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vice obligatoire est resté. C'est là l'impôt nouveau qu'il nous faut payer pour prix de notre souveraineté. Impôt d'une inégalité, d'une iniquité monstrueuse, dans son incidence. Pour quelques-uns il n'est qu'une corvée désagréable, tandis qu'il frappe chez les autres - la grande masse des prolétaires-aux sources mêmes de la vie. Le jeune M. de Rothschild récemment issu d'une de ces institutions qui procurent à la haute bourgeoisie - au prix d'un petit, tout petit effort cérébral le moyen de s'affranchir des deux tiers du temps de service, doit néanmoins interrompre son existence confortable pour goûter les joies de la caserne pendant une année. C'est un ennui, mais rien qu'un ennui. Mais que dire de cette obligation quand certains qu'elle frappe lui préfèrent la mort? Le 14 novembre, le jour même où se jugeait l'affaire du Pioupiou, un double suicide avait lieu à Marseille. Le jeune Schaek, qui devait partir au service, se suicidait avec sa mère, la veilledu départ des conscrits. Il laissait une lettre dans laquelle il déclarait qu'étant le seul soutien de sa mère, vieille et infirme, il aimait mieux se tuer avec elle que de partir et la laisser mourir de misère... Détournons

la tête...

Les publicistes militaristes prétendent que la nation supporte allègrement cette charge; pour en être sûr, il faudrait prendre là-dessus l'avis de la chair à canon elle-même. Puisqu'ils sont convaincus de « la violente amour >> de la France pour son armée, qu'ils mettent donc ce sentiment à l'épreuve pour notre personnelle édification. Que ne proposentils, par exemple, que le service militaire, en temps de paix, ne soit plus obligatoire, mais que ceux-là seuls auront des droits politiques qui auront consenti à s'y plier? Ce serait là, en outre, pour les derniers partisans du régime censitaire, un excellent moyen de le rétablir. L'impôt du sang serait considéré comme l'impôt minimum à payer pour que le citoyen fût politiquement viable. Tous ceux qui consentiraient cet impôt, tous ceux qui s'astreindraient à subir l'encasernement seraient électeurs et éligibles. Maîtres du pouvoir politique, ils constitueraient la caste des tueurs d'hommes. Quant aux autres, quant à ceux qui manifesteraient une invincible répugnance à payer la taxe sur la chair humaine, ils seraient privés du bulletin de vote, privés de leur part de souveraineté, les malheureux! Ce seraient de misérables citoyens passifs, à la manière de ceux qu'avait imaginés Siéyès, qui se contenteraient de vivre sansparticiper au fonctionnement de la machine politique. On leur laisserait - en raison de leur passivité le droit à l'insurrection. Malgré les 10 millions de lecteurs du Petit Journal, qui doute de l'issue? On verrait la chair à canon frémir d'un saint enthousiasme et s'agiter pour obtenir d'être déchue de ses droits politiques. Ce serait quelque chose comme l'agitation chartiste anglaise de 1832, mais à rebours. Le résultat serait désastreux pour l'armée, qui verrait fondre ses cadres, mais il y aurait-là un moyen de la débarrasser de ses impedimenta, et au moins ceux qui resteraient auraient la vocation.

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J'oubliais de dire que la masse déchue, qui resterait en possession de

son seul droit d'insurrection - si on ne l'a pas, on le prend, rien de plus facile, l'armée étant réduite à sa plus simple expression - s'empresserait de se reconférer ses droits politiques.

H. LASVIGNES

REPRIMANDE OU PARDON

A la Commission de législation criminelle de la Chambre, l'accord s'était fait sur le texte suivant :

L'article 463 du Code pénal est complété par les dispositions suivantes : En outre et bien que les faits délictueux soient établis à la charge du prévenu, le tribunal correctionnel pourra lui infliger, au lieu de la peine encourue, une « réprimande », au cas où cette mesure d'indulgence sera jugée suffisante pour assurer l'amendement du délinquant.

Le prévenu sera condamné aux dépens, et s'il y a lieu, à tous dommagesintérêts envers la partie civile.

Si le prévenu est indigent, il pourra être dispensé de la contrainte par corps par la même décision.

M. Monis a présenté un texte semblable à celui-ci, sauf que le mot absoudra est changé en celui de réprimandera.

Encore que le projet et le contre-projet établissent l'absolution l'un et l'autre, il y a entre eux une différence beaucoup plus considérable que celle qui résulte de l'absolution pure et simple et de l'absolution avec réprimande. La principale conséquence du contre-projet du gouvernement sera peut-être de renforcer indirectement le pouvoir arbitraire du juge.

Depuis longtemps, en effet, les tribunaux se sont arrogé le droit de réprimande. Ils réprimandent lorsque des faits qu'ils regrettent de ne pouvoir légalement punir leur paraissent néanmoins mériter une censure sociale; les exemples sont nombreux. Ainsi, M. W... est reconnu coupable d'avoir prêté son concours à une substitution de pièces. Et après avoir longuement expliqué les faits, la Cour de Paris conclut : « Considérant que de pareilles pratiques doivent être hautement réprouvées, mais qu'il y a lieu de reconnaître qu'elles ne tombent sous l'application d'aucune loi pénale. » (Dalloz, 88, 2, 57.)

Ou encore : « Que dès lors, avec quelque sévérité qu'on puisse apprécier les défaillances morales qui se rencontrent dans la cause, il est manifeste qu'il n'y a pas eu d'escroquerie commise... » (Dalloz, 88, 2, 155.)

Un autre, plus typique: « Attendu, dit le jugement (1), que le tribunai a pu se convaincre par la comparution des parties, à laquelle il a été procédé en la Chambre du Conseil, que M. de P... se rend compte de la gravité de l'acte qu'il veut accomplir et que, s'il est profondément

(1) Figaro, 14 décembre 1900.

regrettable de voir un fils oublier tous les principes d'honneur qu'il a reçus et persister dans sa volonté de conclure, malgré le refus de son père, une union que celui-ci qualifie à juste titre d'indigne, il est certain qu'il agit librement et que le refus de son père ne repose sur aucun motif légal... »

Dans l'affaire de Vaucroze, c'est un simple juge d'instruction qui s'arroge le droit de haute censure. Voici quelques considérants d'une ordonnance de non-lieu en faveur du fils de la victime : « Attendu que l'inculpé est d'une moralité déplorable, qu'il a consenti par paresse, faiblesse de caractère et absence de dignité à rester auprès de sa mère, à mener une vie misérable d'esclavage, s'astreignant à toutes sortes de travaux, notamment à faire le lit de sa mère ou à préparer la

cuisine...

» Attendu que ces faits sont des présomptions graves à l'encontre du fils, mais attendu que ces présomptions ne sont étayées par aucune preuve matérielle... attendu qu'il y a un doute dont l'accusé doit bénéficier... etc. »>

On sait que le président du tribunal de Château-Thierry a souvent usé, lui aussi, de cette pratique.

Ce droit de contrôle moral est un renouvellement des pouvoirs du censeur romain. On se rappelle que le censeur avait, en effet, le droit de noter d'infamie les mauvais citoyens, de les mettre dans une classe inférieure; il mettait à pied le chevalier mal tenu, excluait de l'Assemblée les sénateurs inexacts. Cette notatio s'appliquait en dehors des textes de lois, comme aujourd'hui, était d'ordre purement moral. Dans notre ancienne jurisprudence existait quelque chose d'analogue: le blâme, qui était judiciaire et constituait une peine infamante.

Les réprimandes de nos tribunaux ont été considérées, au moins une fois, par la Cour de Cassation comme des abus de pouvoir. Les curieux pourront se reporter à un arrêt de cette Cour, en date du 25 juillet 1839: la pratique est nettement désapprouvée.

Le texte présenté par le garde des Sceaux étend ce droit de blame, et il me parait que l'illégale réprimande actuelle trouvera, en fait, encouragement dans cette réprimande autorisée.

L'habitude du juge trouvera à s'exercer plus que par le passé : il deviendra toujours plus prêtre et censeur.

Je me rends compte cependant de toute la différence qui existe entre l'une et l'autre réprimandes: l'une existant lorsque l'accusé a été déclaré non coupable légalement, l'autre lorsque l'accusé a été déclaré coupable légalement.

Je me demande s'il y a lieu d'augmenter le pouvoir moral de la magistrature dans les conditions actuelles de son recrutement. Est-ce le moment de consacrer son évolution en Église?

La magistrature naturellement tend à la survie, elle cherche à augmenter ses prérogatives: en même temps que croit le pouvoir de commandement de la loi, croit celui de ses interprètes. Avec le fétichisme du respect

abstrait à la loi croissent l'obéissance des justiciables et la morgue des juges. C'est dans les prétoires et dans les amphithéâtres de l'Université que se forme la nouvelle vassalité des individus et que meurt l'esprit de libre critique. Les nouvelles puissances morales menacent d'être aussi intolérantes que les anciennes. Je ne puis donc être favorable à une loi qui renforcera sans doute le pouvoir arbitraire du juge et son pouvoir de haute police, sous les apparences de la bonté sociale.

Ces façons d'agir ont attiré déjà l'attention de la Ligue des Droits de l'Homme, qui, en décembre 1900, protesta auprès du garde des Sceaux contre l'ordonnance de non-lieu dans l'affaire Vaucroze : protestation qui dépasse certainement le cas particulier qu'elle vise.

On fera peut-être observer que la réprimande devenant, en quelque sorte, une peine, le juge hésitera à l'appliquer en dehors des cas prévus en vertu de cette règle: nulle peine sans texte. L'argument n'est sans doute pas sans valeur mais je crains bien cependant que l'habitude invétérée ne disparaisse pas sous la seule contrainte de cet adage.

Je me hâte d'ailleurs de conclure en remarquant le progrès énorme que réaliserait la loi de pardon pur et simple. Le juge a eu d'abord à appliquer des peines dont le maximum et le minimum étaient inexorablement fixés (1791); puis on lui donna le droit de diminuer la peine par les circonstances atténuantes (1832); on lui a permis de suspendre provisoirement la peine (1891); on lui accorde enfin le droit de n'appliquer aucune peine. M. Béranger demande même que, dans certains cas, il y ait encore moins : pas de poursuites, renvoi de l'accusé après interrogatoire par le juge d'instruction. On voit la gradation. Nous ne croyons plus, comme le croyaient encore au commencement de ce siècle les rédacteurs de notre Code pénal, que tout délit entraîne nécessairement une peine, que toute restriction de la vindicte sociale «< énerve la répression» et par cela même compromet la sécurité.

Est-ce que la loi pénale contemporaine ne tendrait pas à devenir « l'enseignement de la règle morale sous une forme particulière », comme le voulaient les saint-simoniens, eux qui estimaient également que « la loi pénale doit surtout tendre à la réhabilitation »?

MAXIME LEROY

LA CRISE ALLEMANDE.

Il ne s'agit pas ici d'une crise politique bien que la croissance énorme, à chaque instant attestée, du socialisme et les soubresauts violents de Fultra-conservatisme mettent périodiquement en péril les institutions de l'empire allemand. Nous faisons allusion à la crise économique, à la dépression des affaires, au malaise du crédit, aux krachs industriels.

Derrière l'Allemagne, trente années de prospérité à peu près ininterrompue, de développement méthodique, de progrès de la fabrication et

des échanges qui semblaient autoriser une confiance suprême. Devant elle, l'incertitude d'un avenir grevé de la très lourde succession d'un présent équivoque et plutôt douloureux.

L'histoire économique de l'Empire de 1871 à 1900 n'a, pour ainsi dire, pas eu de ces oscillations qui sont la loi du monde moderne. L'intrusion de la grande industrie capitaliste, la substitution au bras humain d'un machinisme perfectionné s'y étaient opérées sans secousses et, en quelque sorte, sans préjudice pour aucune classe de la population. En même temps que la production se dotait d'un outillage nouveau, la consommation et les débouchés s'élargissaient démesurément. La natalité allemande demeurait colossale; grâce au prestige militaire et politique conquis sur les champs de bataille, grâce aussi à d'habiles négociations, le commerce extérieur montait chaque année, jusqu'à excéder 13 milliards en 1900. Le travailleur allemand trouvait à vendre sa force de labeur. Au contraire de tant d'Etats voisins, de l'Angleterre, de la France, de la Belgique, l'Empire, pendant les trente dernières années, ne connut point les conséquences de l'engorgement, qui résulte fatalement de la mauvaise organisation de la production. Et tous les douze mois, les grandes usines de Berlin, de la Saxe, de la Prusse Rhénane, de la Silésie pouvaient renouveler leur appel d'hommes dans les campagnes, initier les ruraux au maniement des rouages mécaniques, sans que jamais le pays se trouvât écrasé sous la masse de marchandises invendables..

Ç'a été là il faut le répéter - un fait unique dans l'histoire du siècle. Mais l'Allemagne en 1901 est rentrée dans la règle. Elle aussi éprouve maintenant une crise, dont nul ne saurait prévoir la durée.

Veut-onen étudier de plus près les éléments? Les trois banques hypothécaires de Prusse ont brusquement sombré, avec de pesants passifs; la Banque de Leipzig, l'une des plus florissantes du monde et au sort de laquelle se liait la destinée d'une foule d'établissements secondaires, a cessé ses paiements. La Société des Drèches de Cassel, engagée dans une multitude d'opérations industrielles et agricoles, a fermé ses guichets et accusé une dette de 100 millions, en offrant à peine 1 0/0 à ses créanciers.

Autre indice: le commerce extérieur, qui progressait normalement de centaines de millions chaque année, qui, dans la dernière période quinquennale, avait gagné 3 milliards, décline depuis janvier. En six mois, il a déjà perdu plus de 200 millions, dont 100 pour les exportations. — Hambourg, devenu, à force de labeur persévérant et d'intelligents sacrifices, le plus actif des ports du continent, avec ses 16 millions de tonnes, se lamente sur le recul qu'il subit pour la première fois. Dantzig, enrichi par le trafic avec la Russie, élevé peu à peu au plan des grands entrepôts de l'Europe, enregistre d'effroyables moinsvalues et remplit tout l'Empire du bruit de ces justes doléances.

Autre fait caractéristique encore. Les manufactures de Saxe et de Silésie, dont certaines occupaient 3.000, 5.000 ouvriers, renvoient par fractions leur personnel. Le chômage a pris partout des proportions

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