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mois de mai 1804, il fut nommé grand dignitaire |
sous le titre d'architrésorier, et qu'en mars 1808
il fut décoré des titres de prince et de duc de
Plaisance, loin de s'enorgueillir de cette illustra-
tion, il n'oublia pas sa modeste origine, et dit

Au mois de mai 1805, l'architrésorier qui venait d'être décoré du grand cordon de la Légion d'honneur et qui reçut quelques mois après du roi d'Espagne le grand cordon de Charles III, fut envoyé à Gènes, avec le titre de gouverneur géné

naïvement : « J'ai mis cinquante-huit ans à faire | rel de la Ligurie et les pouvoirs les plus étendus.

ma fortune. » Citons le portrait que fait de lui, à cette époque de sa vie, un homme qui l'avait beaucoup connu : « Il n'était pas beau non plus; << sa figure avait quelque chose de triste et de <<< mélancolique; ses formes étaient celles d'un

Il s'agissait spécialement de la formation des départements de Gènes, de Montenotte et des Apennins. Cette mesure éprouvant quelques obstacles de la part des habitants de Salso-Maggiore, Vigonello, Legognano et de quelques autres cantons,

« procureur parvenu; non moins bien élevé que | Lebrun leur adressa, au nom de l'empereur, une

« son collègue (Cambacérès), il ne représentait pas
<< néanmoins aussi noblement. Il jouissait de peu
« de crédit, et a passé inaperçu pendant toute la
« durée de l'empire... Le prince Lebrun se ran -
« geait avec plaisir parmi les littérateurs; il ne
<< craignait pas d'avouer qu'il devait à sa plume
<< ses premiers titres de gloire. Gracieux envers
« ceux qui interrompaient la solitude ordinaire
« de son palais, il ne vous laissait partir que
« charmé de l'obligeance de ses manières et de
« l'amabilité de sa conversation. Il plaisait beau-
<< coup chaque fois qu'il voulait plaire, et cela lui
<< arrivait souvent... » Ses attributions, comme
architrésorier, étaient d'assister au travail an-
nuel dans lequel les ministres des finances et du ❘
trésor rendaient compte à l'empereur des recettes |
et des dépenses de l'État, de viser ces comptes
avant qu'ils fussent présentés, de recevoir tous
les trois mois le compte de la comptabilité na-
tionale, puis tous les ans le compte général;
d'arrêter annuellement le grand-livre de la dette
publique, de signer les brevets des pensions ci-
viles, de présider les sections réunies du conseil
d'État et du tribunal; de recevoir le serment des
administrateurs financiers; de présenter à l'au-
dience de l'empereur les députations de ces mê-
mes administrateurs, etc. On voit que ces fonc-
tions étaient à peu près honorifiques, et ne
pouvaient lui laisser aucun espoir de crédit et
d'influence politique; mais il était peu jaloux d'en
obtenir. Du reste, malgré sa rigide probité, on ne
le vit pas insensible aux riches traitements que
lui assuraient ses différents titres. « Presque tous
« ses revenus se changeaient aussitôt en capitaux,
< dit Montgaillard (1); mais ils ne lui coûtaient
« du moins ni vols ni bassesses. Ses grandes ri-
« chesses furent l'effet nécessaire d'une économie
« poussée, dans certaines circonstances, jusqu'à
<< l'avarice (2); il thesaurisait pour sa famille, etc.»

(1) T. 9, p. 180.

(2) On n'a pas manqué de répandre à ce sujet des mots plus ou moins piquants. On disait, par exemple, que chez le premier consul on dînait vite, que chez le second consul on dînait bien, mais que chez le troisième consul on ne dinait pas. On parlait de trois paires de souliers plus ou moins couverts, afin de porter. trois jours de suite, la même paire de bas de soie, sans que la raie noire de la chaussure pût trahir cette économie de blanchissage. Cependant il ne laissa point une fortune colossale; il jouissait de trente mille livres de rente lors de la convocation des états généraux, et ses enfants, y compris le bien de leur mère et ce qu'ils avaient reçu en mariage, ont partagé cent vingt mille francs de rente.

proclamation dans laquelle on lisait : « Ah! ne << me forcez pas à dépouiller le caractère de l'in• dulgence et à frapper ceux que je veux rendre « heureux. Songez aux dangers qui vous mena<<< cent; la force armée vous environne: si un seul << mot est prononcé, innocents ou coupables, << vous serez tous frappés. » Dans cette mission, il ne laissa pas d'éprouver des contrariétés : les ministres, particulièrement Fouché, pensaient qu'ils pouvaient exercer une action indépendante de celle du gouverneur général. L'empereur, qui avait dit que Gênes ne serait française que lorsqu'elle aurait six mille matelots à bord de ses escadres, témoigna à Lebrun un vif mécontentement de ce qu'il avait fait cesser la pèche pour ne pas ruiner le commerce. « C'est sans doute une manière de « se rendre très-populaire, lui écrivait-il; mais <<« c'en est une aussi de nuire au bien du service... « Avec de la faiblesse, on ne gouverne point les << peuples et on attire sur eux des malheurs. Je << crains que vous n'en montriez plus que votre « caractère n'en est susceptible. Avez-vous espéré << gouverner des peuples sans les mécontenter << d'abord ? Que feriez-vous en France, si vous « étiez chargé de faire marcher la conscription du <<< Calvados ou des Deux-Sèvres, ou de tel autre « département? Vous savez bien qu'en fait de gou« vernement, justice veut dire force et vertu. La seule « réponse à cette dépêche, c'est des matelots, et << des matelots, etc. » Dans une autre lettre, Napoléon lui faisait des reproches sur la manière dont les douanes étaient administrées à Genes: << Ne montrez pas de faiblesse pour le commerce « de cette ville. Faites faire des visites, et pour« suivez les contrebandiers. On m'assure qu'on « a osé dire, en plein conseil, que, si l'on vou<< lait mettre de l'ordre dans le port franc, le sty<< let jouerait. Pardieu, dites-leur bien que nous « nous connaissons depuis longtemps, et qu'il ya « une furieuse différence de moi aux Autrichiens « de 1745. » Au mois de janvier 1806, Lebrun ayant organisé les trois départements, installé à Genes une cour royale et une université, demanda son rappel; mais Napoléon voulut qu'il restât encore quelque temps dans cette ville avec le titre de gouverneur général. De retour à Paris au mois de juin 1806, l'architrésorier reprit les fonctions de sa place. En 1807, il organisa la cour des comptes, à la tête de laquelle il eut la satisfaction dont Louis Bonaparte venait d'abdiquer la royauté. ❘ de la manière presque affectueuse dont il fut reçu

de plaeer Barbé-Marbois, son ami. L'age de Lebrun l'appelait au repos; la froideur que Bonaparte lui avait témoignée à son retour de Gènes semblait lui promettre qu'il terminerait paisiblement sa carrière, lorsque, le 8 juillet 1810, Napoléon lui confia, sous le titre de lieutenant général, la haute administration de la Hollande,

importants de l'administration de la Hollande, désormais régie par les lois françaises; et les principaux fonctionnaires de ce pays avaient l'ordre de correspondre avec lui et de prendre ses instructions, dans les cas extraordinaires. Au surplus, lorsqu'au mois de septembre 1811, l'empereur visita les départements hollandais, étonné

Lebrun voulut en vain décliner cette mission: « Je suis tout prêt à partir, dit-il, mais il est de << mon devoir de rappeler mon âge à Votre Ma« jesté, de lui dire que je ne serai peut-être pas << propre à ce qu'elle attend de moi; je ne l'ai pas <<< entièrement satisfaite à Gênes: je ne pourrai << pas mieux faire ailleurs. Vous êtes l'homme « qu'il me faut en Hollande, » répliqua Napoléon. Dès le soir même Lebrun se mit en route, et le 11 juillet il vint habiter le palais d'Amsterdam. Son caractère et ses manières ayant une grande analogie avec le caractère national, il parut aux yeux des Hollandais comme étant peut-être l'homme de France qui pouvait le mieux s'identifier avec leurs goûts modestes et leurs habitudes méthodiques. La prudence qu'il mit à concilier les ménagements dus aux habitants, avec ce qu'exigeait la rigueur des instructions qu'il avait reçues

par les habitants, il en témoigna sa satisfaction au duc de Plaisance. On cita, dans le temps, ces paroles mêlées d'ironie et de bienveillance qu'il adressa aux autorités d'Amsterdam: « J'ai fait << tout pour vous plaire et vous accommoder; ne « vous ai-je pas envoyé, pour vous gouverner, <<< justement l'homme qu'il vous fallait ? Vous << pleurez avec lui, il pleure avec vous, vous pleu<< rez ensemble; que pouvais-je faire de mieux? >> Au mois de décembre 1813, par suite des événements de la guerre, il fut obligé de s'éloigner d'Amsterdam, où s'était manifesté un mouvement insurrectionnel. Ceux peut-être qui l'avaient dirigé se rendirent en députation auprès du prince Lebrun; ils craignaient pour lui, disaient-ils, les excès auxquels le peuple pourrait se porter; mais, si le duc de Plaisance voulait déposer le titre de gouverneur général, il ne trouverait personnellement

de l'empereur, relativement au blocus continen- | à Amsterdam et dans toute la Hollande que des maître de l'université, sur le refus de Lacepède. I qu'il commandait. Le troisième (Auguste), servit

tal, lui mérita l'estime de tous les hommes capables d'apprécier les difficultés de sa situation. En moins de six mois, il organisa toute la Hollande 'en départements. Cette partie de sa mission étant terminée le 1er janvier 1811, il cessa ses fonctions de lieutenant général et fut fait gouverneur général. Sous le premier titre, il avait gouverné souverainement, au nom de l'empereur, par des agents qui n'étaient responsables qu'envers lui. Dans plus d'une occasion, au risque de déplaire, il suspendit l'exécution d'ordres trop rigoureux, et en appela de l'empereur trompé par des faux rapports à l'empereur mieux informé. La contrebande, le brûlement des marchandises anglaises, les douanes, dont le réseau s'étendait sur toute la Hollande et entravait même les communications intérieures, étaient pour les Hollandais une cause permanente de mécontentement, de plaintes et souvent aussi de soulèvements populaires. Lebrun sut les réprimer sans mettre en activité une commission extraordinaire, véritable cour prévôtale, établie par décret impérial du 24 septembre 1810. Il osa mème prendre sur lui de tenir secrète cette décision de l'empereur. « Je « supplie Votre Majesté, écrivait-il à Bonaparte, << de ne point insister sur une mesure qui n'aurait << aucun résultat utile. Elle sait que je suis sévère, « et elle me fera l'honneur de croire que je ne << suis pas timide. Toute mon ambition est de lui << rendre ce pays calme et affectionné. » En le réduisant au titre de gouverneur général, Napoléon ne voulut cependant point le restreindre à des prérogatives purement honorifiques. De Paris les ministres le consultaient sur les objets les plus

témoignages d'attachement et de respect. Lebrun répondit « qu'arrivé lieutenant général de l'em<< pereur, il partirait avec le même caractère; « qu'il ne craignait point et ne pouvait craindre « le peuple d'Amsterdam. » La nuit se passa sans aucun tumulte. Le lendemain, à neuf heures du matin, il monta en voiture, ainsi qu'il l'avait annoncé, et traversa la ville, où il reçut partout des marques de respect et de bienveillance. Le peuple l'avait surnommé le bon stathouder. Revenu à Paris, et fidèle jusqu'au dernier moment au gouvernement impérial, il se prononça, lors de l'approche des armées étrangères, contre le départ de l'impératrice Marie-Louise, et ne prit aucune part à l'acte du sénat qui décréta la déchéance de Napoléon; mais, après l'abdication, il signa celui du rétablissement de la maison de Bourbon. Il fut appelé par le gouvernement provisoire à la discussion du projet de constitution qui fut adopté par le sénat et qui servit de base à la charte constitutionnelle. Monsieur, comte d'Artois, lieutenant général du royaume, l'envoya à Caen en qualité de commissaire extraordinaire. Ce prince lui fit demander, sur la situation de la France et sur la marche à prendre par le gouvernement de Louis XVIII, un mémoire que Lebrun s'empressa de rédiger, et qui présentait des conseils qu'on ne suivit pas. Le 4 juin il fut créé pair de France. Après le 20 mars 1815, il ne vit Napoléon que sur une invitation qu'il reçut de se rendre aux Tuileries. Il aurait voulu rester étranger aux affaires; mais il crut que son ancienne position ne lui permettait pas de refuser la pairie impériale qui lui fut offerte, et la dignité de grand

Durant le peu de semaines que Lebrun fut à la tète de cette partie de l'administration, il déploya autant de modération que d'activité. « Des lycées, « des écoles, écrivait-il à ses subordonnés, ne << sont point des clubs: la religion, la morale, <<< qui sont la base de l'éducation, doivent être renseignées dans tous les temps et sous tous les << gouvernements. Le professeur chargé d'expli<<< quer Virgile, Homère ou Cicéron, peut le faire << sans être obligé de rendre compte de son « opinion privée, pourvu qu'il ne cherche point « à la manifester par des allusions indirectes. >>> Il s'opposa surtout à la désorganisation de l'université, de la part de Carnot, qui voulait empiéter sur les attributions du grand maître, et surtout beaucoup destituer. A ce sujet, Lebrun écrivit au ministre une lettre pleine de dignité qui se terminait ainsi : « Vous me direz peut-être que je << veux être despote et indépendant; je veux être « soumis aux règlements et aux décrets, et dé<<< pendre de mon devoir. Si je m'en écarte, << provoquez ma révocation. Si je recevais souvent <<« des lettres semblables à celle du 21, ma « démission serait ma réponse. Vous croyez bien « que ce n'est pas le protocole qui me blesse : <<< architrésorier, prince, duc grand maître, « monsieur, citoyen, tout m'est égal. » La direction de l'université charmait singulièrement sa vieillesse; déjà, avec une activité bien supérieure à son âge, il s'était mis au fait de toutes les affaires; il avait visité les lycées de Paris, et trouvait dans ces occupations une distraction aux pensées pénibles que faisait naître la politique générale, quand la seconde restauration le rendit de nouveau à la vie privée. Il fut, en 1815, exclu de la chambre des pairs; l'ordonnance de 1819 l'y fit rentrer. En 1820, lorsque Louis XVIII fonda la société royale des prisons, dont le duc d'Angoulême était président, le duc de Plaisance, alors âgé de quatre-vingt-un ans, prononça le discours d'installation. Il remplissait avec assiduité les devoirs de la pairie, et fut plusieurs fois

,

comme chef d'escadron. L'aînée des filles du prince Lebrun épousa M. de Plancy, ancien préfet de Seine-et-Marne; la seconde, M. de Chabrol de Volvic, ancien préfet de la Seine. La vie de Lebrun a été écrite par M. Marie Dumesnil, sous ce titre: Mémoires sur le prince Lebrun, Paris, 1828, 1 vol. in-8° M. le duc Charles de Plaisance, son fils, a publié les Opinions, rapports et choix d'écrits politiques de Charles-François Lebrun, duc de Plaisance, Paris, 1829, 1 vol. in-8°. Ces pièces sont précédées d'une notice biographique. A la suite se trouve une lettre adressée à M. le duc Charles de Plaisance, par M. Valette, depuis professeur de philosophie au collége de Louis le Grand, et qui avait été attaché au prince Lebrun comme secrétaire. Cette lettre contient, sur la vie privée de ce personnage, des détails fort curieux. On y voit que, au milieu des travaux politiques, il n'avait jamais perdu de vue ces études qui firent le charme et l'illustration de ses premières années. Il ne passait pas un jour sans lire son Homère dans le texte, et n'avait recours à aucun commentaire. M. Valette cite cette anecdote bien caractéristique : Deux ou trois jours après l'arrivée de Napoléon, en 1815, Lebrun se promenait dans son jardin; on vint lui annoncer un homme qui depuis a joué un grand role. << Monseigneur, comment se porte Votre Altesse! <<< dit le nouveau venu. - Mon ami, si vous me « demandez comment je me porte, je vous dirai « ce que je disais tout à l'heure à une personne <<<< qui me faisait la même question: Cela ne va pas << mal; mais quant à Mon Altesse, je la crois <<< bien malade. » Outre les ouvrages cités, Lebrun publia, sous le voile de l'anonyme, en 1819, l'Odyssée d'Homère, Paris, 2 vol. in-12. En cela, il ne fit que céder aux instances de ses parents et de ses amis. « C'est l'ouvrage de ma jeunesse, leur <<< disait-il; j'aurais besoin de le revoir et je n'en << ai pas le loisir; enfin, vous le voulez, le voilà. » Le succès de l'Odyssée fut aussi complet que l'avait été celui de l'Iliade. On a réimprimé en

l'organe des commissions de financeş. Durant | 1829 les OŒuvres d'Homère, traduites du grec par

l'intervalle des sessions, il vivait retiré dans sa terre de Saint-Mesme, au milieu des établissements utiles qu'il avait formés près de Dourdan. Il y mourut le 14 juin 1824. Barbé-Marbois prononça son éloge, à la chambre des pairs, quelques jours après. Lors de la nouvelle organisation de l'Institut, en 1803, Lebrun aurait pu se placer dans la classe qui est redevenue l'Académie française; il préféra la classe des inscriptions et belles-lettres. Il avait un frère aîné, Lebrun de Rochemont, qu'il fit nommer comte, sénateur, et qui est mort pair de France en 1822. Le duc de Plaisance eut cinq enfants: trois fils et deux filles. L'atné de ses fils hérita de son titre de duc (voy. PLAISANCE [duc DE]). Le second, Alexandre de Plaisance, fut tué en Russie, en

le prince Lebrun, 6a édit. (pour l'Iliade; ce n'est que la seconde pour l'Odyssée,) 4 vol. in-12, avec portraits. Lui-même, dans ses entretiens intimes, exposait ainsi son système de traduction : « Quand << vous traduisez un auteur qui en vaut la peine, << disait-il, ne traduisez jamais pour ceux qui << peuvent lire l'original; ne vous adressez qu'à « ceux qui ne savent pas sa langue et qui veulent « connaître non-seulement sa pensée, mais sa << manière. Ce travail est un peu plus difficile : << vous ne vous proposez rien moins que de faire << parler votre auteur comme il se serait exprimé << dans la langue dans laquelle vous voulez le <<< faire lire. » Toutes les œuvres littéraires de Lebrun, c'est-à-dire sa traduction du Tasse et celle d'Homère, ont paru dans la collection dite

combattant à la tête d'un régiment de lanciers | Bibliothèque d'élite, Paris, 1841, 2 vol. in-12. 63

XXIII.

L'éloge le plus vrai de cet ancien collègue de Napoléon se trouve dans ce passage des Mémoires d'un pair de France: « Il a traversé pur toute la << révolution; il n'a donné dans aucun des excès « de l'époque; sa mémoire n'est tachée d'aucune << de ces fautes commandées par le fanatisme du <<< moment et que la postérité juge avec une sévère << justice. On n'a eu que des larmes à donner à la « mort (u prince architrésorier de l'empire, et << nulle grave inculpation ne trouble la paix de <<< sa tombe. »

D-R-R.

LEBRUN. Voyez PLAISANCE (duc DE). LEBRUN (JEAN-BAPTISTE-PIERRE), peintre et marchand de tableaux, né à Paris en 1748, passait dans son temps pour l'homme de l'Europe qui se connaissait le mieux en tableaux et qui savait en trafiquer avec le plus d'avantage. Versé dans l'histoire de toutes les écoles, de toutes les collections fameuses, et possesseur lui-même d'un cabinet considérable où la succession incessante des plus rares morceaux était inappréciable, il contribua beaucoup aux progrès de mademoiselle Vigée, qui, demeurant avec sa mère, dans la même maison (rue de Cléry, hôtel de Lubert), venait journellement voir les magnifiques productions dont il faisait commerce. Il témoignait à la jeune artiste une extrême obligeance en lui prétant des tableaux d'une beauté admirable et d'un très-grand prix. Au bout de six mois, il la demanda en mariage. « J'étais loin de « vouloir l'épouser, dit madame Lebrun dans ses « Souvenirs, quoiqu'il fût très-bien fait et qu'il eût « une figure agréable.... Mais ma mère, qui « croyait M. Lebrun fort riche, ne cessait de « m'engager avec instance à ne point refuser un << parti aussi avantageux; et je me décidai enfin à « ce mariage.... Et j'ai changé mes peines contre « d'autres peines. Ce n'est pas que M. Lebrun fût « un méchant homme: son caractère offrait un <<< mélange de douceur et de vivacité; il était « d'une grande obligeance pour tout le monde, « en un mot assez aimable; mais sa passion « effrénée pour les femmes de mauvaises mœurs, « jointe à la passion du jeu, a causé la ruine de << sa fortune et de la mienne, dont il disposait « entièrement, au point qu'en 1789, lorsque je << quittai la France, je ne possédais pas vingt francs << de revenu, après avoir gagné, pour ma part, plus << d'un million; il avait tout mangé. >>> Une circonstance particulière priva même la nouvelle épouse | des illusions de ce qu'on appelle la lune de miel. Lebrun ayant dû épouser la fille d'un habitant de la Hollande, où il faisait un grand commerce de tableaux, pria sa femme de tenir leur mariage secret jusqu'à ce qu'il eût terminé ses affaires. Elle y consentit volontiers; mais ce mystère n'en eut pas moins un résultat effrayant pour son avenir. Plusieurs de ses amis, qui ne croyaient point le mariage conclu, venaient pour la détourner de ce qu'ils appelaient une sottise. « Vous « feriez mieux de vous attacher une pierre au cou

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« et de vous jeter à la rivière, » lui disait Auber, joaillier de la couronne. « Au nom du ciel! « n'épousez pas M. Lebrun, vous seriez trop << malheureuse! >>> s'écriait la duchesse d'Aremberg. Puis on contait à la jeune épousée une foule de choses qu'elle se plaisait à croire exagérées, mais que la suite n'a que trop confirmées. Après la déclaration du mariage, Lebrun, qui n'avait eu en vue dans cette alliance qu'une spéculation, prit l'habitude de s'emparer de tout l'argent que sa femme recevait pour ses nombreux tableaux. Il imagina, en outre, pour augmenter leur revenu, de lui faire avoir des élèves. Elle y consentit; mais la mattresse, aussi jeune de caractère que ses disciples, ne leur imposait nullement; « Et cet inconvénient, dit-elle dans ses Souvenirs, « joint à l'ennui de revenir à l'ABC de mon << art, en corrigeant des études, me fit renoncer << bien vite à tenir des écolières. » Il paraît que, dès le premier temps de leur union, les deux époux avaient un appartement séparé: celui de Lebrun, vaste et fort richement meublė; celui de sa femme, fort exigu et d'une extrême simplicité. Elle n'y recevait pas moins la plus brillante société; mais le mari, tout entier à ses bonnes fortunes de bas étage, paraissait peu chez madame Lebrun. C'était un ménage comme on en voyait tant à la fin du règne de Louis XV; et cette manière de vivre, entre époux, n'était pas même un sujet de remarque. Du reste, il paralt que Lebrun, plein de confiance dans la sagesse de sa femme, était d'une philosophie parfaite au sujet des propos qui couraient sur le compte de celle-ci et sur l'origine de leur opulence. « Laissez-les « dire, répondait-il lorsqu'elle venait à lui en << parler; quand vous serez morte, je ferai élever << dans mon jardin une pyramide qui ira jusqu'au « ciel, et je ferai graver dessus la liste de vos « portraits; on saura bien alors à quoi s'en tenir << sur votre fortune. » Cette anecdote se rapporte au temps où il faisait bâtir, rue du Gros-Chenet, une maison, que l'on disait avoir été payée par le contrôleur général Calonne. « Il l'aurait payée << bien tard, dit madame Lebrun dans ses Soure« nirs, car elle ne l'a été tout à fait qu'à mon << retour de Russie, en 1801. M. Lebrun m'avait « laissé ce soin, à mon grand désappointement. >>> Il est à remarquer que, dans ses Souvenirs, elle paraft surtout peinée de ce qu'on lui prétait des faiblesses intéressées. « Personne moins que moi, << dit-elle, n'avait craint de devenir l'objet d'une « passion avilissante. J'avais sur l'argent une telle « insouciance que je n'en connaissais presque pas « la valeur. » Rappelons encore, au sujet de ses Souvenirs, que madame Lebrun, qui s'exprime sur tout le monde avec une extrême indulgence, prend un ton d'amertume quand il est question de son mari. Elle l'accuse de s'étre emparé tantôt de tous ses ouvrages, tantôt de tout l'argent qu'elle gagnait, sous prétexte de le faire valoir dans le commerce. « Je ne gardais souvent, dit-elle, que

• six francs dans ma poche. » Un jour que la princesse Lubomirska lui avait envoyé douze mille francs pour le portrait de son fils, elle pria Lebrun de lui laisser deux louis; il la refusa, prétendant qu'il avait besoin de toute la somme afin de solder un billet. Elle raconte que si, le 5 octobre 1789, elle put emporter l'argent nécessaire aux frais de son voyage à Rome, c'est qu'elle avait reçu, en l'absence de son mari, cent louis, pour le portrait du bailli de Crussol. Pendant le séjour de sa femme à l'étranger, loin que Lebrun lui ait jamais fait passer de l'argent, il lui écrivait des lettres si lamentables sur sa détresse, qu'elle lui envoya une fois mille écus et une autre fois cent louis (1). Pendant la terreur, il vécut assez tranquille à Paris, car, sans être un révolutionnaire, il sut faire aux opinions de l'époque assez de concessions pour échapper aux dangers de la persécution. En 1793, sa femme, qui voyageait en Italie, avait été portée sur la liste des émigrés. Lebrun adressa à la convention une pétition pour qu'elle fût rayée (2). Il invoqua pour elle les dé

<<< toujours de celui auquel nous attachait un lien << aussi intime que celui du mariage. » On a de Lebrun, outre la Notice déjà citée: 1o Almanach historique et raisonné des architectes, peintres, sculpteurs, graveurs, ciseleurs, Paris, 1776, in12; 2° Galerie des peintres flamands, hollandais et allemands, ouvrage enrichi de 201 planches, gravées, d'après les meilleurs tableaux de ces mattres, par les plus habiles artistes de France, de Hollande et d'Allemagne, Paris, 1792-1796, 3 vol. gr. in-fol. Cet ouvrage, composé des seules productions d'une école, est accompagné d'un texte dans lequel l'auteur a développé toute l'étendue des connaissances qu'une étude particulière de la peinture, une longue expérience et de fréquents voyages dans les pays étrangers lui avaient fait acquérir. Quoique commencé en 1776, il n'a été terminé qu'en 1796. 3o Réflexions sur le muséum national, 1793, in-8°. - Observations sur le muséum national, pour servir de suite aux Réflexions précédentes, Paris, 1793, in-8°; 4o Quelques idées sur l'arrangement et la décora

crets qui exceptaient de la loi de proscription ❘tion du musée national. 1794, in-8°; 5o Essai sur

tous ceux qui allaient se livrer, en pays étranger, à l'étude des sciences, arts et métiers. Il publia cette réclamation, sous ce titre : Précis historique de la vie de la citoyenne Lebrun, peintre, par le citoyen J.-P.-P. Lebrun, an 2e de la république (in-8o de 22 pages). Ce précis, qui a bien la couleur du temps où il parut, est apologétique sous tous les rapports, et répond à des inculpations antérieures à 1789. Il est probable que madame Lebrun n'eût pas avoué un écrit qui ne fut dicté à son époux que par des motifs d'intérêt purement pécuniaire. Lorsque, en 1802, elle revint à Paris, Lebrun la reçut dans leur maison de la rue du Gros-Chenet. « Je trouvai, dit-elle, l'escalier << rempli de fleurs, et mon appartement parfaite<<ment arrangé...... Tous les meubles étaient com« modes et de bon goût; enfin, je me trouvai « parfaitement installée. Quoique M. Lebrun m'ait, « certes, fait payer tout cela bien cher, je n'en « fus pas moins sensible aux soins qu'il avait pris « pour me rendre mon habitation agréable. » Le soir même, il offrit à sa femme un concert, dans une grande salle de leur autre maison de la rue de Cléry, où il avait réuni toutes les anciennes connaissances de madame Lebrun (3). Toutefois, l'intimité ne se rétablit point entre les deux époux, qui continuèrent à vivre séparés. Lebrun mourut le 6 août 1815; et voici la froide oraison funèbre que lui consacre sa veuve : <<< Depuis bien <<< longtemps, il est vrai, je n'avais plus aucune « espèce de relation avec lui; mais je n'en fus << pas moins douloureusement affectée de sa mort:

< on ne peut, sans regret, se voir séparée pour

(1) Souvenirs de madame Lebrun, t. ler,

(2) La table du Moniteur indique ce fait, mais sous une fausse date.

(3) Madame Lebrun rappelle, dans ses Souvenirs, que son mari avait prêté cette même salle pour y célébrer la messe, alors que toutes les églises étaient fermées.

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les moyens d'encourager la peinture, la sculpture,
l'architecture et la gravure, Paris, 1794, in-8°;
6o Examen historique et critique des tableaux ex-
posés provisoirement, venant de Milan, Paris, 1798,
in-8°.
D-R-R.

LEBRUN (MARIE-LOUISE-ELISABETH VIGÉE, femme), épouse du précédent, peintre de portraits et d'histoire, a mérité, par les charmes de sa personne et de son esprit, de prendre un rang distingué parmi les femmes les plus célèbres de notre époque. Née le 16 avril 1755, d'un peintre estimé, surtout dans le genre du portrait, elle apprit la peinture, pour ainsi dire sans maltre, dans la maison paternelle (1). A quinze ans, elle peignit le portrait de sa mère avec une vérité de ressemblance, une grâce de pinceau qui ont placé ce tableau dans la série de ses meilleures productions. J. Vernet, l'ayant vu, voulut que l'auteur se présentât à l'académie; mais son jeune âge mit obstacle à sa réception. Toute sa vie, madame Lebrun conserva ce portrait dans sa chambre. Ce fut le peintre Davesne qui lui apprit à charger une palette. Elle prit aussi des leçons de Briard, peintre médiocre, mais excellent dessinateur; enfin, Joseph Vernet, lui donna des conseils dont elle sut profiter. En 1768, elle perdit Louis Vigée, son père; elle avait alors treize ans; sa mère la conduisait à toutes les galeries où elle pouvait étudier les grands modèles. C'est alors que la jeune artiste, pour se fortifier, copia des tableaux de Rubens, des portraits de Rembrandt, de Van Dyck, et plusieurs têtes de jeunes filles de Greuze. Elle dut à ce travail l'étude si

(1) « Je me souviens qu'à l'âge de sept ou huit ans, dit-elle « dans ses Souvenirs, je dessinais un homme à barbe que j'ai « toujours gardé. Je le fis voir à mon père, qui s'écria, trans« porté de joie: " Tu seras peintre, mon enfant, ou jamais il « n'en sera. Doyen, peintre du roi, fut si ravi de ce dessin, qu'il s'empressa de l'acheter.

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