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Quoniam lumbi mei impleti sunt illusionibus; et non est sanitas in carne mea. »

<< Mes reins sont remplis de mensonges; il n'est plus rien de sain dans ma chair. »

Dans le confessionnal, cent fois elle avait été sur le point de crier en termes crus sa passion au prêtre, de la lui lancer comme un vitriol à travers la petite plaque de zinc perforée. Cette plaque, brunie par les doigts et les haleines! Toute sa pureté, toute sa force, tout son orgueil, avaient fui par là, comme une tisane à travers une passoire.

Domine, ante te omne desiderium meum, et gemitus meus a te non est absconditus. »

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Seigneur, vous connaissez tout mon désir, et mon gémissement ne vous est point caché. »

Par une épouvantable équivoque, c'est son désir coupable que les paroles sacrées ressuscitaient en elles. Désir uniquement charnel, sans aucun besoin de tendresse ou d'abandon qui l'excusat, bête de luxure vivace, impérieuse, dont son être tout entier n'était plus que la litière. « Et qui juxta me erant de longe steterunt et vim faciebant qui quærebant animam meam. >>

«< Ceux qui étaient auprès de moi s'en sont éloignés : et ceux qui cherchaient mon âme me faisaient violence. »

Une cloche sonna l'Angelus. Les nuages poussés par le vent passaient comme des fumées sinistres dans l'incendie du soleil couchant. La vieille femme assise auprès de la moribonde s'était endormie sur son chapelet. Et dans le crépuscule, la sarabande des démons tourbillonnait, plus ardente à mesure qu'approchait l'heure suprême. La nuit s'abaissait comme la pierre d'une tombe. Adèle sursauta dans ses draps froissés et baignés des sueurs ultimes. Elle vit la face sévère du Christ à son chevet et lut sur son visage ce reproche : « Tu as donné ton bien aux laïcs. >>

Ce dernier poignard dans son cœur fit enfin jaillir le sang du repentir qu'elle versait pour le ciel, rachat de tel sang plus précieux. L'Enfer fléchit à ce coup. De sa gorge que le râle étranglait, elle voulut crier pour abolir l'impiété de ses volontés dernières. Son âme s'enfuit dans cet effort.

RICHARD CANTINELLI

que

Beethoven")

Examinons maintenant d'où Beethoven a tiré sa force ou plutôt, puisle secret du don naturel doit demeurer voilé pour nous et qu'il nous faut admettre, sans examen, l'existence de cette force d'après ses effets, cherchons à nous expliquer par quelle particularité de son caractère personnel et sous quelles impulsions morales, le grand musicien a pu arriver à concentrer ses forces sur cette œuvre unique, formidable, qui constitue son fait artistique. Nous avons vu qu'il fallait écarter la supposition d'une connaissance raisonnée qui aurait guidé le développement de ses instincts artistiques. Par contre, nous aurons à nous attacher à la force virile de son caractère, dont nous avons déjà vu, en passant, l'influence sur l'épanouissement de son génie intérieur.

Tout de suite, nous avons mis en comparaison Beethoven avec Haydn et Mozart. Si maintenant nous considérons les tendances de leurs existences extérieures, une transition s'établit de Haydn à Beethoven, en passant par Mozart. Haydn fut et resta un serviteur princier qui, en sa qualité de musicien, eut le soin d'amuser son maître fastueux. Des interruptions temporaires, comme ses voyages à Londres, modifièrent très peu le caractère de son art, car, là encore, il ne fut que le musicien recommandé à des seigneurs considérables et payé par eux. Soumis et dévot, il conserva, jusque dans un àge avancé, la paix d'une âme bienveillante et sereine; seuls, ses yeux qui nous regardent du fond de son portrait sont emplis d'une douce mélancolie. La vie de Mozart, au contraire, fut un combat incessant pour s'assurer l'existence paisible; or, elle devait lui rester particulièrement difficile. Enfant, choyé par la moitié de l'Europe, jeune homme, il trouve empêchée, jusqu'à la plus odieuse oppression, toute satisfaction de ses inclinations, puis, ayant à peine atteint l'âge d'homme, il se consume prématurément. Tout d'abord, le service de musicien chez un prince lui fut insupportable: il cherche alors à vivre de l'approbation du public; il donne des concerts, et ses gains fugitifs sont consacrés aux plaisirs. Si le prince de Haydn demandait constamment un nouveau divertissement, Mozart devait au jour le jour trouver quelque chose de nouveau pour amuser le public; rapidité dans la conception et l'exécution, suivant la routine appropriée, voilà le trait caractéristique de ses œuvres. C'est seulement vieillard que Haydn écrivit ses véritables œuvres maîtresses, lorsqu'il jouissait d'une tranquillité assurée par sa gloire extérieure. Mais jamais Mozart n'y parvint ses plus belles œuvres ont été conçues entre l'exaltation d'un moment et l'angoisse du moment suivant. Aussi finit-il par convoiter un riche emploi auprès d'un prince, espérant par là avoir une existence

(1) Voir La revue blanche du 15 août 1901.

plus favorable à sa production artistique. Ce que son empereur lui refuse, un roi de Prusse le lui offre il reste fidèle à son empereur et meurt dans la misère

Si Beethoven avait eu recours à la froide raison pour le choix de son genre d'existence, elle n'aurait pu, par rapport à ses deux grands précurseurs, le conduire plus sûrement que ne le fit la naïve expression de son caractère inné. Il est étonnant de voir combien en lui tout fut déterminé par le puissant instinct de nature. Cet instinct parle ici très nettement dans l'horreur qu'il manifestait pour un genre d'existence comme celui de Haydn. Un regard sur le jeune Beethoven suffisait pour ôter à quelque prince que ce fut la pensée de faire de lui son maître de chapelle. Les traits de son caractère, qui le préservèrent d'un destin semblable à celui de Mozart, affirment plus remarquablement encore son individualité. Comme lui, absolument sans fortune, jeté dans un monde où l'on ne paye que l'utilité, où le beau n'est payé que s'il flatte la jouissance, mais où le sublime doit demeurer absolument sans écho, Beethoven vit aussitôt qu'il lui était interdit d'acquérir, par la beauté, la faveur du monde. Que la beauté et la noblesse dussent se valoir à ses yeux. c'est ce qu'exprimait aussitôt sa physionomie avec une admirable force. Le monde de la forme avait jusqu'à lui bien peu d'accès. Son regard d'une acuité presque étrange ne voyait rien dans le monde extérieur qu'importunités dérangeant son monde intérieur, et son unique rapport avec ce monde fut d'écarter ces importunités. Aussi la contraction devient la caractéristique de ce visage. Le rictus du défi contracte ce nez, tord cette bouche qui ne se détend point pour le sourire, mais seulement pour le rire énorme. Si ce fut un axiome physiologique qu'un grand cerveau doit être enfermé dans une enveloppe osseuse, mince et délicate, comme pour faciliter une reconnaissance immédiate des choses hors de nous, on observe ici le contraire, car l'examen qui a été fait. il y a quelques années, de la dépouille mortelle de Beethoven montra que le crane était d'une épaisseur et d'une solidité tout à fait inusitées, en harmonie avec une charpente osseuse d'une dureté extraordinaire. Ainsi la nature abrita en lui un cerveau d'une délicatesse excessive, afin qu'il ne pût voir qu'à l'intérieur et qu'il put exercer sa contemplation interne en toute quiétude.

Ce que cette force terrible enfermait et conservait était un monde d'une si lumineuse délicatesse que, livrée sans défense au rude contact du monde extérieur, elle se fùt dissoute et évaporée comme le délicat génie de lumière et d'amour de Mozart.

Maintenant, se dira-t-on, comment un tel être, d'une aussi pesante enveloppe, pouvait-il regarder dans le monde? - Certainement, chez un tel homme, les émotions intérieures de la volonté ne déterminèrent jamais, ou seulement d'une manière indistincte, sa conception du monde extérieur; elles étaient trop violentes et en même temps trop délicates pour pouvoir s'attacher aux apparences que son regard effleurait avec une hate inquiète, et, enfin, avec cette défiance de l'éternel insatisfait.

L'illusion fugitive qui pouvait faire sortir Mozart de son monde intérieur et l'entraîner à la recherche des jouissances extérieures, n'avait pas de prise sur lui. Les satisfactions puériles que l'on peut avoir aux distractions d'une grande ville de plaisir n'existaient pas pour lui, car ses instincts de volonté étaient trop forts pour pouvoir trouver le moindre aliment dans cette existence artificielle. Son goût pour la solitude ne faisait que s'en accroître et se rencontrait aussi avec son sentiment d'indépendance. Un instinct admirablement sur le guidait en cela et fut le ressort principal des manifestations de son caractère. Spinoza conserva son indépendance en polissant des verres. Schopenhauer s'efforça de maintenir intact son petit patrimoine; ce souci gouverne toute sa vie extérieure et éclaire les côtés obscurs de son caractère, car il considérait que la vérité de toute recherche philosophique est mişe sérieusement en péril quand elle dépend de la nécessité d'acquérir de l'argent au moyen de travaux scientifiques. La même préoccupation détermina en Beethoven sa fierté invincible en face du monde, son penchant pour la solitude, enfin, ses tendances presque austères qui s'exprimèrent dans le choix de son mode d'existence.

En réalité, Beethoven eut aussi à gagner sa vie au moyen de ses travaux musicaux. Mais, la vie confortable n'ayant pour lui aucun attrait, il subissait moins la nécessité de fournir des travaux rapides et superficiels et de faire des concessions au goût du jour auprès duquel on ne peut réussir qu'avec des œuvres aimables. Ainsi, plus il perdait contact avec le monde du dehors, plus il tournait ses regards clairvoyants vers son monde intérieur. Plus il s'habitue à la gestion de ses biens intérieurs et plus sciemment il impose au dehors ses exigences. Il demande à ses protecteurs de ne plus lui payer ses travaux, mais de prendre soin qu'il puisse travailler pour lui-même, sans la moindre inquiétude. Pour la première fois dans la vie d'un musicien, il arrival effectivement que quelques haut-placés s'engagèrent à lui conserver son indépendance à la façon dont il l'entendait. Arrivé au même tournant de l'existence, Mozart, prématurément épuisé, disparaissait.

Ce grand bienfait, dont il ne jouit pas toujours d'une façon bien régulière, fonda cependant l'harmonie particulière qui s'annonça dès lors dans la vie du maître encore que cette existence fùt étrangement organisée. Il se sentait vainqueur et savait qu'il n'était au monde que comme homme libre. Ce monde devait l'accepter comme il était. Il traitait en despote ses nobles protecteurs, et l'on ne pouvait rien obtenir de lui. que ce qui lui plaisait et à l'heure qui lui convenait.

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Mais jamais il ne se plut à autre chose qu'à ce qui le captiva uniquequement et toujours le jeu du magicien avec les formes de son monde intérieur. Car bientôt le monde extérieur s'effaça pour lui complètement, non que la cécité lui en ravit l'aspect, mais parce que la surdité l'éloigna rapidement de son oreille. L'ouïe était le seul organe par lequel le monde pùt introduire son trouble en lui, car il était depuis longtemps mort pour ses yeux. Que voyait le rêveur extasié quand il

marchait par les rues fourmillantes de Vienne et regardait fixement devant lui, les yeux grand ouverts, vivant uniquement dans la contemplation de son monde intérieur d'harmonies. Quand vint la surdité, ses maux d'oreilles le tourmentèrent terriblement et le plongèrent dans une profonde mélancolie; nous l'entendons peu se plaindre, quand la surdité devient complète et qu'il ne peut plus entendre une exécution musicale. Seul le commerce de tous les jours lui était rendu difficile, qui n'avait jamais eu pour lui aucun attrait; aussi désormais s'en détourna-t-il définitivement.

Un musicien qui n'entend pas! - Peut-on imaginer un peintre aveugle?

Mais le voyant aveugle, nous le connaissons, c'est Teirésias à qui le monde des apparences est fermé et qui, pour cela, observe, avec l'œil intérieur, le principe de toute apparence. C'est à lui que ressemble maintenant le musicien sourd, qui, n'étant plus troublé par le bruit de la vie, écoute maintenant uniquement les harmonies de son âme, et continue, du fond de lui-même, à parler à ce monde qui, pour lui, n'a plus rien à dire. Ainsi le génie délivré de tout le hors-soi, est en soi et pour soi. A celui qui eût vu alors Beethoven avec le regard de Teirésias, quel miracle se serait dévoilé! un monde marchant dans un homme ! l'En-soi du monde devenu homme qui marche ?

Et maintenant l'œil du musicien s'éclairait du dedans. Maintenant il projetait son regard sur les formes qui, éclairées par sa lumière intérieure, se communiquaient de nouveau à son être intérieur. Maintenant c'est seulement l'essence des choses qui lui parle et qui les lui montre à la lumière calme de la Beauté. Maintenant il comprend la forêt, le ruisseau, la prairie, l'éther bleu, les masses joyeuses, le couple amoureux, le chant des oiseaux, la fuite des nuages, le grondement de la tempête, la volupté d'un repos idéalement agité. Alors cette sérénité merveilleuse devenue pour lui l'essence même de la musique, pénètre tout ce qu'il voit, tout ce qu'il imagine. Même la plainte, élément naturel de tout son, s'apaise en un sourire le monde retrouve son innocence d'enfant. « Avec moi vous êtes aujourd'hui en Paradis!» Qui n'entendit cette parole du Sauveur, à l'audition de la Pastorale ?

Voici maintenant que croît cette force génératrice de l'inconcevable, du jamais vu. du jamais éprouvé, qui, par elle, est immédiatement conçu, vu, éprouvé. La joie d'exercer cette force devient humour. Toute douleur de l'existence vient se briser à l'énorme tranquillité de son jeu avec l'existence; Brahma, le créateur du monde, rit sur lui-même, car il connaît l'illusion sur soi-même, l'innocence retrouvée joue espièglement avec l'aiguillon du péché expié, la conscience délivrée nargue son tourment aboli.

Jamais art au monde n'a créé d'œuvres aussi sereines que les symphonies en la et en fa et toutes les autres œuvres de parenté si étroite avec elles, qu'il composa à l'époque divine de sa complète surdité. Leur action immédiate sur l'auditeur est la libération de tout péché, et

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