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C'est ici qu'apparaît la nécessité d'une publication bibliographique bien faite. Tous les ouvrages de ce genre qu'on publiera rendront les plus grands services. Les Américains, les Anglais, les Allemands, l'ont bien vu. En les suivant dans cette voic M. Jordell a mérité de la pensée française. Son répertoire est fort bien fait; il n'inventorie que 146 revues pour l'année 1897, une première fois par ordre alphabétique des matières, une seconde fois par noms d'auteurs; mais on ne saurait penser à tout. VICTOR BARRUCAND

KATHE SCHIRMACHER: Le Féminisme (Colin).

En moins de quatre-vingts pages d'un format restreint, l'auteur a su dire au point de vue documentaire l'essentiel sur la question, limitant toutefois sa tâche à exposer l'historique et l'état actuel du féminisme dans cinq pays où il se montre sous des aspects différents et caractéristiques, aux Etats-Unis, en France, dans la Grande-Bretagne, en Suède et en Russie. Ce résumé très sobre, d'une lecture facile par sa concision et sa clarté, révélera sans doute à quelques-uns qu'il existe réellement une question féministe, que les revendications des femmes, formulées depuis environ un siècle, ont été accueillies déjà sur plusieurs points, qu'elles ont eu pour champions des philosophes, des économistes, des hommes politiques tels que Condorcet, Stuart Mill, M. Gladstone.

En dehors des faits acquis, des victoires déjà réalisées qui ont conquis au féminisme une place importante dans les préoccupations de la sociologie, il est intéressant de noter que la modification survenue dans l'atmosphère économique explique, en une certaine mesure, le succès de cette cause et présage l'accès de la femme à un rôle social, à des fonctions dont elle avait été jusqu'ici écartée. Cette modification consiste en la possibilité d'emprunter à la nature inorganique une quantité chaque jour croissante de la force fournie jusqu'à présent par le muscle, possibilité qui a pour conséquence une évaluation nouvelle des différentes formes de l'activité humaine. A mesure que cette activité se déprécie sous sa forme brute par suite de l'embauchage des forces naturelles, elle acquiert une valeur plus grande sous sa forme mentale. Or il semble que ces conditions nouvelles soient plus favorables que les précédentes au développement de la femme et lui facilitent l'accès de tâches réservées jusqu'ici à l'homme seul.

Mme Kæthe Schirmacher cite dans son petit livre ce fait qui mérite réflexion : aux Etats-Unis, ce pays où la vie sociale, dégagée du joug de la tradition, semble instituer plus librement des expériences nouvelles, le nombre des illettrés est moindre, parmi les femmes de race blanche, que parmi les hommes de même racc. C'est aussi aux EtatsUnis que le féminisme a fait les progrès les plus rapides et c'est là aussi que les conditions de la vie économique se sont modifiées le plus profondément dans le sens qui vient d'être indiqué. Il semble donc que la question du féminisme soit liée intimement à celle d'une

rénovation du milieu par le progrès scientifique. Sous l'influence d'une atmosphère nouvelle, des éléments se développent tout à coup qui n'avaient pas encore évolué, demeurés jusqu'ici embryonnaires, faute des circonstances favorables à leur croissance. Cette importance sociale acquise par la femme est-elle un bien, est-elle un mal, est-elle juste? Ce sont là questions de moralistes archaïques. Il sera moins oiseux, semble-t-il, de pronostiquer que ce phénomène semble faire partie de la destinée des sociétés nouvelles et de regarder naître avec une curiosité désintéressée cette forme nouvelle de la vie. Une telle curiosité, le petit livre documentaire de Mme Kathe Schirmacher la satisfait en partie et l'éveille sûrement.

L'ESTHÉTIQUE

SAR PÉLADAN: La Décadence esthétique. Réponse à Tolstoy (Chamuel).

M. Péladan répond au Qu'est-ce que l'Art? de Tolstoï dont la thèse fut exposée ici-même. J'ai ouvert ce livre du sâr avec curiosité; je l'ai lu avec stupéfaction. Le traité de Tolstoï m'avait paru inoffensif par son exagération même. Il m'avait semblé que des jugements allant à disqualifier des gloires classiques, celles qui sont attachées aux noms de Beethoven, de Bach, des grands peintres de la Renaissance et des tragiques de la Grèce ne pouvaient avoir d'action sur aucune catégorie de lecteurs. Or la condamnation portée par Tolstoï sur tous ces maîtres, objets d'un culte fondé souvent sur la croyance, suffisait à rendre suspectes ses appréciations sur des artistes plus récents dont la valeur, non encore consacrée par la tradition officielle, se réclame des suffrages d'une élite.

L'attitude spirituelle de Tolstoï est incompatible d'ailleurs avec toute esthétique, et M. Péladan a relevé avec une juste ironie cette phrase qui eût dû clore le débat. « Qu'est-ce que l'art, si nous écartons l'idée de beauté qui embrouille la question? » Par cette restriction singulière, Tolstoï se retranche en un point de vue d'éthique pure : l'art, ou du moins ce qu'il appelle de ce nom, n'est pour lui qu'un moyen de propagande de l'idée chrétienne. Or utiliser l'art, c'est le nier. Mais cette négation de parti-pris n'a rien qui soit choquant de la part de Tolstoi elle idéalise son attitude de chrétien intransigeant, et il lui faut savoir gré d'objectiver à nos yeux selon sa logique rigoureuse une doctrine d'une incontestable portée psychologique. Niant la beauté, il donne ainsi à qui sait le voir un spectacle esthétique. Faut-il ajouter que l'expansion de ce point de vue chrétien ne saurait inspirer de sérieuses inquiétudes aux esprits que l'art seul préoccupe? Le christianisme pur ne comporte pas d'application vitale. C'est sa valeur absolue de n'admettre aucun compromis avec la vie et d'aller tout droit à s'évader de l'existence.

M. Péladan voit les choses sous un autre jour. Le christianisme de Tolstoï lui apparaît gros de menaces et il tient pour redoutables les

déductions du Qu'est-ce que l'art? « Unir les hommes, prononce-t-il, tel est le rêve exprimé; créer une haine immortelle entre la race latine et la race slave, tel est le résultat de ce livre. » Je laisse à d'autres le soin de décider si cette manière de voir ne comporte pas quelque grossissement, et je relève une déclaration de M. Péladan, qui m'a singulièrement surpris sous la plume d'un auteur chez lequel un partipris d'excentricité n'exclut pas pourtant des qualités de lettré et d'artiste: « Enseigner que l'art a une mission sociale et qu'elle consiste à pacifier et à unifier dans le sens chrétien, c'est bien dire. » Qu'auraient pensé, d'une pareille déclaration, et Flaubert et Baudelaire et tant d'autres dont M. Péladan se montre l'admirateur et s'instituc le défenseur? Que l'œuvre d'art exerce parfois une action sociale, cela est incontestable, mais cet effet se produit précisément lorsque, considérée par des esprits frustes et inaptes à éprouver le plaisir esthétique, l'œuvre d'art est détournée de sa véritable signification. Une pareille interprétation est le résultat d'une erreur très grossière, et les hommes doués du sens artiste procèdent d'une façon tout inverse: c'est ainsi que tel fragment de la Bible, le livre de Job, par exemple, dont la lecture n'exercera aucune action sur leur vie morale, pourra leur apparaître une œuvre d'art excellente, alors que cette fable religieuse ne fut dans l'intention de son auteur inconnu qu'un moyen d'action sur le peuple, ct. pour le peuple qui l'entendait, qu'un sujet de méditation et une exhortation à modifier sa conduite. C'est précisément en se dépouillant de toute efficacité morale dans l'esprit d'un moderne que ce récit destiné à édifier devient œuvre d'art.

Hélas! M. Péladan ne s'en tient pas à reconnaître à l'art une mission sociale, il recherche quelle doit être aujourd'hui cette mission et voici ce qu'il propose : « Il s'agirait, dit-il, d'attaquer dans l'œuvre d'imagination le vieux prestige de l'homme au sabre. » Et là-dessus la polémique de M. Péladan se réduit désormais à interpeller Tolstoï en ces termes : « O ancien officier! O officier! Mon officier! » Il est inutile d'insister sur ce qu'une pareille appellation, avec le sens péjoratif que lui attribue l'auteur, a d'inintelligible adressée à l'homme qui, obéissant à la logique de son point de vue chrétien, a écrit contre le service militaire le réquisitoire le plus inflexible qui ait jamais été formulé. Ce qu'il importait de signaler c'est cette erreur de doctrine qui consiste à prescrire à l'art une mission quelconque; c'est cette confusion entre les choses incertaines de la morale qui mettent aux prises, en des conflits et en des haines, les consciences les plus droites et cette contemplation sereine qu'est l'art, indifférente aux préoccupations égoïstes, fussent-elles sociales ou religieuses, - uniquement attentive à refléter les objets et les actes au point de vue de leur beauté. Après cela, j'accorderai volontiers que la réponse de M. Péladan comporte, à côté et en dehors de la thèse principale, des aperçus intéressants et, sur l'art même, par un détour où la logique n'a rien à voir, des réflexions curieuses et justes.

EDMOND DE BRUIJN: Réflexions sur M. Huijsmans (Bruxelles, Société belge de librairie).

Ces quelques pages assemblées en brochure me permettent de donner suite aux réflexions précédentes. M. de Bruijn dirige à Bruxelles le Spectateur catholique, recueil orthodoxe, traitant de science, d'art et de jugement religieux. Tout en rendant justice au talent de M. Huysmans, défini et circonscrit en quelques phrases précises et pittoresques, il explique pourquoi le groupe auquel il appartient ne prendra pas en considération les raisons de croire qui déterminèrent la conversion de l'auteur de la Cathédrale. Ce manifeste est d'un esprit net, qui sait voir la limite entre l'art et la vie et ne prétend pas utiliser comme arguments dogmatiques et moyens de persuasion un état de sensibilité très spécial, quelque valeur de représentation qu'il puisse avoir d'ailleurs comme modèle à transposer au moyen

de l'art verbal.

La littérature de M. Huysmans est, en effet, de nature hybride. Elle assume aux yeux des esprits rigoureux les inconvénients de cette ambiguïté. Tandis que les catholiques orthodoxes refusent de se laisser édifier par le récit de son aventure religieuse, sa conversion effective atténue la valeur ou tout au moins l'intention esthétique de son œuvre. Avoir résolu de peindre le catholicisme du moyen âge comme un motif prestigieux, c'était projet d'artiste. Mais choir de la contemplation dans la pratique, confondre les catégories du beau et du vrai, prendre un spectacle pour un argument, c'est se montrer sujet au vertige et inspirer des inquiétudes sur la clarté de sa vision. Pygmalion cessa de sculpter après qu'il eût porté Galathée dans sa couche. L'image devenue maîtresse au point d'aveugler la critique, se nomme hallucination. Au lieu de s'extérioriser en formes pures sous la direction de l'esprit qui la suscite, elle commande des sensations, soulève des terreurs et des désirs et reconstitue les émotions de la vie, non plus dans l'art, mais dans la pathologie.

JULES DE GAULTIER

ALBUMS ET LIVRES D'ART

HERMANN-PAUL: Guignols (Editions de La revue blanche).

On a eu l'heureuse idée de réunir soixante dessins choisis entre ceux que M. Hermann-Paul donne au Cri de Paris chaque semaine. Il y a autant de raisons pour recueillir dans un album les dessins de M. Hermann-Paul que pour former un volume avec les articles de tel polémiste. Leur effort est comparable.

D'ordinaire, on pense que les conditions du journalisme, exigences du public, hâte dans la production, ne conviennent qu'aux talents médiocres et déforment les meilleurs, s'ils ne savent résister à sa tentation. Que l'œuvre des journalistes est par essence inférieure et, comme par définition, indigne de survivre au besoin qui l'a fait naître. Déjà l'observation ne s'applique pas aux tempéraments doués

pour la polémique. Mais encore tout peut être bien et mal fait, avec

ou sans art.

A condition que des articles de journaux aient su dégager, de l'actualité, des enseignements assez forts et assez généraux et qu'ils témoignent d'assez d'art, ne valent-ils pas qu'on les préserve de l'oubli et de la destruction?

Comme d'autres artistes, infiniment mieux que la plupart, M. Hermann-Paul fait œuvre de journaliste, de polémiste. Avec beaucoup d'ingéniosité, d'à-propos et un bonheur d'expression si en relief, qu'il s'est fait une place parmi les plus ardents et les plus brillants polémistes auxquels l'agitation récente a permis de révéler leurs dons.

Il n'y a peut-être pas de raison de distinguer entre lui et tel écrivain de sa génération, M. Ajalbert ou M. Pierre Quillard par exemple. C'est au même titre qu'il mérite d'être loué. Il a autant de courage et d'esprit, autant d'ardeur et je ne doute pas que tel de ses dessins heureusement venu n'ait eu autant d'action et ne conserve autant de force que les articles les plus réussis. Ces écrivains devaient à l'art avec lequel ils contaient et chantaient, leur renommée et ils y ont ajouté beaucoup. M. Hermann-Paul a ajouté beaucoup ces temps-ci au renom que lui avait justement acquis son talent de dessinateur.

L'avantage qu'a trouvé ce talent à s'appliquer à la politique se marque même peut-être avec plus de précision que pour les camarades aux côtés de qui il lutte. Ce ne sont pas seulement ses dons d'observateur, d'ironiste, de physionomiste expressif, de traducteur heureux que son album montre très en progrès, même les natures mortes et sa mise en page ont gagné.

Ces images sont assez significatives et évoquent trop de souvenirs pour que le plaisir qu'on prend à les feuilleter soit sans un àcre mélange. Cependant leur spectacle est fortifiant et agréable. Il y en a de terribles et quelques-unes sont délicieuses.

T. N.

LÉON MAILLABD: Auguste Rodin, statuaire (H. Floury). Léon Maillard n'est pas inconnu des bibliophiles. Pour eux il a composé de luxueux livres vite épuisés. Mais les artistes qui lui savaient déjà un gré infini d'avoir bellement présenté au grand public le vieux peintre Auguste Boulard, dont l'exposition presque in extremis fut une révélation pour tant de gens, le louent encore davantage d'avoir appliqué ses efforts, son goût sûr, son érudition à élever à Rodin un monument digne de lui.

Rodin, le génial et probe artiste, le signataire de l'Homme des Premiers Ages, du Saint Jean-Baptiste, des Bourgeois de Calais, du Baiser, de cette statue de Balzac qui eut tout récemment la gloire de l'insulte, Rodin qu'avaient glorifié Roger Marx, Gustave Geffroy, Octave Mirbeau et tant d'autres, allait-il, lui aussi, devenir la proie de quelque Vachon?

En écrivant pour un public d'élite sa belle étude, faite de sincérité,

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