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1879, Bismarck fait mine de vouloir se rapprocher de Rome. Vers la même époque, les lois d'exception contre les socialistes élaborées à la suite des attentats de Hodel et de Nobiling - font l'objet d'une légère critique de la part du journal. Le Kladderadatsch envisage les lois en question au point de vue des inconvénients que, maniées par un Bismarck, elles pourraient avoir pour le parti national-libéral dont il est l'organe. «La flèche est dirigée contre les social-démocrates; mais quoi! si elle dépassait le but?» dit la légende d'un dessin, où l'archer Bismarck se prépare à tirer sur un groupe de socialistes derrière lesquels on aperçoit quelques nationaux-libéraux effarés.

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Ce sera, désormais, le souci unique des émeutiers assagis du Kladderadatsch. C'est, d'ailleurs, la préoccupation constante de tous les partis politiques qui se succèdent dans les antichambres du Pouvoir. Hérétiques d'hier, tolérés aujourd'hui, les hommes de parti - sous couleur de libéralisme et de tolérance s'inquiètent des armes que les politiciens en place forgent contre ceux qu'eux-mêmes persécuteront demain... « La flèche est dirigée contre les... anarchistes. Parfait ! Mais quoi! si, dépassant le but, elle nous atteignait, nous autres social-démocrates? >>

Ce qui fait la supériorité essentielle de Simplicissimus c'est, précisément, qu'il n'est l'organe d'aucun parti. D'une absolue indépendance, le journal se gausse aussi bien des ridicules inhérents aux partis et aux hommes d'extrême-gauche, que de l'outrancière sottise de « la haute ». La tonitruante rhétorique des démagogues est par lui persiflée avec autant d'entrain que la phraséologie boursouflée du Kaiser. Mais son dédain du cabotinage plébocratique n'implique pas l'indifférence pour les misères du peuple. Bien au contraire sa sympathie fraternelle pour ceux que la vie écrase et que toutes les puissances sociales coopèrent à maintenir dans l'esclavage, est d'autant plus belle qu'elle est désintéressée à l'encontre des sentiments de commisération affichés par les journaux de parti, pêcheurs d'âmes moins que de suffrages.

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Les très précises et très généreuses aspirations de Simplicissimus s'affirment dans ces quelques mots de son programme : « Combattre, sous une forme satirique et artistique, par l'image et par la plume, tous les désordres (Misstande) sociaux, sans ménagements d'aucune

sorte. >>

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Pour ceux qu'écœuraient les innombrables « Witzblaetter», les journaux à plaisanteries » dont le titre générique seul déjà dit l'ineptie et pour qui, d'autre part, les allusions politiques très «< gros sel » de l'Ulk et du Wahren Jakob ne constituaient pas la manifestation idéale de l'esprit de fronde, la nouvelle publication venait donc

combler une lacune, que n'avait pas comblée Jugend, journal d'art plutôt que de combat.

Car c'était bien au combat qu'allait Simplicissimus.

Les deux premières années du journal, exception faite pour les spirituelles « Scènes de la vie de famille » de Thomas Theodor Heine inférieures toutefois aux dessins plus récents de ce très personnel artiste ainsi que pour quelques vigoureuses planches de Bruno Paul, et Eduard Thony, n'offraient, au point de vue iconographique, qu'un intérêt mitigé.

Peu heureuse imitation, tout d'abord, du Gil Blas illustré - du Gil Blas première manière - Simplicissimus, malgré la collaboration de Steinlen, de Willette, de Chéret et de Forain... peut-être bien à cause même de cette collaboration, ne plut guère au public auquel il était destiné. On le décria comme une publication « parisienne », c'està-dire immorale, et à tendances socialistes. Et il fallut de longs mois pour réconcilier les Allemands avec le fond et la forme du nouveau périodique.

Quelques confiscations, des poursuites et des condamnations pour « grosse inconvenance » (grober Unfug), immoralité, blasphème et crime de lèse-majesté, vinrent à point stimuler l'ardeur combative de Simplicissimus.

On vit alors ce qui depuis <«<l'année de révolution », c'est-à-dire depuis 1848, ne s'était plus vu en Allemagne : un journal, qui n'était ni anarchiste ni socialiste, s'attaquer directement au monarque, critiquer ses actes et ses paroles, ridiculiser sa personne sacro-sainte. Et la police a beau sévir, la magistrature fonctionner, les saisies se multiplier, rien n'abat la verve de Simplicissimus, qui à chaque nouvelle condamnation riposte par quelque nouvelle irrévérence, plus audacieuse que les précédentes.

A ce duel assiste, silencieuse encore, mais déjà amusée, la soumise Allemagne, patrie du respect, où l'on qualifie couramment l'autorité de: hohe Obrigkeit (l'Autorité exaltée), et la police de labliche Polizei (la louable Police). Un large rire saluera dorénavant chaque charge contre l'empereur, l'irritable Imperator qui, pour puissant qu'il soit, ne peut rien contre les terribles satiristes d'un petit journal hebdomadaire. Le charme est rompu et la brèche ouverte par où s'évanouira la séculaire docilité.

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Le règne de Guillaume II est envisagé par Simplicissimus comme une sorte de « barnumat », où l'impresario, astucieux metteur en scène, se réserve tous les premiers rôles. Et plus nombreuses sont les incarnations successives ou simultanées de l'empereur : peintre, musicien, constructeur de navires, pédagogue, sociologue, architecte, général, amiral, moraliste ou orateur, plus Simplicissimus multiplie et diversifie ses persiflages.

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La populace ne se doute pas même combien il est pénible de gouverner. Tous les jours la même préoccupation: Vais-je peindre aujourd'hui, ou bien composer de la musique, ou bien construire un navire, ou bien faire un sermon, ou bien résoudre la question sociale?

Pour bien comprendre cette campagne personnelle de Simplicissimus pas entièrement exempte, peut-être, d'un certain particularisme bavarois un croquis du caractère de Guillaume II est indispensable. Autoritaire, agressif et ombrageux, absolument convaincu de l'essence divine de sa mission, la menace perpétuellement sur les lèvres et la main toujours à la garde de son épée, l'empereur Guillaume n'admet ni défense ni réplique chez ceux qu'il défie et insulte.

S'il lui plait de qualifier de « tourbe d'individus, indignes de porter le nom d'Allemands », une notable fraction de ses sujets, de les dénoncer à la vindicte de son armée, de les inviter à « secouer de leurs pieds la poussière allemande.» et à passer la frontière..., il ne leur permet pas, en riposte, le moindre murmure.

Sic volo, sic jubeo! Ainsi je le veux, ainsi je l'ordonne! Voilà, en quatre mots, le très peu compliqué programme gouvernemental de Guillaume II, qu'en toute occasion il souligne. Il est vrai que, lorsqu'il ne parvient

pas directement, et de par son seul prestige impérial, à imposer sa volonté, il ne dédaigne pas les voies détournées.

L'empereur n'ignore ni la souplesse ni l'intrigue pour obtenir sa marine, son port de Kiao-Tchao, son canal de l'Elbe au Weser, et tant d'autres choses plus ou moins populaires qui lui tenaient à cœur, il sut circonvenir tous les partis, à l'exception des social-démocrates non encore amorcés: les nationaux-libéraux, les agrariens, le centre catholique. Seulement, en homme soucieux de sa réputation d'inflexibilité, il ne préside pas en personne aux marchandages nécessaires. Il en charge son chancelier. Si le majordome échoue, il le casse aux gages et le remplace du jour au lendemain par quelque autre mannequin tenu en réserve.

Ainsi en fut-il de l'obscur Caprivi, comme du coulant Hohenlohe. Ainsi il en sera du subtil de Bülow à son premier échec.

Mieux encore que ces appréciations personnelles, les passages ci-dessous, extraits d'une douzaine de discours impériaux, donneront une idée de la façon dont Guillaume II conçoit son rôle :

« Quant à vos griefs, je les ferai examiner par mon gouvernement, et communication vous sera faite du résultat de cette enquête... Mais si vous troubliez l'ordre et la tranquillité publics; s'il était démontré que votre mouvement est en relation avec la social-démocratie, alors je ne pourrais plus examiner vos griefs avec ma royale bienveillance. Car pour moi tout socialdémocrate est un ennemi de l'Empire et de la patrie. Par conséquent, si je voyais des tendances social-démocrates se manifester dans votre mouvement, ou des velléités de résistance à l'autorité, j'agirais avec une sévérité implacable et j'emploierais contre vous toute la force dont je dispose. Et vous savez combien je suis puissant. » (1)

<«< Celui parmi vous qui jamais, en pleine mer, debout sur le pont d'un navire, avec, au-dessus de lui, le ciel étoilé de Dieu, rentra en lui-même, celuilà ne niera pas l'importance d'un voyage de ce genre. Je souhaite à nombre de mes compatriotes de passer par des heures semblables, où l'homme est à même de se rendre compte de ce à quoi il aspira et de ce qu'il obtint. C'est un excellent moyen de se guérir de la présomption, ce dont nous avons tous grandement besoin... Tous ceux qui voudront coopérer avec moi à accroître le bien-être de mon peuple, seront cordialement accueillis, quels qu'ils soient. Quant à ceux qui se mettront en travers de mon œuvre, je les écraserai. » (2)

« C'est ici que l'empereur Guillaume Ier proclama de nouveau la royauté par la grâce de Dieu. Cette royauté par la grâce de Dieu signifie que nous, les Hohenzollern, nous ne tenons la couronne que du Ciel seul, et que nous ne devons compte qu'au Ciel de la manière dont nous remplissons les devoirs qu'elle implique. Je suis un partisan fervent de cette doctrine et j'ai l'intention d'agir et de régner conformément. » (3)

(1) Réponse verbale de l'empereur à une délégation de mineurs du bassin houiller de la Ruhr (14 mai 1889).

(2) Discours prononcé au repas de gala des États provinciaux du Brandebourg (5 mars 1890).

(3) Discours prononcé à Koenigsberg (16 mai 1890).

<< L'ennemi n'est plus à l'extérieur, mais à l'intérieur. C'est la révolution qu'il s'agit de combattre. Elle ne peut être vaincue que par les principes du christianisme... Vous ne pouvez pas être de bons soldats, si vous n'êtes pas de bons chrétiens. Aussi bien, après m'avoir juré fidélité, à moi, votre maître sur la terre faites-le même serment au Sauveur, votre maître dans le ciel.» (1)

« Le soldat et l'armée, et non pas des majorités et des révolutions parlementaires, ont forgé l'empire allemand. J'ai mis ma confiance dans l'armée. Nous vivons à une époque mouvementée, et de graves événements nous attendent peut-être prochainement. C'est en vue de ces éventualités que je rappelle ici les paroles que feu mon grand-père, de bienheureuse mémoire, adressa au corps des officiers de Coblentz : « Voilà les messieurs en qui j'ai mis ma confiance ! » (2)

<< Vous n'aurez, dorénavant, qu'un unique ennemi : mon ennemi. Et si jamais ce qu'à Dieu ne plaise! — j'étais obligé de vous ordonner de faire feu sur vos familles, fût-ce sur vos propres frères et sœurs, sur vos père et mère, alors rappelez-vous votre serment. » (3)

<< Il me faut des soldats chrétiens qui disent leur «Notre Père »... Un soldat ne doit pas avoir de volonté à lui. A vous tous, il ne faut qu'une volonté : ma volonté. Vous tous n'avez à observer qu'une loi : ma loi. » (4)

<< Des nobles prussiens, faire de l'opposition à leur Roi? Mais ce serait de la folie! Ma porte est toujours ouverte à tous mes sujets, et je les écouterai avec bienveillance... C'est à vous, messieurs, que je m'adresse, en criant: Debout! Aux armes ! Pour la religion, pour la morale et pour l'ordre, contre les partis subversifs! De même que le lierre se serre contre le tronc noueux du chêne, qu'il l'orne de ses branches et le protège quand la tempête souffle dans sa cîme, de même la noblesse prussienne forme un rempart autour de ma Maison... En avant donc avec Dieu, et infâme celui qui abandonne son Roi! » (5)

« Au milieu de cette grande et noble allégresse, une note discordante se fait entendre. Une tourbe d'individus, indignes de porter le nom d'Allemands, osent insulter la nation et fouler aux pieds la mémoire sacrée et universellement vénérée de feu notre bienheureux empereur. Puisse la nation tout entière trouver la force de repousser ces attaques inouïes. Et si elle ne le faisait pas, eh bien, c'est à vous (les régiments de la garde) que je ferais alors appel pour vous opposer à cette bande de traîtres, pour nous débarrasser de semblables éléments. » (6)

(1) Discours adressé aux recrues, à Potsdam (20 novembre 1890).

(2) Discours prononcé à une fête militaire (18 avril 1894).

(3) Discours adressé aux recrues, à Potsdam (23 novembre1891).

(4) Discours aux recrues (16 novembre 1893).

(5) Discours prononcé au dîner de gala de la noblesse prussienne, à Koenigsberg (6 septembre 1894).

(6) Discours prononcé au cours de la fête commémorative de la bataille de Sedan (2 septembre 1895).

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