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d'émotion et de simplicité, Léon Maillard a cmpêché cela. Il a dit comme il fallait les luttes de l'artiste, son labeur, ses recherches, enfin ses triomphes mêlés parfois d'amertume; il a raconté ses origines, la genèse de son talent, ses enthousiasmes. Et pour commenter ses curieux chapitres, il a reproduit au moyen d'un grand nombre d'eaux-fortes, de bois, d'héliogravures et de simili gravures la plus grande partie de l'ouvre du maître, ne se contentant pas d'un aspect général, mais répétant un détail, présentant l'oeuvre sous toutes ses faces, dans ses diverses transformations.

Il y a été aidé par le regretté Courtry et par ces maîtres: Léveillé, Lepère, Beltrand, Froment, traducteurs compréhensifs et respectueux du grand sculpteur.

Ajoutons que le volume est remarquablement présenté, dans son joli format in-8o carré, avec son papier solide et durable et sa couverture exquise où le graveur Léveillé s'est surpassé.

Un tel livre fait honneur à son intelligent éditeur.

ROGER MARX: Les Médailleurs français contemporains, album in-4° de 33 planches (H. Laurens, éditeur).

Il y a quelques mois nous parlions, ici même, du beau livre de M. Roger Marx sur les Médailleurs du XIXe siècle. Nous disions avec quel sobre goût il appliquait à chaque maître l'éloge qu'il méritait, caractérisait sa manière, son degré d'originalité au milieu de l'effort commun. Mais, pour apprécier ce livre, peut-être fallait-il avoir déjà quelque connaissance des artistes dont il était parlé, ètre renseigné sur l'art subtil de la Médaille.

Pour dire avec plus de force encore la gloire de cet art qu'il aime, en faveur duquel il n'a cessé de lutter, obtenant par exemple la refonte progressive des monnaies, M. Roger Marx vient de publier un nouvel album, les Médailleurs français contemporains, où près de mille œuvres se trouvent reproduites avec un soin qui permet à certaines planches de donner l'illusion de la réalité, presque de la matière.

Cet album est consacré aux vivants; à peine trouvons-nous deux morts Degeorge et Chapu. Mais ces deux artistes sont essentiels, et il y aurait eu lacune regrettable, s'ils n'avaient pas ici figuré. Jamais trop on ne regardera, on n'admirera « l'Amélioration de la race chevaline » de Degeorge, « le Vau du Sacré-Cœur », de Chapu.

Il faut vite tourner les feuillets. Voici les ainés : Ponscarme, Tasset, Borrel, Alphée Dubois, voici le génial Roty, voici Chaplain et Daniel Dupuis, deux maîtres. Mais, depuis eux, l'art s'est modifié, a subi de nouvelles influences. Aussi M. Roger Marx a-t-il tenu à placer à côté d'eux Vernon, Nocq, Carabin et même les débutants qui, comme Roiné, Delpech, Niclausse, ont affirmé leur originalité au dernier Salon seulement.

ANDRÉ MELLERIO : La Lithographie en couleurs (Publication de l'Estampe et l'Affiche).

M. André Mellerio, critique d'art et homme de goût, aime les im

pressionnistes, et il a pu acquérir des Claude Monet, des Renoir, des Pissarro. Comme tant d'autres il a été séduit par l'estampe en couleurs où tant de jeunes talents ont fait merveille et très vite il a pu élever, sous forme d'une élégante plaquette, enluminée d'une lithographie de Bonnard, un monument à leur gloire. On y trouvera des opinions d'écrivains divers, de justes appréciations personnelles et la liste complète des artistes: Willette, Toulouse-Lautrec, Luce, Vuillard, Grasset et tant d'autres qui se sont plu à rendre agréables les estampes dérivant de la pierre lithographique colorée. CHARLES SAUNIER

L'HISTOIRE

EDOUARD DRIAULT: La question d'Orient depuis ses origines jusqu'à nos jours (Alcan).

Cette éternelle question d'Orient, surtout religieuse au début, a pris un caractère essentiellement économique et politique. L'ouvrage de M. Ed. Driault comporte trois parties: la première — intitulée les Origines — est un rapide résumé des progrès et de la décadence de l'islamisme, depuis les premières conquêtes des Arabes, au septième siècle de notre ère, jusqu'à la chute du premier Empire et aux

traités de Vienne.

La deuxième partic— la Réforme de la Turquie et les démembrements- contient l'histoire des luttes pour l'indépendance de la Grèce, de la crise de 1840, de la guerre de Crimée, de la guerre russo-turque de 1877 et du traité de Berlin qui la suivit.

Enfin, dans la troisième et dernière partie - les Questions actuelles — M. Ed. Driault, suivant un plan qui fait lumineusement saisir les situations respectives du monde musulman et du monde chrétien, présente successivement l'exposé des massacres d'Arménie de 1894 à 1896, du récent conflit gréco-turc, de la question de Macédoine, puis de la rivalité de la Russie et de la Grande-Bretagne en Asie; enfin des conquêtes des puissances européennes sur le continent africain, notamment de la France en Algérie, en Tunisie et au Soudan, de l'Angleterre au Soudan et en Egypte.

La conclusion de l'auteur est que l'Empire ottoman est fatalement destiné à être démembré et détruit. Il termine en émettant l'espoir que l'alliance franco-russe donnera à la question d'Orient une solution conforme aux intérêts de l'humanité et à ceux de la France.

C'est la première fois, croyons-nous, qu'un écrivain publie un exposé d'ensemble clair et concis de ce sujet. M. Ed. Driault ne s'est pas borné, en esset, à établir l'histoire des rapports de l'empire ottoman avec les Etats chrétiens d'Europe; il a expliqué quelles avaient été les relations de l'islamisme tout entier avec le monde chrétien. M. Gabriel Monod, l'éminent membre de l'Institut, dont on connaît la compétence en la matière, a écrit pour ce volume une substantielle préface.

E. DENIS L'Allemagne (Henry May). :

M. E. Denis, qui a retracé, dans un précédent volume, la fin de l'ancienne Allemagne, publie un second volume où il étudie la formation de l'Allemagne contemporaine.

Sur le sol déblayé par la Révolution et les conquêtes impériales, les guerres de l'Indépendance ont exalté le patriotisme, mais les idées politiques demeurent vagues et les traditions puissantes. Aussi, la Confédération germanique laisse le champ libre à toutes les compétitions. Après l'échec de l'Autriche et de Metternich, les libéraux du sud et de l'ouest prennent un moment la direction des affaires pendant la Révolution de 1848. Leurs succès momentanés et leur défaite définitive préparent la voie à la Prusse.

Comme dans son premier volume, l'auteur s'attache à dégager l'action qu'ont exercée sur les événements les théories philosophiques et les écoles littéraires, de manière à nous donner un tableau complet de la vie économique et morale de l'Allemagne pendant la première moitié du XIXe siècle.

PAUL COTTIN: Toulon et les Anglais en 1793 (Ollendorff).

M. Cottin consacre des pages intéressantes aux opérations du siège et au rôle qu'y joua Bonaparte. Le plan de l'attaque, qui réduisit la place, fut-il l'œuvre du jeune commandant? Grammatici certant. « Son vrai mérite, déclare M. Paul Cottin, fut de donner à l'armée républicaine l'àrtillerie qui lui manquait. » L'auteur a raconté, jour par jour, les événements qui suivirent; il s'est appliqué à décomposer les éléments de la rébellion. Quant aux exécutions en masse qui furent ordonnées par les proconsuls Fréron et Barras, après la victoire des troupes républicaines, ce tragique épilogue n'est pas bien connu. Huit cents royalistes devaient être fusillés. La plupart d'entre eux furent couchés à terre par les premières décharges. Une voix cria : «Que les blessés se relèvent! La République leur pardonne! » Les malheureux obéirent et furent tués à bout portant. Fréron a été accusé d'être l'auteur de cet odieux guet-apens; mais il s'en est toujours défendu avec beaucoup d'énergie, et, d'autre pari, les dires de ses adversaires sont naturellement suspects.

JEAN GUÉTARY

LA PHILOSOPHIE

SCIPIO SIGHELE: Psychologie des Sectes (Giard et Brière).

M. Sighele, qui a été, je crois, avocat, écrit comme il doit parler, avec une certaine pétulance de verve, et un aimable laisser-aller. En le lisant, on se figure entendre une improvisation familière, parfois un peu bouillante, un peu hasardeuse, mais pleine de substance. On sent bien qu'on a affaire à un avocat, mais cet avocat est un penseur très exercé, très cultivé et de la bonne espèce.

Du reste, en ces matières, on est rassuré par la qualité de l'auteur : M. Sighele est le prophète de la Psychologie collective. S'il n'a pas

inventé « l'âme des foules », il est du petit nombre de ceux qui ont contribué le plus à en faire un objet distinct de connaissances, et à pressentir les riches moissons promises à la curiosité. Le premier, il s'est engagé, non pas à l'aventure, dans ces terres inconnues, avec la vision anticipéc, mais exacte et systématique des résultats possibles; il a devancé les belles études sur le même sujet de notre G. Tarde.

Le travail que nous signalons est l'histoire naturelle d'une idée fixe non plus chez un individu isolé, mais chez un groupe d'individus. - Une idée, un sentiment surgit en quelques cervelles, devient leur unique moteur, discipline et multiplie leurs énergies : voilà proprement la secte, minorité turbulente, forte parce qu'elle est aveugle et soumise sans réserve à la tyrannie d'un dogme obsédant. Taine a donné une analyse admirable de l'état mental du sectaire, dans ses Origines (Psychologie du Jacobin). La foi agissante et l'audace sans scrupules de ces fougueux idéalistes expliquent leur triomphe. Quels obstacles peuvent arrêter des hommes qui, loin de craindre les obstacles, en reçoivent un stimulant, et s'acharnent d'un effort obstiné à propager leur foi, par violence ou par ruse, prêts au besoin à mourir sur la brèche pour assurer la victoire. Surtout n'oublions pas que les intérêts terrestres donnent toujours la main aux intérêts intellectuels, et qu'à l'impulsion trop faible du sentiment désintéressé s'ajoute l'aiguillon plus vif des convoitises personnelles. Les Jacobins voulaient << régénérer », mais ils voulaient aussi les jouissances du pouvoir, et pour y atteindre, ils osaient tout. Au lendemain de la déclaration de guerre à la Prusse, un de nos «< irréconciliables » se frottait les mains et disait : « Que nous soyons seulement battus, voilà l'Empire à terre, et nous sommes les maîtres. » Celui-là est devenu ministre. C'est ce qui rend si difficile d'écrire l'histoire : tout idéal est servi par des ouvriers indignes, et il ne faut pas regarder de trop près aux intentions.

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M. Sighele indique très bien de quelle façon l'équilibre moral s'altère dans les sectes en même temps que l'équilibre mental. Il se produit un phénomène de régression fort curieux. Les bornes naturelles du juste et de l'injuste sont déplacées, et le sectaire accomplit allègrement et sans remords des actions qui sont des crimes au regard de la conscience commune. C'est que la considération du but à atteindre prime tout le reste.

L'auteur emprunte la plupart de ses exemples aux sectes politiques; mais il y a aussi des sectaires en art, en littérature, en religion, en philo sophie; il y a eu les romantiques, les parnassiens, plus récemment les symbolistes, les décadents, les wagnériens. En général, toute grande idée est d'abord recueillie dans une secte, adoptée par des gens qui la comprennent insuflisamment, et s'en font d'autant plus résolument les apôtres intransigeants : qu'un terrain favorable se rencontre, la secte agit à la façon du levain dans la pâte; l'idée grandit, s'étend, et la secte d'hier est le parti de demain. Par contre, lorsque l'Idée, subissant le sort de toute chose vivante, s'affaiblit

et marche vers la destruction, c'est encore dans une secte qu'elle trouvera ses derniers défenseurs et son refuge. C'est ce qui rend inquiet sur les destinées de notre troisième République; lorsqu'on verra l'esprit sectaire, après des apparitions fugitives et sporadiques, renaître et chercher à mordre, alors on pourra être sûr que les jours sont comptés...

En terminant, M. Sighele se livre contre le parlementarisme à une charge à fond qui n'est pas pour déplaire à certains. Le réquisitoire est plaisant, et force la conviction; il n'est pas facile de voir ce qu'on pourrait lui rétorquer. Est-il exagéré de dire que « la Chambre n'est au point de vue psychologique qu'une femme, et une femme hystérique », et d'avancer que «la vie de député n'est pas pour fortifier le caractère », et que « le milieu parlementaire entoure nos honorables comme dans une spirale et est vraiment un boa constrictor qui étouffe peu à peu délicatesse, honneur, remords même » ? Il y aurait pourtant un moyen, non pas de guérir le mal, car il est incurable. mais d'en atténuer un peu les funcstes effets. Ce moyen, c'est de réduire le nombre des députés. «Si les représentants de la nation étaient réduits à roo, il est certain que la moyenne de ces 100 personnes serait supérieure au point de vue intellectuel comme au point de vue moral à la moyenne des 500 députés actuels. Quand il y a trop de places la médiocrité pénètre nécessairement. » J'indique ceci en passant, mais il faut lire tout l'ouvrage; ce serait le trahir que le résumer; comme G. Tarde, M. Sighele sème à la course les aperçus ingénieux ; on se sent perpétuellement en commerce avec une belle intelligence, claire et vive, qui pense et qui fait penser.

EMILE BOUTROUX Etudes d'Histoire de la Philosophie (Alcan). « L'historien qui est en quête, non d'anecdotes, mais d'une juste appréciation de l'œuvre d'un grand homme, s'attachera moins à mettre en ligne et à faire manœuvrer une quantité imposante de textes isolés, qu'à se pénétrer de plus en plus de la pensée de l'auteur, en lisant et relisant un grand nombre de fois l'ensemble de ses ouvrages. » En ces quelques lignes placées à la fin de son introduction, M. Boutroux définit nettement sa méthode, et répudie la conception mystique de l'histoire que lui ont supposée ceux qui le connaissaient mal. On lui reprochait de négliger les textes, de reconstruire d'une façon aventureuse les systèmes qu'il expose : les huit études que renferme ce livre sont une réponse victorieuse; elles sont admirables pour la sûreté, la conscience et la clarté de l'analyse. Il ne faudrait pas croire cependant qu'il y eût rien d'étroit dans sa manière ; on n'a qu'à lire les pages où il confronte dans un très beau raccourci l'aristotélisme avec les grandes doctrines qui règnent aujourd'hui, celles de Kant et l'évolutionisme de Spencer. Il n'y a pas de réserves à faire sur le savoir et la méthode de M. Boutroux ; c'est un miroir où se réfléchissent scrupuleusement les systèmes; il s'identifie avec les diverses philosophies au point de montrer à peine quelque préférence; on dirait qu'il n'a point de pensée propre, et de fait

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