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pondéré. Le Greco prodigue la lumière, Velasquez la distribue comme une matière précieuse... Le Greco fut un artiste entre les artistes, avant Rembrandt; Velasquez est l'unique, il est le protégé des dieux, le miracle du génie. Cette fois, c'est M. Dieulafoy qui devient lui-même lyrique, mais comme il s'agit de Velasquez, il n'y a qu'à approuver; ce n'est pas nous qui risquerons la moindre réticence à ce sujet. Murillo a, bien entendu, sa part de gloire. On ne peut que souscrire à tout ce qu'en dit M. Dieulafoy.

En traitant des arts mineurs, l'auteur aurait pu donner une idée d'ensemble du mobilier espagnol d'alors et notamment de ces bargueños, de ces escaparates, de ces cabinets si riches et si pittoresques qui ornaient les demeures des grands. On fabriqua encore des guadamaciles pendant tout le xviie siècle. Les orfèvres ne travaillaient pas seulement pour les églises; la vaisselle plate était le grand luxe espagnol, l'argenterie couvrait les dressoirs et remplissait les coffres des grandes maisons.

Le xviie siècle paraît bien vide après les splendeurs du siècle d'or, cependant l'architecture borrominesque, importée en Espagne par l'Italien Crescenzi et portée à son complet développement par José Churriguera, est incontestablement plus intéressante que l'art pauvre et guindé de Herrera.

Avec le churrigueresque les Espagnols ont retrouvé la richesse et la fantaisie du plateresque, aussi le nom de néo-plateresque proposé par M. Dieulafoy pour cette phase de l'art espagnol est-il juste et bien choisi. Après avoir été longtemps critiqué par tous les artistes, le style churrigueresque trouve aujourd'hui des défenseurs: M. Dieulafoy lui-même lui est indulgent, M. Lámperez a trouvé peut-être la vraie raison qui rend le néo-plateresque médiocre à côté de l'ancien, c'est la faiblesse générale de l'exécution. Si le churrigueresque était exécuté avec la finesse que possédaient les ornemanistes du xvie siècle, ses défauts s'atténueraient en grande partie et plus d'une de ses créations apparaîtrait comme charmante. La porte de la Casa Dos-Aguas à Valence est de meilleure main que beaucoup d'autres constructions de la même époque et produit certainement grand effet.

Les constructions de Philippe V, à la Granja et au Palais royal de Madrid, se ressentent des goûts personnels du roi pour le classique un peu apprêté de notre XVIIe siècle. Le Palais de Madrid n'est certes pas une belle œuvre, mais on comprend très bien que des hommes de génie médiocre aient goûté cette froide et insignifiante bâtisse. C'est avec lui que commence la réaction classique contre les audaces du néo-plateresque; Sacchetti, c'est Herrera qui recommence à raboter les façades, à tout réduire à l'ordonnance. Le palais de Riofrio, que ne cite pas M. Dieulafoy, est le dernier mot de cet art pour casernes et pour

hôpitaux. La basilique du Pilar ne mérite peut-être pas tout le mal qu'on en a dit; le templete de Ventura Rodriguez vaut mieux que le trasparente de Tolède et quand l'immense basilique reflétera dans les eaux de l'Èbre ses quatre tours d'angle, ses coupoles mineures et ses trois dômes, l'ensemble ne manquera ni de grandeur, ni de pittoresque. M. Dieulafoy aurait pu citer encore le couvent de Loyola dont le portail de marbre noir et le dôme sont réellement d'un grand style.

Il a eu raison de louer comme il l'a fait les travaux d'utilité publique entrepris au XVIIIe siècle. Le pont de Ronda qui domine de 200 mètres le Guadalevin (et non pas le Guadalquivir, fort étonné de se trouver là) est un ouvrage digne des Romains.

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La sculpture polychrome a donné encore quelques chefs-d'œuvre. M. Dieulafoy cite avec éloge le Christ flagellé de Salvador Carmona à la cathédrale de Salamanque et le Chef de saint Paul de Juan Alonso Villabrille du Musée de Valladolid. Il est juste pour Zarcillo de Murcie, un grand artiste tué par la surproduction et le caractère ingrat de son milieu. Que de choses il y aurait à ajouter sur la décoration intérieure des églises au XVIIIe siècle !... Les chapelles de la Seo de Saragosse, la chapelle Saint-Narcisse à S. Feliu-de-Girone, la chapelle Sainte-Thècle à la cathédrale de Tarragone, la chapelle de la Vierge de la Ceinture à la cathédrale de Tortose, les grands retables de bois doré du Salvador de Séville, la Santa Cueva de Manresa, la Vierge churrigueresque du musée de Vich, le portail de Belem à Barcelone.

M. Dieulafoy dit quelques mots de la sculpture néo-classique du XVIIIe siècle, dans laquelle il constate avec raison l'influence de l'art français. Il faut lui savoir gré de n'avoir mentionné ni la Cybèle, ni surtout le Neptune du Prado. La sculpture païenne, renouvelée de l'antique, ne devait trouver de vrais maîtres en Espagne qu'au XIXe siècle.

La peinture, au contraire, y eut en Goya un des plus grands artistes de l'Espagne. M. Dieulafoy lui rend pleine justice, un peu trop, peut-être, aux dépens de ses prédécesseurs nationaux ; il ne dit rien du Catalan Viladomat, que Mengs regardait comme le meilleur peintre espagnol de son temps, il ne cite ni Luján Martinez, ni Tranilles, ni Eximeno, ni Llorente, ni Fray Antonio de Villanueva, ni Cristoval Valero, ni Joseph Vergara, ni Juan de Espinal, ni Alonso Miguel de Tobar qui continuèrent les traditions de la peinture espagnole et ne furent pas toujours sans mérite. Il eût fallu accorder au moins une mention à Guillermo Mezquida, natif de Majorque, qui travailla à Bologne et à Rome et fut peintre de l'électeur de Cologne; un autre artiste espagnol, l'Andalou Francisco Preciado de la Vega passa presque toute sa vie à Rome et y présida par deux fois l'Académie de Saint-Luc.

L'Espagne du XVIIIe siècle eut une école de gravure qui aurait au moins mérité les honneurs d'une mention. Antonio Palomino fut un prodige de volonté. Tomas Prieto et José Eximeno ont laissé des œuvres remarquables.

Manuel Salvador Carmona, élève de Dupuis, Pascual Pedro Moles formé à l'École Parisienne, sont comparables à nos meilleurs graveurs français. On ne peut parler de Goya et passer sous silence comme le fait M. Dieulafoy tout son œuvre d'aquafortiste et de lithographe. C'est là réellement un oubli fâcheux. Certes Goya est un grand peintre, le portrait d'Isabelle de Cobos y Porcel, dont M. Dieulafoy nous donne une planche en couleur, est de tous points exquis, mais il eût fallu faire une large place aux Caprices, aux malheurs de la guerre, à la Tauromachie; nous dirions volontiers que le graveur est plus intéressant encore que le peintre, et que nul n'a su mieux exprimer les sentiments les plus intimes de l'âme espagnole.

Il n'est peut-être pas très exact de vanter « la douceur de vivre que connut l'Espagne sous le règne de Charles IV », elle ressemble un peu trop à celle que nous connaissons aujourd'hui dans l'époque troublée et au milieu de l'anarchie dépensière où nous vivons; en tous cas, il y eut à cette époque, en Espagne, un développement incontestable du luxe privé et il eût été bon d'en donner au moins une idée d'ensemble, de nommer, par exemple, la Casa del labrador édifiée pour la reine Marie-Louise dans le parc d'Aranjuez, l'hôtel de l'Amirautė, bâti par Godoy, le ministère actuel de la guerre, bâti par la duchesse d'Albe, et de montrer ce qu'étaient les intérieurs luxueux de cette époque tendus de damas, ornés de tableaux et de miroirs, décorés de tables de marqueterie, de cabinets de style rocaille, de fauteuils dorés, de chaises en bois rares, de lits en vernis martin ou en bois sculpté.

Le chapitre nous semble en somme un peu succinct, mieux eût valu peutêtre parler moins longtemps de l'art persan au début, et garder un peu plus de place pour l'art somptueux et amusant du XVIIIe siècle.

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Quatorze pages seulement représentent toute la part faite au XIXe siècle : c'est une course au clocher qui nous permet à peine d'entrevoir en passant le campanile d'Atocha, le chantier de l'Almudena et les flèches timides de Covadonga. M. Dieulafoy a le courage d'avouer sa sympathie artistique pour Antonio Gaudi, le grand maître d'œuvres catalan; ce point mérite d'être signalé, car peu de Français seraient capables de montrer pareille largeur d'esprit et pareille absence de préjugés. Il fait un juste éloge de l'art catalan, tel que le comprennent José Puig, Luis Domenech, Enrique Sagnier. Il met bien en valeur le mérite de la belle école moderne de sculpture et loue comme il convient le magnifique tombeau de Christophe Colomb, élevé par Mélida dans la cathédrale de Séville. Pour la peinture, peut-être est-il un peu indulgent pour l'école historique et romantique qui a sévi si longtemps sur l'art castillan, et un peu bref sur l'école contemporaine, si variée et si brillante; il

la signale du moins à l'attention du lecteur, il le laisse sous cette impression très juste que l'Espagne artistique est toujours en pleine vie, pleinement consciente de son histoire, de ses traditions et toujours confiante dans ses destinées. Nous ne connaissons pas suffisamment l'art portugais n'ayant fait encore que l'entrevoir pour parler du dernier chapitre de M. Dieulafoy. Nous avons dit très franchement ce qu'il nous semble de son livre, nous pensons qu'il a sa place marquée dans la bibliothèque de tout hispanisant.

G. Desdevises du Dezert.

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I. TABLE PAR NUMÉROS

NUMÉRO 83 – FÉVRIER 1915

Hugo A. RENNert. Bibliography of the Dramatic Works of Lope de
Vega Carpio, based upon the Catalogue of John Rutter Chorley.....

COMPTES RENDUS

I

Jean-Henri Probst. Caractère et origine des idées du Bienheureux Raymond Lulle. Toulouse, 1912 [G. Desdevises du Dezert]........ Antonio Cortés. La arquitectura en México. Iglesias. Obra formada bajo la dirección de Genaro Garcia. México, 1914 [G. DesdevisES DU DEZERT]..

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R. FOULCHÉ-DELBOSC. - Bibliographie espagnole de Fray Antonio de

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Histoire générale de l'art. Marcel Dieulafoy. Espagne et Portugal.
Paris, 1913 [G. Desdevises du Dezert]..

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