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le dit encore.

Il n'y a guères que les traductions des livres hébreux en mauvais latin, qui ayent employé le mot de fpiritus en ce fens.

Manes, umbræ, fimulacra, font les expreffions de Cicéron & de Virgile. Les allemands difent geeft, les anglois ghost, les espagnols duende, trafgo; les Italiens femblent n'avoir point de terme qui fignifie_revenant. Les françois feuls fe font fervis du mot Efprit. Le mot propre pour toutes les nations doit être fantôme, imagination, rêverie, fottife, friponnerie.

Quand une nation commence à fortir de la barbarie, elle cherche à montrer ce que nous appelons de l'Esprit.

Ainfi, aux premières tentatives qu'on fit fous François I, vous voyez dans Marot des pointes, des jeux de mots, qui feroient aujourdhui intolérables.

Romorentin fa perte remémore,

Cognac s'en cogne en fa po trine blême,
Anjou fait joug, Angoulême eft de même.

Ces belles idées ne fe préfentent pas d'abord pour marquer la douleur des peuples. Il en a couté à l'imagination, pour parvenir à cet excès de ridicule.

On pourroit apporter plufieurs exemples d'un goût fi dépravé; mais tenons-nous-en à celui-ci qui eft le plus fort de tous.

Dans la feconde époque de l'Efprit humain en France, au temps de Balzac, de Mairet, de Rotrou, de Corneille, on applaudiffoit à toute pensée qui furprenoit par des images nouvelles qu'on appeloit Efprit. On reçut très-bien ces vers de la tragédie de Pyrame:

Ah! voici le poignard qui du fang de fon maître
Eft encor tout fanglant; il en rougit, le traître.

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que

Le foleil qui fuit parce qu'il eft moins clair le vifage d'Andromède, vaut bien le poignard qui rougit.

Si de tels efforts d'ineptie trouvoient grâce devant un Public dont le goût s'eft formé fi difficilement, il ne faut pas être furpris que des traits d'Efprit qui avoient quelque lueur de beauté ayent long temps féduit.

Non feulement on admiroit cette traduction de l'espagnol :

Ce fang qui tout verfé fume encor de courroux
De fe voir répandu pour d'autres que pour vous;

non feulement on trouvoit une finesse très - fpirituelle dans ce vers d'Hipfipile à Médée dans la Toifon d'or:

Je n'ai que des attraits, & vous avez des charmes :

mais on ne s'appercevoit pas, & peu de connoiffeurs s'apperçoivent encore, que, dans le rôle impofant de Cornélie, l'auteur met prefque toujours de l'Efprit où il falloit feulement de la douleur. Cette femme dont on vient d'affaffiner le mari, commence fon difcours étudié à Céfar, par un car:

Céfar, car le destin, que dans tes fers je brave,
M'a fait ta prifonnière & non pas ton esclave;
Et tu ne prétends pas qu'il m'abaisse le cœur
Jufqu'à te rendre hommage & te nommer feigneur.

Elle s'interrompt ainfi dès le premier mot, pour dire une chofe recherchée & fauffe. Jamais une citoyenne romaine ne fut efclave d'un citoyen romain; jamais un romain ne fut appelé feigneur; & ce mot feigneur n'eft parmi nous qu'un terme d'honneur & de rempliffage ufité au theatre.

Fille de Scipion, & pour dire encor plus,
Romaine, mon courage eft encor audessus.

Outre le défaut fi commun à tous les héros de Corneille, de s'annoncer ainfi eux-mêmes, de dire:

Je fuis grand, j'ai du courage, admirez-moi; il y a ici une affectation bien condannable de parler de fa naiffance quand la tête de Pompée vient d'être préfentée à Céfar. Ce n'eft point ainfi qu'une affliction véritable s'exprime. La douleur ne cherche point à dire encor plus. Et ce qu'il y a de pis, c'eft qu'en voulant dire encor plus, elle dit beaucoup moins. Etre romaine eft fans doute moins que d'être fille de Scipion & femme de Pompée. L'infame Septime, affaffin de Pompée, étoit romain comme elle. Mille romains étoient des hommes très-médiocres; mais être femme & fille des plus grands des romains, c'étoit là une vraie fupériorité. Il y a donc dans ce difcours de l'Esprit faux & déplacé, ainfi qu'une grandeur fauffe & déplacée. Enfuite elle dit après Lucain, qu'elle doit rougir d'être en vie :

Je dois rougir pourtant, après un tel malheur,
De n'avoir pu mourir d'un excès de douleur.

Lucain, après le beau fiècle d'Augufte, cherchoit de l'Esprit, parce que la décadence commençoit; & dans le fiècle de Louis XIV on commença par vouloir étaler de l'Esprit, parce que le bon goût n'étoit pas encore entièrement formé comme il le fut depuis.

Célar, de ta victoire écoute moins le bruit,
Elle n'eft que l'effet du malheur qui me fuit.

Quel mauvais artifice, quelle idée fauffe autant qu'imprudente! Céfar ne doit point, felon elle, écouter le bruit de la victoire. Il n'a vaincu à Pharfale que parce que Pompée a époufé Cornélie! Que de peine pour dire ce qui n'eft ni vrai, ni vraisemblable, ni convenable, ni touchant!

Deux fois du monde entier j'ai caufé la difgrâce.

C'eft le bis nocui mundo de Lucain. Ce vers préfente une très-grande idée. Elle doit furprendre, il n'y manque que la vérité. Mais il faut bien remarquer que fi ce vers avoit feulement une foible lueur de vraisemblance, & s'il étoit échapé aux emportements de la douleur, il feroit admirable; il auroit alors toute la vérité, toute la beauté de la convenance théâtrale.

Heureufe en mes malheurs, fi ce trifte hyménée

Pour le bonheur du monde à Rome m'eût donnée,
Et fi j'euffe avec moi porté dans ta maison
D'un aftre envenimé l'invincible poison;
Car enfin n'attends pas que j'abaiffe ma haîne;

Je te l'ai déja dit, Céfar, je fuis romaine;
Et quoique ta captive, un cœur tel que le mien,
De peur de s'oublier, ne te demande rien.

C'eft encore de Lucain; elle fouhaite dans la Pharfale d'avoir épousé Céfar, & de n'avoir eu à fe louer d'aucun de fes maris :

Atque utinam in thalamis invifi Cafaris effem
Infelix conjux & nulli lata marito.

Ce fentiment n'eft point dans la nature; il est à la fois gigantefque & puéril: mais du moins ce n'eft pas à Cefar que Cornélie parle ainfi dans Lucain. Corneille au contraire fait parler Cornélie à Céfar même; il lui fait dire qu'elle fouhaite d'être fa femme, pour porter dans fa maifon le poifon invincible d'un aftre envenimé; car, ajoûte-t-elle, ma haîne ne peut s'abaiffer, & je t'ai déja dit que je fuis romaine, & je ne te demande rien. Voilà un fingulier raifonnement ; je voudrois t'avoir épousé pour te faire mourir, car je ne te demande rien. Ajoutons encore que cette veuve accable Céfar d'injures, dans le moment où Céfar vient de pleurer de Pompée & qu'il a promis de la

la mort

venger.

Il eft certain que fi l'auteur n'avoit pas voulu donner de l'Esprit à Cornélie, il ne feroit pas tombé dans ces défauts qui fe font fentit aujourdhui après avoir été applaudis fi long temps. Les actrices ne peuvent plus guères les pallier que par une fierté étudiée & des éclats de voix féducteurs.

Pour mieux connoitre combien l'Esprit feul eft au deffous des fentiments naturels, comparez Cornélie avec elle-même, quand elle dit des chofes toutes contraires dans la même tirade:

Encore ai-je fujet de rendre grâce aux dieux
De ce qu'en arrivant je te trouve en ces lieux,
Que Céfar y commande & non pas Ptolomée.
Hélas! & fous quel astre, ô Ciel ! m'as-tu formée?
Si je leur dois des vœux de ce qu'ils ont permis
Que je rencontre ici mes plus grands ennemis,
Et tombe entre leurs mains plus tôt qu'aux mains d'un
prince,

Qui doit à mon époux fon trône & fa province.

Paffons fur la petite faute de ftyle, & confidérons combien ce difcours eft décent & douloureux ; il va au cœur : tout le refte éblouit l'Esprit un moment & enfuite le révolte.

Ces vers naturels charment tous les fpecta

teurs :

O vous! à ma douleur objet terrible & tendre,
Éternel entretien de haîne & de pitié,

Reftes du grand Pompée, écoutez la moitié, &c.

C'est par ces comparaifons qu'on fe forme le goût, & qu'on s'accoutume à ne rien aimer que le vrai mis à fa place. (Voyez GOUT.)

Cléopatre dans la même tragédie s'exprime ainsi à fa confidente Charmion:

Apprends qu'une princesse aimant fa renommée,
Quand elle dit qu'elle aime, eft sûre d'être aimée;
que les plus beaux feux dont fon cœur foit épris
Ne fauroient l'expofer aux hontes d'un mépris.

Et

Charmion pouvoit lui répondre: Madame, je n'entends pas ce que c'est que les beaux feux d'une

princeffe qui n'oferoient l'expofer à des hontes. Et à l'égard des princeffes qui ne difent qu'elles aiment que quand elles font sûres d'être aimées, je fais toujours le rôle de confidente à la comédie, & vingt princeffes m'ont avoué leurs beaux feux fans être sûres de rien, & principalement l'infante du Cid.

Allons plus loin. Céfar, Céfar lui même ne parle à Cléopatre que pour montrer de l'Esprit alambiqué:

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Mais, ô Dieux! ce moment que je vous ai quittée
D'un trouble bien plus grand a mon ameagitée,
Et ces foins importants qui m'arrachoient à vous

Contre ma grandeur même allumoient mon courroux;

Je lui voulois du mal de m'être fi contraire...

Mais je lui pardonnois, au fimple fouvenir

Du bonheur qu'à ma flamme elle fait obtenir :
C'est elle dont je tiens sette haute espérance
Qui flatte mes défirs d'une illuftre apparence.
C'étoit pour acquérir un droit fi précieux,
Que combattoit partout mon bras ambitieux;
Et dans Pharfale même il a tiré l'épée,

Plus pour le conferver que pour vaincre Pompée.

Voilà donc Céfar qui veut du mal à fa grandeur de l'avoir éloigné un moment de Cléopatre, mais qui pardonne à fa grandeur en fe fouvenant que cette grandeur lui a fait obtenir le bonheur de fa Aamme. Il tient la haute efpérance d'une illuftte apparence; & ce n'eit que pour acquérir le droit précieux de cette illuftre apparence que fon bras ambitieux a donné la bataille de Pharfale.

On dit que cette forte d'Efprit, qui n'eft, il faut le dire, que du galimathias, étoit alors l'Esprit du temps. C'eft cet abus intolérable que Molière profcrivit dans fes Précieufes ridicules.

Ce font ces défauts trop fréquents dans Corneille que La Bruyère défigna, en dilant: J'ai cru dans ma première jeune fe que ces endroits étoient clairs, intelligibles pour les acteurs, pour le parterre & l'amphitheatre, que leurs auteurs s'entendoient eux-mêmes, & que j'avois tort de n'y rien comprendre. Je fuis détrompé.

Nous avons relevé ailleurs l'affectation fingulière où eft tombé La Motte dans fon abrégé de l'Iliade, en faifant parler avec Efprit toute l'armée des grecs à la fois.

Tout le camp s'écria dans une joie extrême :

Que ne vaincra-t-il point? il s'eft vaincu lui-même!

C'eft là un trait d'Efprit, une espèce de pointe & de jeu de mots. Car s'enfuit-il de ce qu'un homme a dompté fa colère qu'il fera vainqueur dans le combat? Et comment cent-mille hommes peuventils dans un même inftant s'accorder a dire un rébus, ou, fi l'on veut, un bon mot?

En Angleterre, pour exprimer qu'un homme a beaucoup d'Esprit, on dit qu'il a de grandes

parties, great parts. D'où cette manière de parler, qui étonne aujourdhui les françois, peut-elle venir? d'eux-mêmes. Autrefois nous nous fervions de ce mot parties très - communément dans ce fens-là. Clélie, Caffandre, nos autres anciens romans ne parlent que des parties de leurs héros & de leurs héroïnes, & ces par ies font leur Efprit. On ne pouvoit mieux s'exprimer. En effe:, qui peut avoir tout: Chacun de nous n'a que fa petite portion d'intelligence, de mémoire, de fagacité, de profondeur d'idées, d'étendue, de vivacité, de fineffe. Le mot de parties eft le plus convenable pour des êtres auffi foibles que l'homme. Les françois ont laiffé échaper de leurs dictionnaires une expreffion don: les anglois fe font faifis. Les anglois fe font enrichis plus d'une fois à nos dépens.

Plufieurs écrivains philofophes fe font étonnés de ce que tout le monde prétendant à l'Esprit, perfonne n'ose se vanter d'en avoir.

L'envie, a-t-on dit, permet à chacun d'être le panegyrifte de fa probité & non de fon Efprit. L'envie permet qu'on faffe l'apologie de fa probité, non de fon Efprit, pourquoi? c'est qu'il eft très néceffaire de paffer pour homme de bien, & point du tout d'avoir la réputation d'homme d'Efprit.

On a ému la queftion fi tous les hommes font nés avec le même Efprit, les mêmes difpofitions pour les fciences, & que tout dépend de leur éducation & des circonftances où ils fe trouvent. Un philofophe qui avoit droit de fe croire né avec quelque fupériori é, prétendit que tous les Efprits font égaux; cependant on a toujours vu le contraire. De quatre-cents enfants élevés enfemble fous les mêmes maîtres, dans la même difcipline, à peine y en a-t-il cinq ou fix qui faffent des progrès bien marqués. Le grand nombre est toujours des médiocres, & parmi ces médiocres il y a des nuances; un mot les Efprits diffèrent plus que les vilages.

en

ESPRIT faux. Il y a malheureufement bien des manières d'avoir l'Esprit faux. 1°. De ne pas exprimer fi le principe eft vrai lors même qu'on en dédui: des conféquences juftes, & cette manière eft.

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méchant, mais parce qu'ils n'étoient pas affez éclairés. (VOLTAIRE.)

(N.) ESPRIT, RAISON, BON-SENS, JUGEMÈNT, ENTENDEMENT, CONCEPTION, INTELLIGENCE, GÉNIE. Synonymes.

Le fens littéral d'Esprit eft d'une vaste étendue : il renferme même tous les divers fens des autres mots qui lui fon: joints ici en qualité de fynonymes; & par conféquent il eft le fondemen: du rapport & de la reffemblance qu'ils ont entre eux. Mais ce mot a auffi un fens particulier & d'un ufage moins étendu, qui le diftingue & en fait une des différences comprifes fous l'idée commune. C'eft felon cette idée par iculière qu'il eft ici placé, défini, & caractérifé. J'ai cru ce préliminaire néceffaire pour aller au devant d'une critique trop précipitée, & pour mettre le lecteur plus au fait des caractères fuivants.

L'Efprit eft fin & délicat ; mais il n'eft pas abfolument incompatible avec un peu de folie ou d'étourderie: fes productions font brillantes, vives, & ornées; fon propre eft de donner du tour à ce qu'il dit, & de la grâce à ce qu'il fai:. La Raifon eft fage & modérée; elle ne s'accommode d'aucune extravagance; tout ce qu'elle fait ne fort point de la règle; fes difcours font convenables au fujet qu'elle traite, & fes actions ont toute la décence qu'exigent les circonftances. Le Bon-fens eft droit & sûr; fon objet ne va pas au delà des chofes communes; il empêche d'être la dupe des charlatans & des fripons; il ne donne ni dans le ridicule du langage affecté, ni dans le travers de la conduite capricieufe. Le Jugement eft folide & clairvoyant ; il bannit l'air imbécile & nigaud; met aifément au fait des chofes; parle & agit en conféquence de ce qu'on dit & de ce qu'on propofe. L'Entendement eft méthodique & conféquent; il fe fonde fur des principes, & met en garde contre l'erreur; il ne fe fert que des termes propres, & s'énonce avec précifion. La Conception eft nette & prompte; elle épargne les longues explications; elle donne beaucoup d'ouverture pour les fciences & pour les arts; met de la clarté dans les expreffions, & de l'ordre dans les ouvrages. L'Intelligence eft habile & pénétrante; elle faifit les chofes abftraites & difficiles; rend les hommes propres aux divers emplois de la fociété civile; fait qu'on s'énonce en termes corrects, & qu'on exécute régulièrement. Le Génie eft heureux & fécond; c'eft plus un don de la nature qu'un ouvrage de l'éducation; quand on a foin de le cultiver, on en eft toujours récompensé par le fuccès; il met du caractère & du goût dans tout ce qui part de lui.

Un galant homme ne fe pique point d'Efprit; s'attache à avoir de la Raifon; veille à ne fe point écarter du Bon-fens; travaille à former fon Jugement; exerce fon Entendement; cherche à rendre fa Conception jufte; fe procure en toutes chofes le plus d'Intelligence qu'il peut; & fuit fon

Génie.

La bêtife eft l'oppofé de l'Efprit; la folie l'eft de la Raifon; la fotife l'eft du Bon-fens; l'étourderie l'eft du Jugement; l'imbécilité l'eft de l'Entendement; la ftupidité l'eft de la Conception; l'incapacité l'eft de l'Intelligence ; & l'inéptie (a) l'eft du Génie.

Il faut dans le commerce des dames, de l'Ef prit, ou du jargon qui en ait l'apparence. L'on n'eft obligé qu'à fournir de la Raifon dans les cercles d'amis. Le Bon-fens convient avec tout le monde. Le Jugement eft néceffaire pour fe maintenir dans la fociété des Grands. L'Entendement eft de mife avec les politiques & les courtifans. La Conception fait goûter les converfations inftructives & favantes. L'Intelligence eft utile avec les ouvriers & dans les affaires. Le Génie eft propre avec les gens à projets & à dépenfe. Voy. GÉNIE, ESPRIT. Syn. (L'abbé GIRARD.)

pas

ESQUISSE, f. f. Belles-Lettres. Poefie. On appelle ainfi en Peinture un tableau qui n'eft fini, mais où les figures, les traits, les effets de lumière & d'ombre font indiqués par des touches légères. La même expreffion s'applique à la Poéfie: mais à l'égard de celle-ci, elle exptime réellement la grande manière de peindre ; car la defcription poétique n'eft prefque jamais un tableau fini,& rarement elle doit l'être.

Sur la toile du peintre on ne voit guère que ce que l'artifte y a mis, au lieu que dans une peinture poétique chacun voit ce qu'il imagine : c'eft le fpectateur qui, d'après quelques touches du poète, le peint lui-même l'objet indiqué. Réuniffez tous les peintres célèbres, & demandez-leur de copier Hélène d'après Homère, Armide d'après le Talle, Eve d'après Milton, Corine & Délie d'après Ovide & Tibulle, l'efclave d'Anacréon d'après le portrait détaillé qu'en a fait ce poète voluptueux; toutes ces copies auront quelque chofe d'analogue entre elles; mais de mille il n'y en aura pas deux qui fe reffemblent au point de faire deviner que l'original eft le même. Chacun fe fait une Eve, une Armide, une Hélène, & c'eft un des charmes de la Poéfie de nous laiffer le plaifir de créer. Inceffu patuit dea, me dit Virgile. C'est à moi à me peindre Vénus.

Stat fonipes, ac frana ferox Spumantia mandit. C'eft à moi à tirer de là l'image d'un courfier fuperbe.

Mille trahens varios adverfo fole colores.
Ne croit-on pas voir l'arc-en-ciel?

Hic gelidi fontes, hic mollia prata, Lycori,
Hic nemus; hic ipfo tecum confumerer avo.

(a) Selon le Didion. de l'Académ. 1762, Ineptie veut dire abfurdité, fotife, impertinence: ce ne peut être la penfée de l'auteur. Je crois qu'il a voulu dire Inaptitude, défaut d'aptitude ou de difponition à quoi que ce foit. (M. BEAUZEE.)

Il n'en faut pas davantage pour fe représenter un payfage délicieux. Nunc feges ubi Troja fuit. In claffem cadit omne nemus. Voilà des tableaux elquiffés d'un feul trait.

Le Taffe parle en maître fur l'art de peindre en Poefie avec plus ou moins de détail, felon le plus ou le moins de gravité du style, en quoi il compare Virgile & Pétrarque.

Dederatque comas diffundere ventis,

dit Virgile, en parlant de Vénus déguisée en chaffereffe. Pétrarque dit la même chofe, mais d'un ftyle plus fleuri:

Erano i capei d'oro à l'aura sparfi,
Ch' in mille dolci nodi gli avolgea.

Ambrofiaque come divinum vertice odorem
Spiravêre.
Virgile.

E tuto il ciel, cantando il fuo bel nome,
Sparfer di rofe i pargoletti amori. Pétrarque.

E l'uno, e l'altro conobbe il convenevole nella fua
Pocfia. Perche Virgilio fuperò tutti poete heroici di gra-
vità, il Petrarca tutti gli antichi lirici di vaghezza.
Le Taffe.

Le poète ne peut ni ne doit finir la peinture de la beauté phyfique : il ne le peut, manque de moyens pour en exprimer tous les traits avec la correction, la délicateffe que la nature y a mise, & pour les accorder avec cette harmonie, cette unité, d'où dépend l'effet de l'enfemble; il ne le doit pas, en eût-il les moyens, par la raison que plus il détaille fon objet, plus il affujettit notre imagination à la fienne. Or quelle eft l'intention du poète? Que chacun de nous fe peigne vivement ce qu'il lui préfente. Le foin qui doit l'occuper eft donc de nous mettre fur la voie, & il n'a befoin cela que de quelques traits vivement touchés.

Belle fans ornement, dans le fimple appareil
D'une Beauté qu'on vient d'arracher au fommeil.

pour

Qui de nous, à ces mots, ne voit pas Junie comme Néron vient de la voir: Mais il faut que ces traits qui nous indiquent le tableau que nous avons à peindre, foient tels que nous n'ayons aucune peine à remplir les milieux. L'art du poète confifte alors à marquer ce qui ne tombe pas fous les fens du commun des hommes, ou ce qu'ils ne faififfent pas d'eux-mêmes avec affez de délicateffe ou de force; & à paffer fous filence ce qu'il eft facile d'imaginer. (M. MARMONTEL.)

ET, conjonction copul. Grammaire. Ce mot marque l'action de l'efprit qui lie les mots & les phrafes d'un difcours, c'est à dire, qui les confidère Tous le même rapport. Nous n'avons pas oublié cette particule au mot CONJONCTION; cependant il ne Tera pas inutile d'en parler ici plus particulièrement.

1. Notre & nous vient du latin &. Nous l'écrivons de la même manière, mais nous n'en pronon

:

çons jamais le t, même quand il eft fuivi d'ane voyelle c'eft pour cela que, depuis que notre Pochie s'eft perfectionnée, on ne met point en vers un & devant une voyelle, ce qui feroit un bâillement ou hiatus que la Poéfie ne fouffre plus; ainfi, on ne diroit pas aujourdhui :

Qui fert & aime Dieu, possède toutes chofes.

2o. En latin let de l'& eft toujours prononcé; de plus l'& eft long devant une confonne, & il eft bref quand il précède une voyelle :

Qui mores hominum multorum vīdīt ět ŭrbēs. Horat. de Arte poëticâ, v. 143.

Reddere qui voces jam feit puer, ēt pědě cērtě Signat humum; geftit paribus collūdére, ét īrām Colligit et ponit temerè, et mutatur in horas.

Ibid. v. 158.

3°. Il arrive fouvent que la conjonction & paroît d'abord lier un nom à un autre, & le faire dépendre d'un même verbe; cependant quand on continue de lire, on voit que cette conjonction ne lie que les propofitions, & non les mots. Par exemple, César a égalé le courage d'Alexandre, & fon bonheur a été fatal à la république romaine: il femble d'abord que bonheur dépende d'égalé, auffi bien que courage; cependant bonheur eft le fujet de la propofition fuivante. Ces fortes de constructions font des phrafes louches, ce qui eft contraire à la netteté.

4. Lorsqu'un membre de période eft joint au précédent par la conjonction &, les deux corrélatifs ne doivent pas être féparés par un trop grand nombre de mots intermédiaires, qui empêchent d'appercevoir aifément la relation ou liaifon des deux corrélatifs.

5o. Dans les dénombrements la conjonction & doit être placée devant le dernier fubftantif; la foi, l'ef pérance, & la charité. On met auffi & devant le dernier membre de la période: on fait mal de le mettre devant les deux derniers membres, quand il n'eft pas à la tête du premier.

Quelquefois il y a plus d'énergie de répéter &: je l'ai dit & à lui & à ja femme.

6°. Et même a fuccédé à voire méme, qui est aujourdhui entièrement aboli.

7°. Et donc : Vaugelas dit (Remarque 459.) que Coeffetau & Malherbe ont ufé de cette façon de parler: Je l'entends dire tous les jours à la Cour, pourfuit-il, à ceux qui parlent le mieux; il obferve cependant que c'eft une expreffion gafconne, qui pourroit bien avoir été introduite à la Cour, dit-il, dans le temps que les gafcons y étoient en règne : 'aujourdhui elle eft entièrement bannie. Au refte, je crois qu'au lieu d'écrire & donc, on devroit écrire hé donc ce n'eft pas la feule occafion où l'on a écrit & au lieu de l'interjection hé, & bien au lieu de hé bien, &c.

8°. La conjonction & eft renfermée dans la

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