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Et alors les objections se multiplient. Pourquoi la jeune Laurence a-t-elle quitté Raymond qu'elle n'a jamais cessé d'aimer? Parce qu'il la trompait? Raison peu décisive, ce semble, pour une femme si impatiente d'amour qu'elle lui défaille entre les bras près du berceau même de l'enfant agonisant. Pourquoi, n'ayant pas la plus légère inclination pour M. de Girieu, consent-elle à devenir sa femme? Parce que ces parents (oh, ces parents!) s'y invitent? Mais alors cette Laurence est une simple bécasse et il est peut-être inconsidéré de nous apitoyer sur son cas. Parce que son enfant a besoin d'un père? Alors il fallait lui conserver l'ancien. Tout cela ne tient pas debout, d'autant que Laurence devient très déplaisante, aimant toujours Raymond, de subir les caresses légales de M. de Girieu pour assurer à son enfant un précepteur non intermittent.

Pourquoi done? Oh! il y a un parce que, et si simple! Parce que cette œuvre qui pourrait être dramatique n'est au fond qu'une plaidoiric et dissimule maladroitement une thèse, la thèse détestable que voici le divorce ne devrait pas exister entre époux qui ont des enfants, parce qu'au fond ils ne cessent jamais de s'aimer et qu'entre tous les mâles qui la possèderont la femelle appartiendra toujours à celui qui l'a rendue mère. Thèse détestable, disais-je, à tous points de vue; car il est psychologiquement faux qu'une femme aime malgré elle et pour la vie l'homme dont elle a cu des enfants et l'expérience quotidienne suffit à nous en assurer, puisqu'il est fréquent qu'une femme abandonne et son mari et ses enfants pour suivre le gigolo et s'en gorger durant de longues années; en outre, il serait socialement inadmissible que la présence de l'enfant constituât entre deux êtres un lien indissoluble et aggravât le mariage, institution déjà suffisamment paradoxale, tyrannique et anti-naturelle. Mais je n'ai pas le loisir de discuter ces divers points; il suffira de les indiquer ici pour faire comprendre l'échec de cette comédie intéressante, mais qui, pour s'être asservie à une thèse d'ailleurs désastreuse, a compromis un sujet des plus émouvants et montré une fois de plus qu'en M. Brieux les ambitions idéologiques portent un singulier préjudice aux dons réels du dramaturge. J'ajouterai que l'idéologue est, en plus, de tendances fort rétrogrades et, pour employer un mot d'actualité, réactives (rappelez-vous l'Evasion), souvent peu généreuses (relisez les Bienfaiteurs), et l'on n'en peut éprouver que du regret, puisque, malgré tout, M. Bricux a du talent à ses heures. Je suis sûr d'ailleurs que ses heures seraient plus nombreuses s'il les mettait au service de causes meilleures.

K. L.

Musique

Opéra Comique: Fidelio Opéra MLLE DELNA dans Samson et Dalila

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Une fois encore, à Paris, est tentée l'expérience d'imposer un pur chef-d'œuvre de musique au caprice admiratif du public. Une fois de plus, Fidelio se présente sur une de nos scènes lyriques en créancier non de la gloire, mais du succès.

Seulement, est-ce bien Fidelio de Beethoven que l'Opéra-Comique représente? N'est-ce pas plutôt un Fidelio revu, augmenté et quelque peu dérangé? Beethoven, pour des raisons qui devaient avoir leur valeur, ayant jugé bon de réserver une place au dialogue parlé dans son œuvre, il est assez surprenant qu'on ait substitué d'adroits récitatifs au dialogue voulu par le génie. Et ce qui n'est pas moins étonnant, c'est qu'à l'Opéra-Comique, lieu où l'on parle, on ne s'en soit pas tenu au simple Fidelio en deux actes, sans récitatifs. Si Beethoven avait estimé que des récitatifs fussent nécessaires à son Fidelio, il n'aurait certes pas hésité à les écrire, et, quelque respect que m'impose l'éminente personnalité de M. Gevaert, j'ai l'audace de penser qu'il y a des chances pour que ces récitatifs eussent été supérieurs à ceux du compositeur de Georgette ou le Moulin de Fontenoy, du Billet de Marguerite et de tant d'ouvrages universellement connus. Quelle utilité vraiment de toucher aux chefs-d'œuvre des maîtres!

Déjà Berlioz s'était laissé aller à introduire de sa musique dans Freyschutz; la, partition de Weber n'y a rien gagné. Guiraud a écrit des récitatifs pour Carmen, sans que le besoin s'en fît sentir. On dit qu'un musicien, unanimement honoré, est actuellement occupé à introduire de force des récitatifs dans le Joseph de Méhul. Si la nouvelle se confirme, il est probable que de nombreuses protestations s'élèveront contre un pareil sacrilège. Nulle atteinte, si faible fùt-elle, ne devrait être portée à l'auguste intégrité des chefs-d'œuvre, — et ils n'étaient pas précisément si sots les magistrats de la divine Athènes qui gardaient jalousement un exemplaire correct et complet des drames d'Eschyle, de peur qu'on se permît de changer rien aux vers cyclopéens du grand tragique.

L'histoire de Fidelio et de ses quatre ouvertures n'est plus à faire. Depuis de longues années, ce qui se rapporte à l'œuvre de Beethoven est familier à tous. On sait l'insuccès qui l'accueillit lors de sa première apparition à Vienne, le 28 novembre 1805, les difficultés, les mauvais vouloirs, les incompréhensions qu'elle eut à vaincre pour se faire admirer, les remaniements auxquels se résigna l'auteur; même les mots du sourd immortel ne sont ignorés de personne. Inu

tile donc de fatiguer les dictionnaires et les livres pour déployer une érudition facile.

En France, des artistes comme la Schroder-Devrient, la Cruvelli, Mmes Viardot et Krauss incarnèrent Fidelio. Aujourd'dui, c'est le tour de Mme Caron, en attendant qu'une autre cantatrice de haut style lui succède. Je n'irai pas jusqu'à affirmer que la pièce de Fidelio (anciennement Léonore) est absurde; car un sujet tout d'humanité et de douleur qui fait vibrer les fibres les plus secrètes du cœur, si médiocrement traité qu'il soit, ne peut jamais être taxé d'absurdité. Mais, s'il n'y a pas à dissimuler que le livret de Fidelio est plutôt ennuyeux, il n'est guère possible de ne pas reconnaître qu'il est profondément dramatique en ses parties essentielles. Il manque de variété, les épisodes découlant de l'idée initiale sont d'un intérêt fort relatif, la monotonie l'oppresse. Pourtant, il possède une unité de couleur triste qui impressionne.

Bien que Beethoven, en pleine gestation de son opéra, ait écrit: «La différence est grande de composer d'après les exigences d'un poème ou de se laisser aller à son inspiration », la musique de Fidelio est d'une splendeur merveilleuse. En l'écoutant, on oublie tout, charmé, enveloppé, violenté que l'on est par le flux de beauté qui monte de l'orchestre à la scène pour revenir ensuite bouillonner magnifiquement dans l'orchestre. Dans Fidelio, la musique règne despotiquement. Elle est la conscience de cette œuvre de haute et fière harmonie dont Weber vantait «< la puissance de réalité ». Par elle, tout est ennobli. C'est elle qui fournit au drame l'élément expressif, met en lumière les replis de l'âme des personnages et en décrit les divers mouvements. L'action n'est pas rigoureusement intéricure comune dans les réalisations poétiques et musicales de Wagner; cependant, nombre d'événements et d'incidents extérieurs ne sont que la conséquence logique, la répercussion du drame qui se joue dans l'âme de Léonore. En sorte qu'il est permis de dire que, dans une certaine mesure, Beethoven fait pressentir Wagner. L'orchestre ne se contente pas de souligner les attitudes, les accents, les cris des êtres mêlés à l'action, il souffre, pleure avec eux, commentant, expliquant, magnifiant leurs moindres actes. Les critiques d'antan qualifiaient la partition de Fidelio de « partition renversée », ajoutant en manière d'explication que c'était « une musique écrite pour les instruments avec accompagnement de voix ». S'ils revenaient aujourd'hui, ils constateraient que les « partitions renversées » sont maintenant celles qui ne s'inspirent pas des principes d'art contre lesquels ils fulminaient jadis.

La partition de Fidelio, d'aspiration si pure, n'est nullement révolutionnaire au sens strict du mot. Si, par instant, Beethoven fait craquer les vieux moules qui enserrent, étouffent les noblesses et les grandeurs de sa musique, d'une humanité poignante, son ouvrage rentre néanmoins dans la catégorie des œuvres exécutées selon la formule en honneur dans les temps passés. Mais, de ce que Beetho

ven s'inclina devant les idoles que Wagner n'hésita pas à renverser plus tard, il ne s'ensuit pas qu'il ait rien abandonné de sa personnalité sublime. Il est là, comme partout, l'immense artiste d'expression infinie qui, d'un coup d'aile souverain, s'élève vers les cimes et s'y maintient triomphalement. Le premier acte où s'épandent des grâces exquises fait songer à Mozart; il est d'un charme incomparable en sa simplicité extrême. Le second est admirable; la scène de la prison est d'une beauté à nulle autre pareille et, quant au chant de joie qui clôt Fidelio, il est d'une magnificence telle qu'on est saisi d'une émotion quasi-sacrée en l'entendant.

Me souvenant des belles soirées de Sigurd et de Salammbó, je ne veux rien dire de Mme Caron, qui fut et n'est plus. Malgré moi, le soir de la reprise de Fidelio, je me rappelais cette phrase de Chateaubriand : << Le talent qui expire saisit davantage que l'individu qui meurt c'est une désolation générale dont la société est frappée; chacun au même moment fait la même perte. »

L'orchestre s'est montré à la hauteur de sa tâche, et c'est avec un plaisir très vif que je félicite M. André Messager qui le conduit de magistrale façon.

Accomplissant une heureuse métamorphose, Mlle Delna, que l'on n'avait vue à l'Opéra que sous les traits fatigués et affublée des haillons douloureux de Fidès du Prophète, vient de se montrer d'une radieuse jeunesse en Dalila. Est-il besoin de constater qu'immédiatement le succès s'est déchaîné en tempête? Jamais, depuis Mlle Block, qui créa Dalila à l'Eden, ce rôle n'a été aussi supérieurement tenu et chanté. C'est un pur ravissement d'entendre Mlle Delna interpréter de sa voix unique les délicieuses inspirations de Saint-Saëns. Quelle ampleur de style! Comme les moindres pages prennent un relief saisissant grâce au talent de la cantatrice! Et comme le personnage est intelligemment compris et rendu!..... C'est une très grande artiste que Mlle Delna.

ANDRÉ CORNEAU

Les Livres

LES ROMANS

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MARCEL BOULENGER : La
MATHILDE SERAO: Cur

ERNEST LA JEUNESSE L'Holocauste (Fasquelle).
Femme Baroque (Anc. Maison Lecène et Oudin).
malade (Ollendoril). BUTTI : L'Automate (Ollendorff); l'Ame (Mercure de
France). GIROLAMO ROVEtti: l'Illustre Matteo (Calmann Lévy). FOGAZ-
ZARO : Malombra (Ollendorff).

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L'Ilolocauste, roman contemporain, de M. Ernest La Jeunesse, est simplement un roman d'amour. Il n'y faut chercher ni fable, ni comparses, ni péripéties; on n'y trouvera que de la joie, des plaintes, et, pour finir, un grand effort abstrait de résignation. Je ne sais si l'on aura beaucoup aimé ce livre, qui recèle trop peu d'aventures, et dont le tour, sans doute, aura paru trop particulier. C'est moins un livre qu'une longue déclamation, une mélopée, une litanie. Il m'a déconcerté, mais il m'a plu..... Pourquoi ne puis-je penser à M. La Jeunesse sans murmurer les vers célèbres de Verlaine?...

Je suis venu, calme orphelin,

Riche de mes seuls yeux tranquilles...

La pièce se nomme, je crois : « Gaspard Hauser chante ». Voici le roman de Gaspard Hauser.

J'avoue que la lecture en est difficile. La profusion des mots est telle qu'elle éblouit et qu'elle déconcerte. Gaspard Hauser n'a pas parlé pendant trop d'années, et sans doute il veut tout dire en une fois. Les mots se pressent, se répètent, se répercutent, se multiplient. Les images s'enchevêtrent avec une abondance lyrique et broussailJeuse. Tous les procédés connus de la rhétorique sont employés jusqu'au pire abus. Tout cela oblige à l'effort, force aux arrêts, aux reprises, et brouille perpétuellement le souvenir. Mais de tout ce verbalisme qui est parfois même du verbiage, on sentira se dégager une émotion, une vérité qui, pour moi, m'a touché et m'a retenu.

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Je ne crois pas que M. La Jeunesse se soit beaucoup modifié depuis ses premiers livres, et entre Holocauste eɩ les Nuits, les Ennuis et les Ames..... il n'y a pas tant de différence que l'on croirait. Les mêmes dons de grossissement dans l'imitation, de mystification et de fidélité dans la parodie qu'il appliquait à contrefaire la poésie de M. Coppéc ou la prose de M. Loti, il les emploie aujourd'hui à retracer l'amour qui fut, certainement, la joie et le tourment véridique de son âme. Le voici son propre imitateur : et ce roman est à la fois une autobiographie et une autoparodie. Cette déformation presque scénique, jointe au lyrisme du procédé, peut troubler et même beaucoup déplaire. Mais tout de même on y sent à nu une âme ardente et renfermée de pauvre petit garçon défiant, impatient et présomptueux, mais si ten

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