'ancienne mode anglaise, bien qu'on ait souvent écrit et prononcé le mot de miliciens. Pendant cette grande guerre civile, les deux partis n'eurent que des troupes improvisées, sans aucun système établi, qui n'étaient, à vrai dire, que des bandes de volontaires et des levées, sans aucun ordre au début. J'ai déjà dit à plusieurs reprises qu'il n'existe pas encore, dans le monde entier, un système rationnel de milices (2).

<< Si l'on vient à se demander si la guerre aurait suivi une marche différente, ou si elle eût été plus tôt terminée, dans le cas où l'Union aurait eu une armée de cadres, sur le modèle européen, on peut se répondre que non. Dans les conditions où se trouvaient les EtatsUnis quand la guerre éclata, la grosse armée de cadres se serait fractionnée en deux, aussi bien que la petite armée permanente; les meilleurs officiers et, avec eux, la plupart des troupes de l'armée de cadres auraient encore appartenu au Sud et se seraient rangés de son côté. Le Sud aurait eu ainsi, dès le début, plus d'avantages qu'il n'en eut réellement en 1861, mais ces avantages n'auraient, du reste, rien changé aux conditions générales résultant de l'immense étendue du théâtre de la guerre, de l'industrie plus développée du Nord, et de l'idée de liberté dont le Nord était le représentant. Tout au plus pourrait-on arriver à la conclusion suivante: Si l'Union avait eu une grande armée de cadres en 1860, la guerre civile aurait duré beaucoup plus longtemps. »

Quoi qu'il en soit, ces armées improvisées, si inférieures à ce que donnerait une organisation rationnelle de milices, justifièrent pleinement cette appréciation de M. Bleibtreu :

<< Certes, ce serait de la partialité que de faire du talent l'apanage

(1) Stratégie. Histoire militaire (Traduction du général Savin de Larclause). Paris, Baudoin, 1881.

(2) Il est très important de remarquer à ce propos que les « réflexions sur la guerre de Sécession » datent de l'édition de 1866 du livre de Rustow. Or, la première organisation sérieuse et encore bien imparfaite de la milice

suisse date de 1874.

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du peuple et des révolutions. Le talent n'a pas d'arbre généalogi. que, ni d'un côté ni de l'autre. Il est aussi puéril de contester a priori la capacité d'un prince ou d'un aristocrate, que de tenir tout prêtre pour un hypocrite. Beaucoup de membres de familles régnantes ont montré de grands talents dans le domaine purement militaire, pour ne point parler de Frédéric le Grand : d'une manière générale, ce dernier appartenait à la famille des génies, dont on trouve rarement des représentants sur le trône. Mais la grande majorité de ceux qui se montrèrent tout à fait grands à la guerre - Cromwell et Napoléon, Carnot et Gambetta, Blake, Scharnhorst, Gneisenau, presque tous les généraux de la Révolution et de Napoléon- provenaient de la bourgeoisie ou des couches dites «< inférieures » de la société. Aucune armée permanente car même Scharnhorst et Gneisenau ne se sont élevés que grâce à l'abaissement des hobereaux n'aurait fourni ces modèles à nos hommes de guerre : bien mieux, sans les révolutions française et anglaise, il n'y aurait ni théorie ni science de la guerre, puisqu'on n'aurait pas les exemples des campagnes de Cromwell et de Napoléon. Ainsi, la coterie des militaires professionnels doit tout aux armées improvisées; elle doit la tactique à celle de la France, la technique à celle des Etats-Unis, la stratégie aux généraux des révolutions française et anglaise. >>

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GASTON MOCH

Les Pauliciennes

Après s'être échappé d'entre les Bulgares qui le gardaient en otage, après avoir été trouvé, nu matin, tout transi et loqueteux sur les marches d'une église de Byzance par un moine qui le fit accueillir par Damélis, riche matrone et veuve, de Patras, où, plusieurs années, il vécut, comme un amant choyé, Basile le Macédonien revint chercher fortune avec sa très jeune parente, Sophia, dans la ville de Constantin. Ils élurent domicile chez une marchande de dés, jetons et cassettes, en une ruc proche de l'Hippodrome. Cette pieuse dame fut aimable pour l'adolescente, qui lui brodait des étoffes, habilement.

Par mille gåteries, l'hôtesse remerciait. Elle cuisit des tartes au gingembre; elle les mangeait avec Sophia. Ensemble, elles croquèrent de petits poissons frits d'abord dans la graisse, puis englués de miel.

A travers le treillage de la fenêtre, elles admiraient les scènes de l'Ancien Testament brodées, à la vieille mode, sur les manteaux des riches. D'autres portaient dans le brocart de leurs dos, des épisodes de chasse ; une panthère en drap y griffait une licorne de laine blanche; un aigle enlevait dans les serres un dragon tordu en fils d'or. Des femmes avaient des voiles bleus et des robes rouges comme la mère de Dieu, et, au bas, de larges bandes où les apôtres, mêlés aux signes du zodiaque, étaient assis sur des tigres et des dauphins que la marche plissait. Beaucoup de gens venaient en promenade jusque la fontaine construite là. Les pouces dans leurs ceintures d'émaux, maints fonctionnaires jasaient à l'aise. Des jeunes filles s'adossaient à la corniche du bassin, entre les coqs et les boucs de métal qui lançaient l'eau vers la pomme de pin crachant vingt jets, au centre de la flaque. Plus loin, les flâneurs apercevaient le forum Augustœon, la statue de Justinien, habillé comme Achille, sur un cheval de bronze, les loggias, leurs arcades et leurs groupes sculptés, les battants d'ivoire derrière les gardes assemblés à la façade du Palais Impérial. En outre, les portes en cuivre de la Sainte-Sagesse, luisaient pardessus la cohuc de caloyers aux crânes glabres.

Parfois les deux femmes sortaient, pénétraient dans la basilique. Sophia ne se lassa point d'y compter, parmi les six mille candélabres, la multitude des colonnes prises aux anciens temples de la Syrie, de la Grande-Grèce. Il en était de porphyre, de malachite, de marbre vert, de pierre blanche polie, et d'autres revêtues d'armures brillantes, d'icônes parées de joyaux, de peintures. Longtemps, les amies se promenaient sous les portiques du narthex; ou bien elles contemplaient les perspectives des coupoles, leurs mosaïques immenses, les couleurs des

saints en équilibre sur les crocodiles ou bien accoudés entre les ailes des vautours. On contournait la tribune de l'Ambon que surmontaient un dôme et une croix, puis, tout au bout, c'était le mur en argent massif de l'iconostase qui cachait le sanctuaire, l'autel d'or. Ensuite elles allaient le long du Palais Impérial, elles mesuraient de l'œil les hautes et massives architectures de briques. Elles longeaient, d'abord, Chalcé, les galeries pleines de soldats. Ils laissaient voir des mollets nerveux entre les caleçons bruns et les cnémides. Leurs faces étrangères riaient en inclinant des casques aux écailles de fer écarlate. Plus loin, les murs soutenaient, à leur faîte, des pilastres et des arcades, sur lesquelles s'entassaient d'autres étages ouverts par les cintres de baies énormes. Des terrasses surplombaient. Des campaniles s'affinaient dans le ciel. Des banderoles ondoyaient en haut des mâts rouges, pardessus le Triclinion où mangeaient, couchés sur dix-neuf lits, les ambassadeurs des Barbares et des Sarrazins, les jours d'audience. Un matin, par des portes successives, elles entrevirent l'Atrium, le bassin bordé d'argent, au centre duquel s'érige un grand vase d'or. Là commençait Daphné, le quartier des appartements à l'usage spécial de l'Autocrator. L'hôtesse en énumérait les magnificences, par ouï-dire, car jamais elle n'avait vu, dans le Chrysotriclinion, s'ouvrir les deux portes d'argent qui révèlent, alors, à la foule agenouillée sur l'Octogone, la piété du Basileus apparu en son trône, au milieu des couronnes gemmées qui symbolisent Ses Puissances, des sièges en or qui signifient Ses Possessions. Dans la Magnaure, des arbres d'or aussi portent des oiseaux de pierreries qu'un mécanisme délicat fait chanter avec art. Deux lions, devant le dais impérial, se dressent sur leurs pattes de bronze, rugissent.

La Téoctotos fasse que je les voie..., soupirait la sœur de Basile. Ecoute-moi, bonne hôtesse, ô Euphrosyne, comment parvenir jusque ces merveilles.

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Aide le Théos, colombe de Patras... Si tu me suivais... - Où donc, Euphrosyne !

- Je te le dirai quand, ô Sophia, une amitié plus certaine aura lié nos cœurs?

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Quelle prudence se défierait de toi, petit pigeon? D'autre part, il y a des choses qui étonnent la jeunesse.......

Si tu pouvais connaître, ô Euphrosyne, ma convoitise de franchir ces murs et de toucher à l'or des objets... Il me semble que cela me donnerait une autre santé, que mes joues deviendraient plus vermeilles, que j'améliorerais mes chances providentielles par la vertu des gemmes...

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Les gemmes retiennent le Rayon Céleste dans leur matière. Il ne faut pas l'attirer à soi, ni l'emprisonner dans sa propre pensée. Pourquoi ?

Parce que le Démiurge appelé le Jéhovah par les Juifs a dérobé, tu le sais bien, l'âme du Plérôme qui est l'Universalité du Théos,

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