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vraisemblablement qu'il la perd du même coup. Il ne peut se concilier les volontés jusque-là rebelles qu'en renonçant, plus ou moins implicitement, à être ce qu'il représentait ou du moins ce que la gauche voulait qu'il représentat. Sans doute la cuisine politique, que les hommes et les partis appelés « de gouvernement » tiennent pour le grand œuvre, pose autrement la question. Ici et là, dans tel ou tel département qui pourrait être cité, il se prépare en vue des élections prochaines une concentration entre républicains « sages, mais fermes », c'est-à-dire entre radicaux. incertains et modérés inquiets, à la fois contre « le parti de la réaction >> et contre celui du « bouleversement social ». Mais, outre que, là, l'hostilité à gauche est née contre les personnes plutôt que contre les tendances, la concentration paraît se faire sur un programme minimum qui est bien près d'être de « défense républicaine ».

Et voilà, d'autre part, qu'en Saône-et-Loire, sur ce terrain où les rancunes radicales contre des intransigeances socialistes étaient, semblet-il, si faciles à soulever, la discipline d'alliance démocratique a été observée au profit du candidat socialiste contre toutes les forces et toutes les adresses des partis de sage conservation.

Il dépend du ministère que la limite subsiste et qu'elle subsiste nette entre les deux camps qui depuis deux ans sont opposés l'un à l'autre. Il ne s'agit pas d'exclure personne de parti pris; mais il est nécessaire que les nouveaux amis viennent en deçà du fossé, et non que d'une commune faiblesse nous nous appliquions à le couvrir. C'est à cette condition que les élections prochaines, faites, en gros, pour. ou contre la politique dite « de défense républicaine », auront un sens clair et une portée féconde.

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PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE DU GENDARME

De récents événements privés nous ont permis d'observer de près quelques beaux spécimens de cet organe préhensile de la société, le gendarme. Les conditions de nos rapports avec eux furent excellentes, quoique propres à nous les faire envisager sous un jour trop favorable : car nous n'étions point détenu entre leurs mains, mais l'autorité supérieure les avait confiés aux nôtres, sous quelque prétexte, dans un but d'expériences.

Nous glisserons rapidement sur la morphologie externe de ces militaires, de tout point conforme, en plus grand, aux effigies bien connues présentées sur des guignols afin de former l'esprit des enfants. Remarquons qu'une administration avaricieuse leur refuse, quand ils sont de service, le port si majestueux et si classique du tricorne, au détriment de leur prestige traditionnel. Ne citons le dicton d'un goût peu sûr : <«< On les sent d'abord, on les voit ensuite, » que pour en extraire l'enseignement philosophique : en réalité, vu le petit nombre de spécimens disponibles il arrive qu'il n'y en ait que cinq pour huit communes on ne les voit jamais; et par on nous entendons les malfaiteurs, pourtant leurs partenaires naturels.

Quant à leur langage, nous n'y avons relevé aucune prolixité extraordinaire d'adverbes.

Nous ne prétendons ici qu'à instaurer une brève psychologie du gendarme, ainsi que nous sommes déjà attaché partiellement à celle du militaire et du magistrat. Il était à prévoir que l'habitude, contractée au fur de longues générations, d'être à l'affût de tous crimes et délits, ou, mieux, d'un nombre restreint et catalogué de crimes et délits, leur ait forgé un état d'esprit spécial, bien défini à cette heure et devenu propre à leur espèce. Le moment est donc bien choisi de sonder ces obscurs cerveaux. Il s'y passe, d'après nos expériences, ceci, qui étonnera peut-être l'honnête homme, que le gendarme interprète autrement que cet honnête homme une action légalement mauvaise. « Mauvaise >> lui indique seulement qu'il ait à y exercer, contre rémunération, son office; en termes plus clairs, que toute mauvaise action est pour lui bonne, parce qu'elle le fait vivre.

Nous voici amené à flétrir les infâmes desiderata du gendarme : son pays de Cocagne serait celui où aucun citoyen ne chasserait, sinon en temps prohibé et, bien entendu, sans permis; ne pêcherait sinon par des moyens défendus; où le viol serait un très grand nombre de fois quotidien et l'assassinat la forme la plus courante des relations sociales. Toutefois, malgré nos exhortations tendant à obtenir des confidences précises, il nous parait que le gendarme n'aspire CHCe que confusé

ment à cet avenir béni; et nous n'en voyons d'autre explication que son rare désintéressement. Ainsi, il n'ose encore approuver le meurtre que quand il ne lui rapporte rien, c'est-à-dire quand il est autorisé par la loi. Exemple le cas de légitime défense; le gendarme se réjouit que le bourgeois clos dans son parc massacre le malandrin qui vient de franchir son mur; mais, par un scrupule bizarre, ce même gendarme déteste que l'on mette à mort des personnes passant du côté extérieur du mur. Nous préconisons une méthode nouvelle et conciliatrice, laquelle consiste bien simplement à rapporter dans sa propriété les victimes qu'on a pris la peine de se procurer au dehors.

Les gendarmes à cheval vont généralement à pied pour deux raisons: la première, qu'ils nous ont exposée et qui nous paraît frivole, est qu'ils seraient obligés de faire tenir par quelqu'un leurs montures, cependant qu'on veut bien leur offrir à boire; la seconde, qu'ils emmènent le plus souvent avec eux, s'en allant par deux, l'oncle de l'un ou de l'autre, encore qu'il puisse n'avoir point d'oncle. Mais ils dénomment ainsi quelque ami qui les suit afin de profiter des occasions de se désaltérer. Ils le choisissent avec soin d'aspect minable, qu'il soit aisé de faire passer pour patibulaire, et sujet à la manie de se promener les mains derrière le dos. Ils le mettent comme par mégarde entre eux deux, et grâce à cet innocent stratagème méritent, dans la traversée des villages, sans mécontenter personne, les acclamations. populaires. Nous avons exposé plus haut que la capture d'un malfaiteur authentique est hors question : l'uniforme se voit de trop loin et il faudrait que le gendarme fût en civil: mais il cesserait d'être un gendarme et n'aurait plus de psychologie.

ALFRED JARRY

EXPOSITION DES PRIX DE ROME

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Le Palais de l'École des Beaux-Arts ouvre sa grand'porte toute grande, afin que puissent les populations apprécier à loisir, sous la belle lumière du soleil, le résultat des måles travaux par quoi les nourrissons méritèrent et les suffrages des anciens Prix de Rome leurs vieux maitres, et de prendre la suite des affaires. Cette noble assurance nous fit plaisir et nous n'entrâmes point. On connaît d'avance ce qui s'affiche là et le dernier Salon (aussi, l'avant-dernier: pénultième vit encore, vit toujours de même le prochain) ne renseignent-ils pas autant que le peut souhaiter un honnête homme; c'est toujours la même chose, à cela près qu'à intervalles réglés on intervertit les titres et invente de nouvelles signatures afin d'exercer la subtilité du public et instruire le peuple. Enfilons plutôt cette édifiante rue Bonaparte sur quoi bée la pépinière, flanquée des bustes de Puget et de Poussin, l'air tout confus de se trouver là; rue Bonaparte si symboliquement qui s'amorce entre l'ÉCOLE et l'Institut, pour dégorger entre le Musée du Luxembourg et le Séminaire Saint-Sulpice. Mais cette rue se fait remarquable surtout. par le particulier concours des plus notables débitants, qui de photographies de classiques et autres, qui de cartes postales égrillardes, qui de bondieuseries lascives, qui de toutes ces choses à la fois et ce sont les plus logiques. La genèse complète, la raison d'être, les matériaux et les résidus de l'art officiel, et son symbole : photographie, pornographie-photographie surtout! tout vient de là, et y revient ayant, selon l'apostrophe illustre de Lamartine, accompli le tour du monde sous les plis du drapeau national. Nos prunelles émoussées éprouvent placidement cet absolutisme de la plaque sensible, absolument idoine, n'est-ce pas, à stupéfier toute vision candide! Il y a d'abord les photographies des vrais chefs-d'œuvre le fonds du Louvre, des Offices, Prado, etc., très complètement et, il faut dire, très artistiquement reproduit et multiplié; ces vulgarisations ne constituent-elles point, du reste, le plus artistique du bagage de l'art moderne? Mais il y a les autres reproductions; car, quel naïf croira que l'objet majeur de cette sévère imagerie consiste à entretenir l'âme de l'artiste officiel dans une permanente fièvre de beauté et d'émulation, fournir au dilettante pauvre quelque reflet des splendeurs dont la présence réelle lui demeure interdite! Leur rôle plus modeste mais plus utile est d'une manière d'encyclopédie Larousse et de Dictionnaire des Rimes, d'une façon de « Parfait Secrétaire, choix de lettres appropriées à toutes les circonstances de la vie. » Les néo-classiques Lebrun, David, promoteurs de l'art officiel et inventeurs de l'ÉCOLE, s'ils s'incorporèrent avec ardeur tout ce qu'ils purent connaitre de l'art antique renaissant, surent le refondre à même

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leur tempérament et marteler une beauté hybride mais originale. Le vorace Ingres du détroussage des morts fit une probité artistique ; camées, toiles, statues, tout fut bon à cette disette d'imagination.

Les disciples et les disciples des disciples persévérèrent avec la paresse en plus et le génie en moins. Inconsciemment, du reste: honnètes gens! On leur dit : « Courage militaire », leur instantané cérébral se déclanche, clic, clac! etc., le tombeau des Médicis leur tombe dans l'œil, etc... Ici même fut narrée l'histoire du statuaire Verlet, élève de Barrias, grand prix de l'E. U., lequel chargé de dessiner la fontaine de Bordeaux, reproduit à peu près textuellement un panneau décoratif du XVIII: du Watteau, peut-être! Il est fort possible qu'il ne l'ait pas fait exprès... Il y a bien d'autres photos sur nature! Il y a les scènes villageoises, églogues en sabots où l'opérateur fit poser les comparses selon Millet, ou selon Lhermitte; les paysages choisis, genre Dupré, genre Troyon, avec ou sans vaches; tout le Jardin des Plantes et tout le Jardin d'Acclimatation, ad usum des orientalistes en chambre; pour les négociants en pittoresque familier, les « coins de Paris » ; pour d'autres spécialistes, les fleurs, les arbustes et les fruits, avec le nom latin dessous Citrus aurantium (innocents qui notaient Rodin de moulage sur nature auparavant que de pleurer sur sa folie furieuse). Les gens pratiques trouvent même à bon compte des châssis tout photographiés qu'il reste seulement à recouvrir de couleur. Et le bon travailleur « nulla dies sine linea» ne sort jamais sans le petit 6-12 portatif, et il faut ouïr le ton pénétré dont il vous confie : « Je descends prendre des documents... » Sursum kodak!

Et pourtant, à la cueillette des médailles, JAMAIS les fabricants d'objectifs, ou les professionnels d'iceux ne furent convoqués! Voilàt-il pas une injustice énorme, une spoliation horrible? Pourquoi ne réclament-ils point, ces dévoués artisans, vrais artistes souvent, bien plus en tout cas, est-il besoin de le dire, que les manœuvres salonniers, lesquels ne représentent en somme que leurs négligeables collaborateurs? Pourquoi, plus simplement, n'organisent-ils pas la grève des bras-croisés, nous voulons dire des objectifs bouchés, qui du jour au lendemain tuerait net le Salon? C'est qu'ils flairent sourdre leur revanche dès que la photographie en couleurs, et, son corollaire plus lointain mais également inéluctable, la photographie en relief, se feront propices à toutes les bourses, peinture ni statuaire officielles ne pourront plus lutter contre la concurrence, âme du commerce ainsi que chacun sait. O retour de l'âge d'or: l'agriculture et l'industrie récupèreront tant de bras que l'ébauchoir et la brosse leur soutirèrent, nos yeux retrouveront leur joie et notre beau pays sa prospérité. « Et ce sera justice. »

FELICIEN FAGUS

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