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Les Livres

LES ROMANS

CLAUDE ANET: Petite Ville (Éditions de La revue blanche.)

Je ne veux pas m'enquérir où gît cette petite ville de Valleyres où M. Marthe, professeur de piano, mourut d'être trompé par sa femme Zora; où Mme Bourrat employa son génie à ménager à sa fille d'horribles couches clandestines pour préserver le vieux nom des Bourrat et des Maigret; où Mme Duret sut faire respecter son adultère, et le marquis de Vouzins cacher les souvenirs d'un long inceste, tandis que la sage Mme Lanterle n'y fut jamais excusée d'être devenue mère avant le sacrement. Cette ville dont il raconte si simplement, si sobrement, si fortement, les scandales bruyants et les drames cachés, M. Claude Anet se porte garant qu'elle existe; je n'ai garde d'y contredire; les petites villes sont nombreuses; chacune vit à la fois de plusieurs existences; - d'autant d'existences qu'il se trouve d'esprits pour la voir ou l'imaginer. Et toutes ces existences sont également réelles; et si l'une d'elles, le temps d'une lecture, apparaît seule véritable, le mérite n'en revient pas à la nature qui la fit, mais au talent qui la sut recréer. C'est, pour une œuvre réaliste, un signe de médiocrité, que de provoquer sans cesse, comme une description scientifique, une comparaison avec les faits réels. Je reconnais au contraire l'excellence de Petite Ville à ce que le livre porte en soi sa raison d'être, sa vérité, son harmonie. J'y vois d'abord une œuvre d'art; et si j'y vois ensuite une œuvre réaliste, ce n'est pas qu'elle soit construite par un procédé d'exacte copie; mais c'est qu'elle tend à suggérer de préférence l'émotion particulière que nous appelons sentiment du réel.

Chaque espèce d'émotion s'exprime en littérature par un système de moyens appropriés, dont l'écrivain doit posséder la science ou du moins l'intuition. Edgar Poe a découvert les lois certaines qui gouvernent la production du poétique, du fantastique et du bizarre; non moins fixes sont les conditions qui règlent l'illusion du réel. La notation immédiate, la transcription des faits n'y suffit pas, car le réalisme diffère de l'impressionnisme; et nous désignons sous ce mot: le Réel, non pas une poussière de phénomènes, mais un ensemble d'êtres stables et d'événements bien liés. Pour en imposer le sentiment, à défaut d'une continuité parfaite dans l'espace et dans la durée, il faut une perspective qui la remplace; il faut un 'enchaînement des effets et des causes, une proportion des motifs et des actes, une correspondance ininterrompue du physique et du moral: caractères qu'une observation attentive prépare sans les engendrer, et qui ne se réalisent point sans une ferme volonté d'art.

Aucune forme esthétique n'exige, autant que le réalisme ainsi compris, un constant équilibre de toutes les facultés. Aussi, devant un livre comme Petite Ville, l'embarras du critique égale le contentement du lecteur, parce que l'œuvre est sans erreurs, sans superfluités, sans lacunes, parce que tous les éléments y convergent vers un effet objectif, parce qu'elle se referme complètement sur elle-même. Je renonce à chercher quelle qualité maîtresse distingue M. Claude Anet. Acuité visuelle, pénétration psychologique, sentiment de la langue et de la phrase, il a tous les dons que son sujet comporte; il ne s'en permet point d'autres; ceux-là mêmes, il les limite, il les dose, il les subordonne au sujet, Par un sacrifice peut-être excessif, sa personne s'est absorbée dans son œuvre au point qu'on ne l'en peut dégager. Du moins cette composition étudiée, cette discipline sévère indiquent une droiture de raison très française, classique et presque cartésienne. Petite Ville est de ces livres qui laissent voir, à travers une nature d'écrivain, toute la tradition littéraire et la culture d'un pays.

FRANÇOIS DE NION : Les Maitresses d'une Heure (Éditions de La revue blanche).

Vivement conçus, vivement écrits, pour être rapidement lus, ces brefs récits de brèves aventures ont gardé ce tour alerte qui plaît chez les vieux conteurs. Ils ne se guindent pas et n'ont pas l'air

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comme

tant d'autres nouvelles de méchants poèmes en prose ou de romans mal ébauchés. M. de Nion sait que la Nouvelle atteint son but, dès qu'elle laisse dans l'esprit une seule image, une seule impression de tristesse ou de gaîté; qu'elle ne souffre ni préparations, ni complications, ni explications; que tout, événements, milieux, caractères, et jusqu'au mystère même, y doit sembler clair à première vue. Il choisit un fait, le conte, et passe sans insister. Pourtant, comme la narration la plus nue implique encore une conception de la vie, il s'est façonné pour la circonstance une philosophie de vieux garçon clubman, chasseur et jouisseur, qui lasserait dans un roman, mais est tout à fait à sa place parmi les Maitresses d'une Heure.

MICHEL ARNAULD

OCTAVE MIRBEAU Les Vingt et un jours d'un neurasthénique (Bibliothèque-Charpentier).

De l'horreur, du courage, de la violence, de la tendresse, de la justice, fondus en beauté dans trois cents pages, voilà un volume de Mirbeau et voici surtout le présent livre. La ville d'eaux où séjourne le neurasthénique prend des proportions énormes pour contenir ses formidables et burlesques hôtes, et c'est bien, en effet, la société tout entière qui se cristallise dans cette vingtaine de fripouilles, admirables à force d'ignominie et de vérité groupées autour de la buvette. Si un enfer doit être composé avant tout d'abime sur abîme de laideur, je crois que Dante n'hésiterait pas, dans ce cercled'infamie contemporaine, à

reconnaître le sien, terriblement perfectionné pour faire face à quelques siècles de vice de plus. Ses démons ne sont pas plus redoutables ni grotesques, avec leurs queues et leurs cornes, que l'ineffable colonel baron de Présalé, que Clara Fistule, le docteur Triceps et quelques honnêtes gens, si malhonnêtement, pour notre joie vengeresse, dénoncés par leur nom propre. Octave Mirbeau nous évoque très fort l'image de ce solide et spirituel Pantagruel, qui mit en pièces, comme on sait, le général des géants Loup-Garou en lui fourrant jusqu'à écrabouillement le nez dans sa propre armée, faute d'autre ordure. Point essoufflé au sortir de ces vigueurs, avec quelle fraîcheur l'auteur nous décrit le combat, sous un tas de feuilles, de ces monstres plus petits et moins cruels, le hérisson et la vipère; et avec quelle verve douloureuse et fantastique il nous entraîne hors du monde, chez les femmes de l'île de Sein! Quant aux lecteurs qui se sont passionnés dans cette revue au Journal d'une Femme de chambre, ils en trouveront comme la suite plus tragique dans une attachante histoire de valet assassin, laquelle pourrait s'appeler la Livrée de Nessus.

LES POÈMES

ANDRÉ DUMAS: Paysages (Lemerre).

ALFRED JARRY

Le livre de M. André Dumas fait la preuve d'un joli talent descriptif; comme d'autres jeunes poètes voisins de lui par les habitudes intellectuelles et techniques, M. Dumas a emprunté au symbolisme sa préoccupation des finesses de la nature, de ses minutes brèves, de ses heures changeantes, de son mystère, et a essayé (réussi souvent à les traduire en cette forme qu'il prefère, soit un alexandrin un peu flou, qui n'a plus les robustesses oratoires du vers parnassien, et qui reconquiert peut-être à l'excès certaines négligences admises chez les lamartiniens. Il ne peut que nous être indifférent qu'on néglige certaines règles, ou plutôt certaines recettes de fantaisie édictées il y a une quarantaine d'années, mais nous voudrions à la forme de ces jeunes poètes tantôt plus de carrure et de couleur, tantôt plus de liberté et de bercement, selon les sujets auxquels ils touchent et qu'ils recouvrent tous d'une onde un peu douce et monotone.

Le nouveau sentiment, ou mieux la nouvelle nuance à traduire le sentiment de la nature, chez ces jeunes poètes, ne laisse pas d'aboutir tout de suite à une convention, aussi conventionnelle que celle du XVIIIe siècle, sur le même sujet. Au lieu des bergeries, des bergères poudrées près des agnelets, nous avons chez M. Dumas une sorte de tendresse éparse vers une nature qui est toute musique, où des violons chantent dans les bois, des villages silencieux.

Que de cœurs ont battu dans cet humble village,
Que de bonheurs cachés que je ne connais pas!
Que de couples muets sont rentrés pas à pas
Par ce même chemin, sous ce même feuillage.

Et dans la douce paix que chaque nuit ramène
Le village, noyé par l'ombre, disparaît;
Et je vais partir seul plein du vague regret
De rester étranger à tant de vie humaine,

C'est bien loin de la Terre d'Émile Zola, c'en est trop loin, et ça a tort, parce que ça s'en éloigne en romance. Pas plus que le Pain n'est un bloc d'or, comme l'ont dit de récents poètes, la Terre n'est idyllique, et le sens de la vie n'est pas révélé aux hommes quand ils ont vu, en passant, une famille de campagnards prendre leur repas. Je ne voudrais pas contrister M. André Dumas, et je crois à l'absolue sincérité de son inspiration qui se garantit logique, car elle le mène de cette romance à la religiosité et le fait retrouver sa voie en entendant les cloches de Noël, mais nous sommes ici en dehors du rêve et en dehors de la réalité, en dehors de la fantaisie et dans ces jolies avenues de bois qu'il décrit si bien, en les animant d'une aimée :

Les arbres presque nus frissonnent sous les cieux,

La rose qui restait au jardin s'est fanée

Et l'automne décroît lentement dans tes yeux.

Je gage que bientôt, non pas lui, mais un autre, moins intelligent, fera bientôt passer, sur les feuilles jaunissantes et jonchantes, un jeune malade qui viendra à pas lents. Ce ne sera pas plus intéressant que du temps de Millevoye, mais l'évolution sera logique. Ce serait tant pis, pour les jolis dons de M. André Dumas, de s'énerver ainsi. Il y a d'ailleurs dans son livre quelques indications de sensualité jeune et franche qui font un peu l'équilibre.

ÉMILE BANS: Ballades Rouges (Édition de l'auteur).

Après un sublime effort, l'Anarchie est tombée, moins noyée dans le sang de Caserio, Emile Henry et Ravachol, qu'étouffée sous l'aplatissement des prudents qui survécurent. Les bourgeois rouges, les révolutionnaires roses, les gredins multicolores lui surent aussi administrer le coup de pouce à propos, et pour parler Ubu, la tuer un peu. La surprise est joyeuse de revoir l'assassinée, mal tuée comptons-y, redonner du gosier dans ces rudes ballades que la fureur rythme et doue de beauté, guerrière sauvagement. Et qui veulent avec cela ne point s'encanailler, mais se garder écrites et littéraires; la discussion poétique s'en trouve au reste trop bellement et définitivement accomplie pour qu'il ne se fasse présomptueux d'y revenir, dans la préface par quoi Laurent Tailhade les consacre avec la double fraternité du poète et du révolté. Pourtant il s'est tu sur un point qui, personnellement, soulève notre unique regret: que l'auteur, persistant dans la généreuse erreur des Vaillant et des Henry, circonscrive ses pitiés sur les gens de la glèbe et de l'atelier qui se montrèrent si au-dessous des abnégations héroïques dont ils n'eurent même pas, à défaut de virilité, le sens pratique de tirer parti. FÉLICIEN FAGUS

LA CHRONIQUE

JULES HURET Loges et Coulisses (Éditions de La revue blanche).

Ni les auteurs ni les comédiens ne seront satisfaits de ce livre, où, trouveront-ils sans doute, trop peu de place leur fut réservée. Les imbéciles ne le seront pas davantage : rien de ces anecdotes, de ces menus scandales, alors qu'ils en doivent être si friands : que l'on songe à l'intérêt que le comédien obtient d'eux. Mais nous, à M. Jules Huret, nous ne saurons que du gré. Même si nous désirions que la part fût entière aux écrivains, que ce livre fût un pendant à la fameuse Enquête sur l'Evolution littéraire, il nous gênerait de n'être pas renseignés sur les interprètes; il nous est bon de savoir qu'il est des artistes dévoués, modestes peut-être, de ceux, comme dit si bien Mme Calvé, « qui ont oublié qu'ils ont une jolie voix pour ne penser qu'à l'expression de ce qu'ils doivent interpréter. » Les anecdotes font défaut le plus heureusement du monde elles gâteraient ce bel aspect des acteurs; seraient, d'ailleurs, de pauvres anecdotes.

:

ce

M. Jules Huret a su retenir sa publication assez longtemps pour lui assurer aujourd'hui son effet. Le recul est tout juste assez loin pour juger librement, assez près pour se passionner, jouir de plus que d'un document historique. C'est ici, sur les pièces à thèse, qu'on savait bien, avec Becque, être de «< mauvaises pièces et de mauvaises thèses », qu'on trouve le dernier mot et c'est, délicieusement, un désaveu général. C'est ici que s'ouvrent, pour nos petits-enfants, l'étonnante galerie des vaudevillistes, et celle, non moins belle, des faiseurs de musiquette. C'est ici que chacun se peint d'un trait, dévoile un peu de son intérieur, ce qui est assez maladroit, mais tout bénéfice au spectateur, à la litté

rature.

M. Jules Huret a un talent d'exposition des plus rares, dans un temps où cette besogne est faite, avec le macaronique que l'on sait, par les universitaires. Sa biographie de Mme Réjane, outre qu'elle est une œuvre considérable, décèle les premières qualités du conteur, tant elle a d'enthousiasme contenu. Personne ne peindrait avec plus de clarté, plus de sobriété, les figures des contemporains; personne n'a su atteindre sa simplicité. Mais c'est surtout son attitude qui est supérieure : il sait distinguer parmi les questions du jour quelles sont les intéressantes, et sans en omettre une seule; il sait poser à chacun les questions les mieux appropriées et les plus édifiantes; il apparaît comme un médecin qui, sans pédantisme ni désinvolture, tâte le pouls d'un patient, et dont le silence signifie plus que des conclusions.

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FERNAND CAUSSY

Le gérant: P. DESCHAMPS.

Paris

Imprimerie C. LAMY, 124, bd de La Chapelle. 13790

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