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ROBERT ET CLAIRETTE

UN vent frais parcourait la plaine; mais il faisait lourd sous le feuillage. Les rayons du soleil couchant éclataient rouges parmi les rameaux, et le chant du grillon interrompait seul le religieux silence du soir.

La nature s'endormait ainsi dans son repos, quand Robert et Clairette dirigèrent leur promenade vers la source de la forêt, où ils avaient naguère échangé de tendres serments: c'était pour eux un lieu sacré.

Combien il s'était embelli depuis le jour de leur union! 10 Mille plantes y avaient fleuri, et la source s'en éloignait à regret, toute couverte de feuilles odorantes: douce retraite pour le voyageur qui venait parfois s'y reposer avec délices.

Et le rossignol chanta, et l'écho après lui, quand les 15 époux entrèrent dans le bocage; la pleine lune leur sourit à travers les branches des ormeaux, et la source les salua d'un murmure joyeux.

Clairette cueillit deux fleurs pareilles; puis, les livrant au cours de l'onde, les suivit des yeux avec crainte; mais, 20 bientôt, l'une se sépara de l'autre, et elles ne se rejoignirent plus.

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<< Oh! soupira Clairette tremblante, vois-tu, mon bienaimé, les deux fleurs qui cessent de nager ensemble, et puis l'une qui disparaît?

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Là-bas, dit Robert, elles vont se réunir sans doute.>>> La jeune fille cacha de ses mains son beau visage; et la lune sembla la regarder tristement, et le grillon chanta comme s'il gémissait. «Ma Clairette, dit Robert, oh! ne pleure donc pas, le voile de l'avenir est impéné30 trable.>>>

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Six mois s'étaient écoulés, lorsque la guerre éclata et appela aux armes le jeune époux. «Ma bien-aimée, s'écria-t-il, je te serai toujours fidèle.» Et il se prépara au départ.

Mais elle versait des torrents de larmes. << Bons soldats, s'écriait-elle, mon Robert sait aimer et ne sait pas tuer; ayez pitié de lui et de moi!» Vaines prières! Le

devoir est de fer pour ces hommes, et ils ont brusquement séparé les deux époux.

ΙΟ La jeune fille abandonnée gémit bien douloureusement; elle suivit des yeux son ami, qui, près de disparaître, agitait un mouchoir blanc, l'appelant encore, d'une voix pleurante; et elle ne le vit plus.

Tous les soirs, elle quitte la maison de sa mère, et tra15 versant les ombres de la nuit, elle va s'asseoir sur la montagne; là, sans cesse, elle étend les bras vers le chemin qu'il a suivi, mais ne le voit point revenir.

La source du bocage coule et coule toujours; l'été n'est plus, l'automne commence; le soleil se lève, se couche; 20 les nuages et les vents passent sur la montagne... Le bien-aimé ne revient pas.

La pauvre fille se fanait comme une rose; elle retourna un jour à la source de la forêt. « C'est ici, dit-elle, ici que j'ai vu la fleur disparaître... Où donc est l'autre, main25 tenant? En quel lieu Robert et Clairette se réuni

ront-ils ?>>>

Et, succombant aux chagrins de son cœur, elle tomba mourante sur la rive; mais des images célestes l'environnèrent à son dernier moment; le baiser d'un ange lui 30 ravit son âme, et la purifia des peines de ce monde.

Un vent léger murmure seul autour de son tombeau, où deux tilleuls jettent leur ombre; c'est là qu'elle dort saintement sous un tapis de violettes.

Un an écoulé, Robert revint avec des yeux où la vie

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s'éteignait, et des blessures, fruits d'une guerre sanglante: sa bien-aimée n'est plus, il l'apprend et s'en va reposer auprès d'elle.

Tous les soirs, une blanche vapeur s'élève de leur tombe; une jeune bergère la vit une fois lentement s'entr'ouvrir, et crut y distinguer deux ombres dont la vue ne l'effraya pas.

PSAUME

LES lunes roulent autour des terres, les terres autour des soleils, et des milliers de soleils autour du plus grand 10 de tous: Notre Père qui êtes aux cieux!

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Tous ces mondes, qui reçoivent et donnent la lumière, sont peuplés d'esprits plus ou moins forts, plus ou moins grands; mais tous croient en Dieu, tous mettent en lui leur espérance: Que votre nom soit sanctifié!

C'est lui! c'est l'Éternel, seul capable de se comprendre tout entier et de se complaire en lui même, c'est lui qui plaça au fond du cœur de toutes ses créatures le germe du bonheur éternel: Que votre règne arrive!

Heureuses créatures: lui seul s'est chargé d'ordonner 20 leur présent et leur avenir; qu'elles sont heureuses! que nous le sommes tous! Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel!

Il fait croître et grandir la tige de l'épi, il dore la pomme et le raisin avec les rayons du soleil ; il nourrit l'agneau 25 sur la colline et dans la forêt le chevreuil: mais il tient aussi le tonnerre, et la grêle n'épargne ni la tige ni la branche, ni l'animal de la colline, ni celui de la forêt: Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien!

Au-dessus du tonnerre et de la tempête, y a-t-il aussi

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des pécheurs et des mortels?... Là-haut aussi, l'ami devient-il ennemi, la mort sépare-t-elle ceux qui s'aiment? Pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés!

On ne monte au ciel, but sublime, que par des chemins difficiles: quelques-uns serpentent dans d'affreux déserts; mais, là aussi, de temps en temps, le plaisir a semé quelques fruits pour rafraîchir le voyageur... Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal! IO Adorons Dieu! adorons celui qui fait rouler autour du soleil d'autres soleils, des terres et des lunes; qui a créé les esprits et préparé leur bonheur; qui sème l'épi, commande à la mort et soulage le voyageur du désert tout en le conduisant au but sublime. Oui, Seigneur, nous vous 15 adorons, car à vous est l'empire, la puissance et la gloire. Amen.

LA NOBLE FEMME D'AZAN-AGA'

QU'APERÇOIT-ON de blanc, là-bas, dans la verte forêt? de la neige ou des cygnes? Si c'était de la neige, elle serait fondue; des cygnes, ils s'envoleraient. Ce n'est pas 20 de la neige, ce ne sont pas des cygnes, c'est l'éclat des

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tentes d'Azan-Aga. C'est là qu'il est couché, souffrant de ses blessures; sa mère et sa sœur sont venues le visiter; une excessive timidité retient sa femme de se montrer à lui.

Mais ses blessures vont beaucoup mieux, et il envoie dire ceci à son épouse fidèle: « Ne m'attends plus à ma cour, tu ne m'y verras plus, ni parmi les miens.>>

Lorsque l'épouse eut reçu ces dures paroles, elle resta interdite et profondément affligée: voilà qu'elle entendit

les pas d'un cheval devant la porte; elle crut que c'était son époux Azan qui venait, et monta dans sa tour pour s'en précipiter à sa vue. Mais ses deux filles s'élancèrent effrayées sur ses pas en versant des larmes amères: « Ce 5 n'est point le cheval de notre père Azan, c'est ton frère Pintorovitch qui vient.»>

Et l'épouse d'Azan court au-devant de son frère, l'entoure de ses bras en gémissant: «Vois la honte, mon frère, où ta sœur est réduite... Il m'a abandonnée!... 10 la mère de cinq enfants! >>>

Le frère se tait, il tire de sa poche la lettre de séparation, enveloppée de soie rouge, qui renvoie l'épouse à sa mère, et la laisse libre de se donner à un autre.

L'épouse, après avoir connu ce triste message, baise au 15 front ses deux fils, ses deux filles aux joues; mais, hélas! au moment de quitter son dernier enfant encore à la mamelle, sa douleur redouble et elle ne peut faire un pas.

Le frère, impatient, l'enlève, la met en croupe sur son cheval, et se hâte avec cette femme éplorée vers la de20 meure de ses pères.

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Peu de temps s'était écoulé, pas encore sept jours, mais c'était bien assez, que déjà plusieurs nobles seigneurs s'étaient présentés pour consoler notre veuve et la demander en mariage.

Et même le puissant cadi d'Imoski; et la femme fit en pleurant cette prière à son frère: « Je t'en conjure par ta vie, ne me donne pas à un autre époux, de peur qu'ensuite la vue de mes pauvres enfants ne me brise le cœur.>>

Le frère ne s'émut point de ces paroles, décidé à la don30 ner au cadi d'Imoski; mais la vertueuse femme le supplia enfin pour toute grâce d'envoyer au cadi un billet qui contenait ces mots : « La jeune veuve te salue amicalement, et, par la présente lettre, te supplie avec respect que, lorsque tu viendras accompagné de tes esclaves, tu lui ap

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