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indécents et à des besoins naturels. Ignorants qui prétendez à l'élégance et ne commettez pas d'actes ignorés. »

Germaine Nonette se mourait. Combien pourtant elle eût mérité de vivre, elle qui ne craignait pas de mettre au cabinet les lettres qu'il lui écrivait ! Preuve d'amour irréfragable, d'une imitation pénible! Elle ne perdait pas une seule occasion de s'émouvoir. L'eau qu'elle buvait à table l'enivrait comme du champagne ; elle communiquait à tout ce dont elle se servait des qualités acres et fiévreuses.

Les réverbères s'allumèrent. Le restant du jour s'éleva dans l'atmosphère. La poussière s'évanouit à la pénombre. Des nuages roses de flamant apparurent dans le prolongement de la voûte de l'Arc-deTriomphe. Un vol de colombes fila vers le Bois. Les petites fleurs blanches des arbres tombaient sur les vêtements. La musique des tziganes d'un café égrenait des notes qui se dissipaient dans les feuillages, volatilisaient l'arome des gazons et du crottin.

Georges Caprice caressa les oreilles d'une ânesse, que l'on trayait devant une porte cochère. Elle leva ses gros yeux d'une stupidité admirable. «< Voilà les yeux de Germaine, pensa-t-il ; il y réside la même indifférence à nos façons, la même surprise devant nos souf frances, la même bonté inoffensive. C'est justement ce que j'adore en elle. Dans la femme, je n'aime que la bête, la bête irrésistible de faiblesse et de curiosité, implorante et patiente, traître parfois. Je t'aime, ânesse, autant que Germaine. Tu représentes l'instinct à son égal. Tu lui serais supérieure même : tu as enfanté. »

Il courut pour rattraper Bertrand qui l'attendait au coin d'une rue. Bientôt ils se séparèrent. Georges Caprice demeurait sur la rive gauche, rue de Constantine.

Dans leur soirée, ils se retrouvèrent au Jardin de Paris.

EUGENE VERNON

ESSAI SUR LA MÉDECINE

II

Le Cobaye

Il est vain de se plaindre de la feuille ou de la baie; coupez-la; l'arbre en portera une autre tout aussi mauvaise. Il vous faut commencer votre cure de plus bas.

MONTAIGNE.

La tuberculose fait des ravages épouvantables. Elle ne tue pas cément. Comment guérit-elle ?

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L'hérédité tuberculeuse se manifeste avec des variantes et des bizarrèries qui défient l'examen. Dans une même famille des membres restent indemnes, quelquefois les moins solides en apparence, tandis que d'autres succombent, qui n'étaient pas contaminés, à des sortes de para-tuberculoses, pleurésies sans bacilles et non inoculables, albumineries nerveuses ou brightiques, anémies pernicieuses.

Déchet de l'humanité, les tuberculeux sont balayés par le mauvais vent. Où qu'ils s'accrochent, ils sont emportés. Ils sont souvent condamnés d'avance, sans jugement.

Une nation où les tuberculeux se comptent en grand nombre estelle favorisée ? Ne sont-ils pas l'émonctoire par lequel elle expulse son pus et ses saniosités ! Cela serait, si la société en même temps qu'elle chasse ses mauvaises humeurs ne s'en formait pas de nouvelles. Néanmoins les tuberculeux représentent des façons et des sensibilités qui tendent à disparaître. Ses mastodontes n'existent plus qu'à l'état de fossiles. La nature est experte pour se débarrasser des formes qui l'encombrent et ne répondent plus aux conditions récentes de son aspect. Les éléphants, les singes, les grands carnassiers disparaîtront sous les balles. La tuberculose est l'élément de destruction de l'homme.

Un jeune homme est atteint vers sa vingtième année; il a vu mourir sa mère quelques années auparavant des mêmes symptômes qu'il ressent.

On constate au sommet d'un de ses poumons la diminution du murmure vésiculaire, une expiration rude, le défaut de l'élasticité des parois, une légère matité. Il devient anorexique, maigrit, tousse

et sue.

A vingt ans, la pensée d'un individu n'est pas formée. L'instruction reçue sur les bancs du collège, la connaissance de l'histoire universelle, la pratique des plus beaux génies du monde ne suffisent pas à tremper une intelligence, à la prémunir contre les tentations fortuites.

Le substratum de la tuberculose, c'est essentiellement le « manque de méthode ».

Qui dit manque de méthode dit inaptitude à vivre.

Les facteurs de la tuberculose sont la misère, l'ignorance, la bonté.

A la misère se rattachent l'alcoolisme et le scrofulate de vérole, selon l'expression de Ricord.

La pire ignorance, l'ignorance des lettres et des dilettantes, qui pourrissent dans leurs vaines distinctions, augmente chaque jour le martyrologe des phtisiques.

La bonté molle des pauvres, la paresse des riches, l'esprit romanesque laissent envahir l'organisme par les causes de destruction qui flottent partout.

L'état d'âme des tuberculeux, faux, mauvais, ne répond pas à la réalité.

La volupté gâte les personnes qui la recherchent immédiatement, pour elle-même.

La dégénéresceuce de l'énergie, l'usure de la volonté, si fréquentes dans les époques de conscience incertaine et de luxe équivoque, les goûts raffinés, les mœurs dissolues, toutes les hyperesthésies vaniteuses, favorisent le terrain de la tuberculose.

L'héroïne du «< Mariage blanc » de Jules Lemaître faisait venir les larmes aux yeux. Personne ne sent plus que nous la grâce des maladresses, la compassion des peines; cependant ces mélancolies passagères, si étrcignantes qu'elles soient, il faut les éloigner ou, du moins, ne pas s'y complaire, ni s'y entretenir. La culture de la pitié rend coupable. Aussi féconde est la douleur des fortes émotions, aussi désastreuse est la douleur des menus incidents.

Au dernier acte du « Mariage blanc », cette jeune personne mourait de surprise à la découverte de la vie dans sa dureté et dans ses exigences de sacrifices. Le dénouement nous signifie les défauts de notre gymnastique morale. Il n'est que trop tentant de se subtiliser.

La gymnastique morale, quelle plus belle ceuvre! Rompre ses sentiments, jongler avec ses tourments comme avec ses plaisirs, dédaigner faveurs comme insuccès, rire de ses larmes et pleurer de ses joies, joindre haines et amours, confondre passions et raisons, préférer son indépendance au bonheur même, exercices d'une efficacité surprenante ! L'éducation devrait former des athlètes aussi forts par le cœur et le cerveau que par les muscles. Les idées fixes, les inclinations morbides seraient brûlées à ce manège.

Marie Bashkirtseff est morte poitrinaire à vingt-cinq ans. Quel caractère altier et extravagant; pourtant, quelle ardente sauvagerie, quelles espérances de travail et de talent!

<< Et que de concierges se portent bien ! » écrivait-elle... Evidemment les concierges ne jouissent pas, en général, d'un tempérament aussi amusant que le sien. Ce qui est permis aux uns ne l'est pas aux autres. A mesure que vous vous élevez dans les connaissances, que vos sensations deviennent paradoxales, que vous vous détachez des éléments, la difficulté de se maintenir en bonne santé s'accroît. Après avoir lu Renan, votre susceptibilité maladive est accrue. Les conditions de l'équilibre sont changées, la corde est plus tendue et le vent souffle plus fort. Ceux qui restent à terre ne craignent pas ces inconvénients.

Le nombre des morts n'a pas diminué, malgré la civilisation. Le progrès a affaibli nos organismes. Le confort matériel a augmenté nos tourments, notre délicatesse physique. Nous ne sommes pas parvenus à accomplir dans notre sensibilité un changement analogue à celui que la vapeur et l'électricité ont accompli objectivement. Notre bien-être dépend du rapport qui s'établit entre les faits et notre manière de réagir.

Marie Bashkirtseff était douée sans doute d'une intelligence supérieure à son temps. Elle se brisa, cristal trop fragile; solides comme la faïence, les concierges se défendent en outre par une appréciation assez exacte des catégories sociales. Peuple dans leurs expressions et dans leurs distractions, ils ne manquent pas de jugeotte. Il ne nuit pas de mettre les pieds dans le plat.

Les tuberculeux guérissent, lorsqu'ils guérissent, par un traitement terre à terre.

Malades qui ont perdu le sens des objets familiers, qui respirent les miasmes délétères de la civilisation, qui se gangrènent dans l'atmosphère lourde de tracas des villes, ils doivent s'enfuir vers des régions où le côté pratique de l'existence est masqué par la douceur du climat, la fraîcheur des inspirations, l'agrément des points de vue. Les sanatoria nouvellement créés en Algérie, en Allemagne, un peu partout, ressemblent à des monastères où des personnes, ayant vécu avec dissipation, viennent accomplir une retraite et prendre de meilleures résolutions. La règle est sévère, le régime rigoureux. Purification à l'air libre, les stations d'aérothérapie détergent les poumons encombrés des produits de désassimilation qui les encombraient. C'est un retour à la vie sauvage, animale, très propice. L'intelligence, qui avait été surchauffée et viciée, en est réduite à sa plus simple expression. Aux distinctions d'une casuistique trop précieuse succèdent les constatations grossières, les mœurs patriarcales.

Les Alpes, les Pyrénées, la Forêt Noire se dressent devant les pauvres victimes de leur orgueil ou de leur foi dans leur majesté insensible et froide, lignes de beauté immuables, assises magnifiques où

sombre l'intérêt de nos qualifications. La vigueur des arbres, la vivacité des petites bêtes à fourrure y remplacent aisément nos soupirs.

La déminéralisation du sang, le dépérissement général relèvent de la suralimentation.

Le gavage, l'alimentation forcée supplée au manque de volonté du malade. Les lavements alimentaires, l'huile de foie de morue l'obligent à augmenter de poids. La poudre de viande mélangée à du lait, que l'on additionne d'une cau minérale alcaline, breuvage détestable, permet d'incorporer sous un petit volume des principes nutritifs abondants.

Cette méthode choquante, prosaïque et bestiale au possible, réussit le mieux. Vigoureux coup de fouet à l'apathie, à la nonchalance, à la langueur dégoûtée, elle réveille les instincts de gloutonnerie auxquels nous sommes engagés pour ne pas nous anémier.

La nourriture étant nécessaire, il est inutile de faire la petite bou che. Le porc est le symbole de ce que nous devons gober. Voilà ce qu'il faut nous assimiler si nous sommes tentés d'essayer une vie amoureuse et héroïque, si nous ne voulons pas souffrir de nos arguties, si nous nous permettons d'être transcendants.

Plus nous nous approchons de l'état de sainteté, c'est-à-dire plus nous nous différencions de nous mêmes, plus nous devons nous lester avec de la vulgarité. Les pieds dans la boue et la tête dans le soleil. Les plus grands hommes ont été criminels.

Les phtisiques, qui d'ordinaire possèdent uue sensibilité plus ornée qu'il ne sied, ne peuvent se racheter qu'en subissant les inconvénients de la suralimentation.

Les femmes n'accepteraient-elles pas la fessée tous les jours, en manière de révulsion, si le soin de leur beauté le réclamait?

Tous les médicaments ont servi peu ou prou dans le traitement de la tuberculose.

Les uns, la créosote, par exemple, agissent comme anti-bacillaires, les autres, l'arsenic, le tanin, les hypophosphites, s'adressent à l'état général, sont employés à titre de reconstituants, modèrent l'exagération des échanges; enfln la médication symptômatique combat la fièvre, les sueurs, la diarrhée, la toux et les hémoptysies.

La tuberculine de Koch n'a guère rencontré de succès.
Admettons que l'on trouve un sérum antituberculeux.

Ce sérum agira à l'insu des malades, les guérira par enchantement? Au début des lésions, peut-être; non pas lorsque les cavernes seront formées. La perte de substance ne sera pas comblée. La fièvre hectique qui résulte des fermentations, des résorptions, de la purulence, qui s'élaborent en ces points, continuera.Qu'un tissu fibreux, à la longue, réunisse les parois, cela supporte l'examen. Mais, en tout état de

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