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« Et

instrument à l'autre, se réitère cette strophe prophétique : toi, Bethleem, tu n'es pas la moindre entre les villes de Juda, car c'est de toi que sortira le conducteur qui paîtra Israël, mon peuple », la trilogie se termine par l'adoration des mages, or, encens et myrrhe, et l'étoile aux cinq pointes arrêtée dans le ciel! De ce texte essentiel, j'ai tiré des dialogues; je l'ai enrichi de cantiques; une action sensible le dramatise, et il s'encadre dans la beauté des campagnes de Palestine. Des harmonies souples l'enveloppent de leurs chatoyantes sonorités. Et il faut que dans un décor indiscutable, avec l'aide d'artistes supérieurs, l'œuvre édifiée s'affirme, triomphe, convertisse!

Hum! fit le prince. Tu m'effraies. Est-ce l'atmosphère saturée d'électricité, qui comprime mon cerveau, ou si je raisonne mal! Mais, dis, cela n'est-il pas impie et blasphématoire, une pareille représentation? Est-il licite d'associer à la venue du Messie le souci de nos intérêts mondains? J'ai des scrupules, et cependant, Leone, ton plan provoque mon enthousiasme. Tranquillise mon esprit timoré!

Il n'y a d'impiété que dans le rire, répliqua sentencieusement l'Italien, et mon œuvre est sérieuse. L'homme, fait à l'image de Dieu, est en droit d'objectiver, au bénéfice de ses besoins personnels, les manifestations de la Divinité. De l'Immaculée Conception, j'ai détaché un rayon qui frappera en plein cœur. La splendeur du mystère subsiste; mais de sa transcendance, une leçon se dégage, par l'analogie. Indépendant de la filiation charnelle, l'esprit de la race s'incarne, et la femme élue le subit, quel que soit l'intermédiaire. Voilà ce que devra voir la princesse Josépha, et ce que, par d'adroites déformations, j'ai mis en relief. Quant à nous, nous élevant au-dessus du particulier, nous saurons contempler, avec une sérénité pieuse, la face auguste du mystère !

Monseigneur était pensif.

Ton langage est obscur dans sa précision, avoua-t-il. Et c'est là ce qui me convainc.

Une lueur vive emplit la chambre, la foudre crépita. Le prince se signa.

Le ciel, auxiliaire, nous approuve! balbutia Cappa. Mais, angoissés tous deux par les fulgurations et les coups secs qui se multipliaient, ils n'osèrent plus parler. Pour reprendre leur dialogue, ils attendirent l'accalmie.

Vois, dit Monseigneur. Un arbre a été fracassé. Nous étions. en péril. Et tu crois néanmoins que le ciel nous approuve?

Sans doute, puisque ce n'est pas nous qu'il a frappés! L'argument, spécieux, plut au prince Claude.

Mon cœur se dilate! fit-il. — Plus frais, l'air embaume, et des hautes cimes qui se découvrent, la brise salubre est descendue avec de vierges parfums! Viens, et joue! Que sous tes doigts le clavier chante! C'est moi-même qui tournerai les pages... Je veux suivre dans sa complexité ta partition, et tu m'en détailleras les scènes à mesure qu'elles défileront. Rassemble un orchestre, choisis des acteurs, désigne les lieux où, sur tes indications, les décors seront plantés! Dispose de mes ressources! Au souffle de ton lyrisme, je rajeunirai, comme ces feuillages, tout à l'heure humiliés par la pluie, et qui maintenant, sous le vent léger des monts, se redressent et reluisent...

Il répéta : — L'Immaculée Conception, mystère. Cela est d'un bel effet. Un somptueux spectacle que j'organiserai pour fêter la présence ici de mon illustrissime beau-père...

Oubliant ses récents désirs de sainteté, il sourit, sans bienveillance, et Cappa sourit aussi. Nolo partagea leur satisfaction en aiguisant ses griffes au damas du rideau.

Tandis que Monseigneur décidait avec Leone Cappa de mettre à la scène un « mystère », où il destinait, sous une figure allégorique, un rôle à Josépha, celle-ci se préparait, mais avec des hésitations et des remords, à limiter les moyens d'action de son trop fantaisiste époux.

Lui, clairvoyant par surexcitation de sensibilité, mais oisif, déprimé, confiant en la vertu de manifestations puériles, ne faisait point erreur en attribuant au baron de Murbach une part d'influence dans l'attitude nouvelle qu'adoptait la princesse. Après avoir enlevé Claudia de la galerie des ancêtres, bouleversée par ce qu'elle venait de voir, ne sachant comment soustraire l'enfant à la contagieuse folie de son pseudo-père, elle avait, dans son désarroi moral, cédé à l'impérieuse nécessité de chercher un appui. Seul de son entourage, le baron était l'ami, assez dévoué pour l'écouter, assez indépendant pour comprendre et aviser. Sans ambages, il avait conclu :

- Réunissez un conseil de famille. Faites venir votre père. Un médecin spécialiste doit être appelé. Surveillez la petite, séparezla du prince. Je me charge, si vous m'y autorisez, de prendre, discrètement, les mesures utiles. - En somme, la principauté de Pücklau, indépendante de fait, en droit est mouvante de l'ancien

empire germanique, et, au besoin, une autorité suprême interviendra.

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La perspective d'avoir pour hôte le comte illustrissime, la séduisait moins que par le passé. Elle se reprochait, en évitant d'en sonder les motifs, cette tiédeur. Ils étaient simples pourtant. Le temps et les épreuves avaient accompli leur œuvre. Elle n'était plus «< une enfant ». Habituée à vivre loin des siens, elle se passait maintenant d'eux, et leur indifférence à son égard, en tant que sœur ou fille, lui était démontrée. Ils l'honoraient comme souveraine, mais ne l'affectionnaient point. Étaler sa misère devant eux lui répugnait; et plus près d'elle, une amitié, dont le secret lui était cher, s'affirmait...

Mais le baron insista. La présence à Pücklau du comte de Pücklitz était indispensable. Lui seul pouvait, sans encourir de blame, reconnaître l'état des choses, contresigner des rapports, réclamer la tutelle de sa petite-fille.

Parlant ainsi, il ne se faisait point d'illusion sur la prodigieuse niaiserie du seigneur de Pücklitz; mais il comptait le diriger, et, sous son couvert, s'attacher la princesse Josépha sans la compromettre.

Peu à peu, l'entretien, qui avait lieu, le soir, dans un petit salon très éclairé dont les portes étaient ouvertes, dévia.

Tout en exposant l'état mental de son époux, la jeune femme rougissait au souvenir ineffaçable du passé, et il lui semblait que le regard de cet homme perspicace lût sa honte.

A des réticences, à la douleur de certains accents, il comprenait que Josépha avait dû connaître l'amertume d'étranges souffrances; il se défendait de les entrevoir dans leur odieuse réalité, les soupçonnait néanmoins, et ses yeux qui reflétaient sa préoccupation, celaient mal une profonde, une amoureuse tendresse.

Ce rôle charmant et dangereux de confident d'une créature exquise et malheureuse le troublait voluptueusement. Il buvail cette intime et chaste douleur qui se révélait, comme il eût pris un baiser sur les lèvres. Tant de souffrance exprimée avec tant de douceur par cette bouche jeune, l'excitait. Sa froide politesse accoutumée refrénait mal sa brutalité instinctive réveillée.

- C'est singulier, se disait-il. Pour que notre cœur palpite, la plastique d'un corps, la beauté d'une âme ne suffisent point. Le sang qui jaillit, les nerfs qui se tordent, ou la voix qui vibre

de chagrin, chatouillent notre sensualité, déchirent le voile pudique dont nous couvrions notre désir. Elle dissimule, et comme de tout ce qu'elle ne dit pas, elle me devient plus convoitable! Mes bras se tendent vers sa taille pour l'enlacer; ou simplement, d'une bouche légère, je voudrais effleurer les longs cils de ses yeux limpides. Des scrupules que je prenais pour du calcul me l'ont fait jusqu'à présent respecter. Maintenant, je ne sais ce qui me tient de saisir sa tête à deux mains, et de la baiser désordonnément.

Comme je vous plains! prononça-t-il avec une certaine

ardeur.

Ses yeux s'emplirent de larmes :

Plaignez-moi, dit-elle, vous ne me plaindrez jamais assez. Il prit sa main, y posa les lèvres.

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Je ne suis resté ici qu'à cause de vous, dit-il encore.

Je le sais, vous êtes un ami sûr.

Il pressa plus tendrement cette main qui s'abandonnait, et ce fut le poignet qu'il baisa longuement.

Un soupir gonfla sa gorge, et tel qu'il se méprit à sa complexe signification.

Son genou fléchit, son bras s'avança vers elle, et déjà elle se penchait vers lui, quand soudain, elle se roidit, se recula, secoua la tête :

- Faut-il donc que je ne vous voie plus, vous, mon aide et mon seul ami? dit-elle; et si douce était sa voix qu'elle semblait venir de très loin, de très haut, d'une région céleste.

Pardon, murmura-t-il, je vous vénérais comme une sainte. Il se releva lentement.

Intérieurement il se reprochait :

Ma posture était ridicule, on eût pu nous surprendre, et mes paroles sont dignes d'un collégien élégiaque.

Mais leurs regards se croisèrent, et il ne se reprocha plus rien; car dans sa prunelle encore humide de pleurs, il lut le rayonnement d'une grande joie, et il sut ainsi qu'elle lui appartenait...

La conversation reprit son cours, paisiblement, pratiquement. Et telle est la puissance de l'étiquette et la patience des cœurs germains, que cette petite scène sentimentale n'eut pas de lendemain. Mais désormais une entente étroite subsistait entre eux; et par la grâce et la facilité de leurs rapports, ils étaient pareils à des fiancés...

La présence à Pücklau du comte de Pücklitz ne gêna point

leur bonne intelligence; le digne seigneur avait la vue trop courte pour s'en apercevoir et le raisonnement trop faible pour y chercher malice. Sa survenue produisit par contre une certaine sensation à la résidence, où depuis longtemps aucun hôte de marque n'était descendu. Les imaginations furent en travail. Deux faits préoccupèrent : d'une part, Monseigneur, qui ne s'était pas dérangé pour recevoir son beau-père, continuait de vivre sa vie solitaire au Palais de Proserpine; de l'autre, il organisait une grande fête en son honneur, fort dispendieuse et tout à fait insolite.

Cela était contradictoire, ce dédain du cérémonial et cette exagération dans le programme des réjouissances. On glosa. Son Altesse était malade; on n'en pouvait douter; cela expliquait qu'Elle s'épargnât la fatigue de parader en public. Pour compenser son involontaire incivilité, Elle se mettait en frais de galas exceptionnels, qui la divertiraient Elle-même. - D'ailleurs, le spectacle promettait d'être beau. On s'en chuchotait les splendeurs inédites; et le directeur de la chambre des finances gémissait sur les sommes excessives qu'il lui faudrait compter.

- Le prince se ruine! disait-il. Il serait de mon devoir d'avertir la princesse. Et à Cappa qui lui communiquait les ordres sérénissimes, il témoignait une sourde hostilité, le molestant par des chicanes sur chaque chiffre, et des objections à chacune de ses demandes.

Mais la Cour écoutait, sans s'y associer, ses doléances. La curiosité était excitée; l'arrivée d'un orchestre, d'acteurs, de décorateurs, les tréteaux que l'on posait à l'esplanade du VieuxChâteau, toute cette agitation que dirigeait, dans le secret, le souverain, fournissait matière à d'amples, à de sagaces réflexions, rompait la monotonie habituelle de l'existence. Déjà, par des indiscrétions, on avait sur l'œuvre qui se montait des renseignements. Tous se félicitaient Pücklau devenait, grâce à la généreuse initiative du prince, un centre artistique, une sorte d'Oberammergau-Bayreuth, où pérégrinerait une foule pécuniaire, dont le passage enrichirait.

D'aussi agréables perspectives détournèrent du comte de Pucklitz l'attention du monde. Au demeurant, il était insignifiant avec solennité. Sa face camuse, encadrée de favoris grisonnants, s'ornait d'un perpétuel sourire bienveillant et protecteur. Ses questions, minutieuses, portaient sur la flore du pays, qu'il jugeait variée et incontestablement profuse. Il répétait à satiété, pour recueillir des applaudissements, un trait relatif à son entrée

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