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cause, la tuberculine de l'avenir fera faillite, car la logique n'admet pas qu'un sérum de ce genre, s'il tue le bacille, annihile les toxines qu'il sécrète, fasse qu'un organisme vicié et corrompu reprenne son intégrité, qu'un individu, loque en morceaux, sans manche, se bande

encore.

Le sérum antirabique, le sérum antidiphtérique réussissent. Les troubles fonctionnels dépassent de beaucoup les troubles anatomiques dans ces cas. Il est inadmissible qu'un sérum jouisse du pouvoir magique de transformer de but en blanc une personne en une autre. Il faudra toujours compter avec soi, avec son hérédité, avec son tempé

rament.

Aucun remède surnaturel pour se sauver. Rien que des faits coordonnés. Il n'y a pas moyen de s'échapper. Les coups de fortune valent seulement comme phénomènes isolés, dépourvus d'applications sérieuses.

Tirant ses données de l'observation clinique et des études de laboratoire, la thérapeutique ne s'occupe guère des réflexions intéressées, plus ou moins capricieuses, des malades. Ils s'expliquent comme ils peuvent, avec illusion ou hypocondrie.

L'homme sert d'expérience pour la vérification de certaines hypothèses.

La phtisie ou, mieux, la consomption fournit l'étude du suicide lent, par entêtement, par idéalisme. Le cobaye, ou cochon d'Inde, est la meilleure pierre de touche de cette affection.

Il serait préférable d'être cochon d'Inde.
Il est vrai que cela revient au même.

PIERRE FINET

Notre Loi des Suspects

La France a connu à plusieurs reprises, au cours de ce siècle, ces paniques, provoquées par certains attentats, savamment exploitées par la réaction et qui ont toujours fait payer à la liberté les frais d'une sécurité menteuse. Sous la monarchie de Juillet, les lois de septembre furent votées sous l'impression de tentatives de régicide, sous le prétexte de la défense de l'ordre social, mais en réalité dans le dessein d'étouffer par la peur le mouvement révolutionnaire qui se poursuivait dans les masses profondes d'un peuple tenu hors l'enceinte du pays légal, et qui avait cessé de plaire aux anciens carbonari de la Restauration, devenus les conservateurs du nouveau régime auquel ils devaient places, honneurs et fortune. Ces lois d'exception furent le commencement de la brouille définitive entre la royauté soi-disant républicaine de la branche cadette et une démocratic dégoûtée de l'hypocrisie du juste milieu, du monopole politique d'une bourgeoisie aussi égoïste et moins décorative que l'ancienne noblesse et de la corruption croissante d'une société asservie au capitalisme. C'est de l'adoption de ces mesures de salut public que datent, et l'expansion accéléréc du socialisme, mis hors la loi par un gouvernement oublieux de ses origines, et le renouveau de l'idéalisme républicain, proscrit par les anciens complices des conspirations révolutionnaires de la Restauration, et le dégoût sans borne et sans retour des libéraux, épris de justice et de progrès.

Le second Empire, fondé sur le crime, né d'un coup d'Etat, n'avait pas à renier ses origines ou à mentir à son principe. Régime hybride qui avait l'impudeur d'associer dans ses formules à la doctrine césarienne de l'Elu du peuple la doctrine légitimiste de l'hérédité, il affectait également d'inscrire au fronton d'une constitution copiće sur celles de l'Empire, c'est-à-dire du despotisme le plus écrasant qu'ait connu le monde, les principes de 1789 et la déclaration des Droits de l'Homme, base du droit public des Français. En 1857, après l'attentat d'Orsini, il jeta le masque. La loi de sûreté générale vint suspendre le peu de garanties que le 2 décembre avait daigné laisser à ceux des citoyens français que la mitraille de Canrobert et les proscriptions de Maupas ou de Morny avaient épargnés.

Dès lors, le second Empire fut marqué au front d'une tache indélébile. Il eut beau revêtir je ne sais quelles défroques d'un libéralisme mensonger. Il cut beau chercher à s'approprier les formes de ce parlementarisme d'emprunt qui n'a jamais servi, en dehors du sol historique où il est né et où ses racines ont pu s'enfoncer dans les couches apportées par les alluvions des siècles, qu'à dresser le décor d'une

mesquine et sordide comédie d'intrigues et qu'à tendre un paravent devant les louches combinaisons des politiciens de chambre et d'antichambre.

Le césarisme avait sué sa peur, il avait laissé transparaître son âme de défiance et d'oppression, il avait avoué, dans un hoquet de terreur, sa haine des garanties élémentaires du droit et son inguérissable amour pour la force brutale, pour la police tutélaire et le sabre protecteur.

Règle générale : quand un régime promulgue sa loi des suspects, quand il dresse ses tables de proscription, quand il s'abaisse à chercher d'une main fébrile dans l'arsenal des vieilles législations les armes empoisonnées, les armes à deux tranchants de la peine forte et dure, c'est qu'il est atteint dans ses œuvres vives, c'est qu'il se débat contre un mal qui ne pardonne pas, c'est qu'il a perdu, non seulement la confiance des peuples, mais toute confiance en soi-même.

Il s'agit de savoir à cette heure si la République Française en est là. Je m'empresse de dire bien haut que, s'il ne s'agissait que de la République telle que l'ont faite vingt-cinq ans d'opportunisme, telle que nous la connaissons sous les espèces d'un Président-parvenu qui joue au souverain, d'un premier ministre sournoisement brutal qui essaye d'adapter à sa lourde main la poignée du glaive de la raison d'Etat, d'un Parlement où tout est représenté, sauf la conscience et l'âme de la France, il ne vaudrait sans doute pas beaucoup la peine de se préoccuper bien vivement du sort de cet édifice branlant. Nous ne devons pas oublier, toutefois, que la République a cet avantage d'être une forme vide, un corps où nous pouvons souffler une âme, où nous pouvons mettre un esprit et qu'à la différence de tout autre gouvernement qui ne s'établirait pas sans avoir quelques-uns des artisans de l'avenir et sans avoir supprimé quelques-unes de nos pauvres franchises, elle se prête à merveille, si seulement nous avons la force de le vouloir, à toutes les transformations nécessaires, à toutes les réalisations progressives de l'idéal. Ce qui revient à dire qu'elle est la forme adéquate du gouvernement de tous par tous et que tout ce qui y porterait atteinte constituerait une usurpation.

Eh bien! cette République qui a trompé tant d'espérances, elle a, en un jour de panique, adopté, elle aussi, ses lois de septembre, sa loi de sûreté générale, sa loi des suspects. Sous l'impression terrifiante d'attentats pour lesquels ceux qui me connaissent ne s'attendront surement pas à ce que je m'abaisse à me défendre d'aucune indulgence, les Chambres ont voté en 1893 et en 1894, d'urgence, au pied levé, dans des conditions inouïes de précipitation et de légèreté, des mesures qui ne sont rien de moins que la violation de tous les principes de notre droit. Un juriste a admirablement exposé dans la Revue blanche du 1er juillet 1898 le caractère de cette législation d'exception. Un écrivain, que ses relations mettent à même de bien connaître les vic

times de ces lois vraiment scélérates, a dépouillé, dans le numéro suivant, quelques-uns des dossiers des procès intentés de ce chef.

Je ne reviendrai pas sur une démonstration qui a été faite, et bien faite. Qu'il me suflise de dire que ces lois frappent, de propos délibéré, des délits ou des crimes d'opinion; qu'elles sont faites contre une catégorie, non pas de délits ni de crimes, mais de personnes; qu'elles modifient la juridiction de droit commun en matière de presse, laquelle est le jury; qu'elles établissent un huis-clos monstrueux en supprimant la reproduction des débats; qu'elles permettent l'imposition hypocrite d'une peine accessoire, la relégation, — qui n'est autre que le bagne et qui peut être le corollaire d'une condamnation à quelques mois d'emprisonnement; qu'elles donnent une prime à la provocation et à la délation; qu'elles prétendent atteindre, sous le nom d'entente et de participation à l'entente, des faits aussi peu susceptibles de répression que des entretiens privés, des lettres missives, voire la présence à une conversation, l'audition de certains propos; qu'elles ont créé un nouveau délit, non seulement de provocation au crime, mais d'apologie du crime, lequel peut résulter de la simple énumération objective des circonstances dans lesquelles tel ou tel attentat se sera produit. J'en passe.

Ajoutez à cela que l'application de ces lois plus que draconniennes a été faite dans un esprit de férocité; que c'est une sorte de guerre au couteau entre les soi-disant sauveurs et les prétendus ennemis de la société; que l'on a vu les tribunaux frapper impitoyablement de la prison et de la rélégation, c'est-à-dire du bagne à perpétuité, la participation à des soirées familiales (Limoges), l'audition des paroles délibérement scélérates d'un agent provocateur (Dijon), le chant d'une chanson révolutionnaire (Milhau); que l'on n'a pas respecté le principe essentiel de la non-rétroactivité des lois; que cette terrible machine d'injustice fonctionne au milieu de nous et que onze malheureux ont déjà été, en vertu de cette véritable mise hors la loi, condamnés à cette peine atroce de la relégation.

De telles constatations suffisent. Elles devraient du moins suffire pour des esprits un tant soit peu libéraux, j'entends qui soient restés, si peu que ce soit, fidèles aux doctrines des La Fayette, des Barnave, des Benjamin Constant, des Barrot et des Laboulaye. Un tel monument d'injustice ne peut subsister dans la législation d'un peuple qui se dit et se croit et veut être libre. Que si un tel appel à la conscience républicaine ne suffisait pas, il ne manque pas d'arguments d'un ordre moins élevé pour convaincre les égoïstes. Ces lois d'exception sont des armes terriblement dangereuses. On les bâcle sous prétexte d'atteindre une catégorie d'hommes spécialement en butte à la haine ou à la terreur du public. On commence par les leur appliquer et c'est déjà un scandale et une honte qui devraient faire frémir d'indignation tous les cœurs bien placés. Puis on glisse sur une pente

presque irrésistible. Il est si commode, d'interprétation en assimilation, par d'insensibles degrés, d'étendre les termes d'une définition élastique à tout ce qui déplaît, à tout ce qui, à un moment donné, pourrait effrayer le public. Or qui peut s'assurer d'échapper à cet accident? Hier, c'étaient les anarchistes. Les socialistes révolutionnaires ont été indirectement visés. Puis c'est le tour aujourd'hui de ces intrépides champions de la justice qui ont le tort inexcusable de n'ajouter pas une foi aveugle à l'infaillibilité des conseils de guerre. Qui sait si demain les simples républicains ne tomberont pas eux aussi sous le coup de ces lois? Qu'on se figure ces armes terribles entre les mains d'un dictateur militaire et l'état de siège agrémenté de l'application des lois scélérates, ou, pour retourner l'hypothèse, qu'on se représente une faction révolutionnaire, un Comité de Salut Public jacobin, s'emparant de ces effroyables dispositions contre des conservateurs qui ne sauraient qu'opposer à cc: Patere legem quam ipse fecisti. Que ce ne soient point là chicanes nées d'un esprit malade, jeux d'esprit d'un avocat sans scrupules, c'est ce que prouve la phrase dans laquelle un jurisconsulte, M. Fabreguette, a expressément reconnu qu'il est des cas où, malgré l'amendement de M. Bourgeois visant nominativement les anarchistes, la loi devrait élargir la portée de ses définitions en vue d'atteindre des crimes ou délits similaires. On sait où la méthode d'analogie peut entraîner des esprits prévenus.

J'estime d'ailleurs que ce sont là des considérations secondaires. Quand bien même les lois d'exceptions ne pourraient frapper, comme elles prétendent viser, que des anarchistes, elles n'en seraient pas moins la honte du Code parce qu'elles en violent tous les principes. Une société qui, pour vivre, aurait besoin de telles mesures aurait signé de ses propres mains son arrêt de déchéance et de mort. Ce n'est pas sur l'arbitraire, sur l'injustice, que l'on peut fonder la sécurité sociale. La redoutable crise déchaînée dans ce pays par le crime de quelques hommes, la complicité de quelques autres, la lâcheté d'un plus grand nombre et l'indifférence d'un nombre plus grand encore, n'aura pas été sans quelque compensation si elle ouvre les yeux à ce qui reste d'amis du droit, de fermes défenseurs de la justice, de républicains intègres, à certains dangers et à certains devoirs.

A la lueur aveuglante de l'affaire, nous avons entrevu des abîmes d'iniquité. Il nous a été révélé des choses auxquelles nous ne voulions et ne pouvions croire. La scélératesse de quelques hommes a eu une répercussion effrayante sur la faiblesse de beaucoup d'autres. Il est démontré qu'il n'existe pas de plus grand péril que de faire crédit aux individus fussent-ils empanachés, couverts de galons et d'étoiles. Il est évident qu'il n'est pas de pire danger que de faire à des juges même civils le redoutable présent d'un droit arbitraire de vie et de mort sur toute une catégorie de citoyens. Après la légitime défiance des hommes, cette crise nous aura appris la défiance non

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