J'entends chanter ta voix multiple dans les gorges L'ÉTÉ L'air chaud qui s'est nourri du parfum des farines Respire! L'heure douce avec tous ses pipeaux Respire! Calme-toi ! Apaise tes narines! LE POÈTE Le soleil monte. Il a raccourci l'ombre ronde Avec le brusque flot des larmes sans raison. L'ÉTÉ Sur les bois et sur les pacages, C'est midi. Les champs sont brûlés, Couche-toi! La chaleur augmente. LE POÈTE C'est l'heure de la faim et de la soif... Midi! Avec tout ce qui vibre et monte dans ta flamme, J'ai faim! J'ai soif! Je veux l'infini plein mon âme ; Mon désir est pareil à l'arbre au geste dur Qui voudrait avec ses grands bras crever l'azur !...... Ah! m'envoler parmi l'espace et le vertige! LA VILLE AU LOIN J'ai faim!... J'ai soif! LE POÈTE La Ville !... Hélas! LA VILLE AU LOIN J'ai soif! J'ai faim-! LE POÈTE La Ville!... Avec l'odeur des épis pleins de pain, LETE Le bon soleil nourrit l'Été Et l'averse lui donne à boire. Pour calmer leur avidité, Chaque fleur aux bourdons s'offre comme un ciboire, Et tu peux réparer aussi La lassitude de tes courses : Pour ta soif et ta faim des fruits mûrs et des sources.. LE POÈTE Hélas! Il est chargé de soupirs, à présent, Et j'écoute une voix plus sombre dans le vent... L'ÉTÉ Ce vent a dorloté les blés amoncelés. Goûte le vent! Goûte les blés ! LE POÈTE Je ne goûterai pas tes blés!... La terre saine Et qui n'a pas le droit de mordre à la pâture Ah! je comprends ton cri monstrueux, Ville au loin!... Comment ouvrir mes bras, me jeter dans le foin, L'ÉTÉ N'écoute pas ! N'écoute pas! Les voix claires de Juin se répondent tout bas : LE POÈTE O Voix ! J'ai honte et peur de toi dans le lointain, Contre la splendeur des récoltes! O Voix ! J'écoute en toi le formidable élan O Voix ! L'air plein de toi m'apporte aussi l'odeur La Ville crie! La Ville pue!... L'ÉTÉ Prends la foison des fleurs dans tes doigs énervés! LE POÈTE Je ne puis m'arrêter aux bouquets des chemins! Car voici contre moi qu'un autre fleuve vient Partout sur les moissons, dans l'eau, la Ville saigne. Ah! ce sang! Cette odeur! Ces cris! Comment jamais Et quel autre souci m'assoira désormais Que celui d'écouter cette Ville qui souffre? Je ne puis plus m'aimer ni me plaire. Comment O sources ! Je me hais à cause de la Ville! Et tu peux me chanter ton hymne, Été de joie! Je ne t'écoute plus, je ne suis plus ta proie, Je n'ai plus aux côtés que deux mains de douleur Où tu t'es tout entier fané comme une fleur. L'ÉTÉ Ne crispe plus ces doigts pleins de larmes qui coulent : L'Été refleurira si l'Eté s'est flétri, Et les Villes sur lui peuvent jeter leur cri, Car il renaît toujours et les Villes s'écroulent... Qui donc tuerait l'Été immortel et divin, Ses fruits, ses fleurs, ses blés, son eau, son pain, son vin? LE POÈTE O implacable Été ! Crois alors sur la Ville! Tes sources, tes oiseaux ivres, tous tes murmures! O Santé ! O Clarté ! Sauve-les! Sauve-les! L'âme est en moi. Je sais les larmes, si je clame; Et je sais espérer si je pleure: je hais Mais j'aime, à mon bonheur ! J'aime ! J'aime ! Et jamais Ne vaudra ma laideur sublime, mon tumulte LE POÈTE Mon rêve seul donnait une âme à la nature. Ville, ô Ville! C'est toi, les deux grands bras ouverts Sur les récoltes d'or et les eaux de l'Été ! Mêle au bleu de son ciel la noirceur du blasphème : Je tends mes bras, je tends mon âme... J'aime ! J'aime !... LUCIE DELARUE-MARDRUS |