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trancher fortement sur les autres par quelque chose qui leur est commun, et qui est le refus, en général, du grand geste romantique, et une certaine tranquillité bourgeoise, qui fut longtemps la marque de la poésie académique depuis 1830 (1) et qui fut académisée en eux, avant, bien avant celle de Leconte de Lisle.

M. de Heredia se détache du demeurant du groupe, par sa fidélité au sonnet et par son goût classique : c'est là une branche nouvelle du Parnasse qui commence; elle s'appuie sur Chénier, sur Leconte de Lisle. Elle sourit à certaines volontés du Symbolisme, pas les essentielles ; c'est là une école en formation; on ne peut que regretter ce maniement exclusif d'une forme et on ne la pourra juger qu'après peut-être de nouveaux travaux de M. de Heredia, de M. Léonce Depont, de M. Legouis.

Il est probable que cette pléiade de sonnettistes n'apportera à la poésie qu'un curieux et très intéressant intermède; mais il faut attendre pour juger loyalement la portée du mouvement. Quant à l'œuvre originaire, les Trophées, il est simple d'y reconnaître ce qu'elle contient : des beautés, de la monotonie, un jeu exagéré des richesses verbales et décoratives, une négligence absolue de ce qui pourrait être d'intérêt fondamental; c'est une œuvre de luxe et d'évocations résonnantes, courtes forcément et pas assez imprévues.

MM. Dierx, Catulle Mendès, Silvestre, forment un groupe homogène; les différences sont d'individualité de tempérament.

Un poète tel que M. Léon Dierx, qui a poussé les plus beaux cris pessimistes et qui a trouvé le Soir d'octobre, honorerait toute école, et si son œuvre manque de volume et aussi de variété, le nombre des beaux fragments y est assez considérable pour compenser tout regret.

M. Catulle Mendès. c'est l'activité même, et c'est le parnassien-type. S'il y eut Parnasse, ce fut un peu par réaction de son esprit sur des esprits différents qu'il sut retenir un instant à l'écouter et surtout par sa fréquente affirmation qu'il y avait Parnasse. La formule du Parnasse, cette formule de recherche sur tous les terrains, d'excursions fantaisistes, héroïques, bouffonnes, variées surtout, c'est la formule de son esprit apparenté à celui de Banville. Il est kaleidoscopique. Il parcourt, toujours affairé, ardent, et vraiment à la chasse de l'idée, un parc aux mille sentiers; c'est parce qu'il est si emballé vers ses réalisations qu'il ne s'aperçoit pas qu'il les retrouve sur les mêmes chemins où il a déjà passé. Critique, il est plein de parti-pris, d'injustice. d'erreurs (je ne parle pas de sa remarquable critique dramatique, mais de la critique littéraire qu'il y insère théâtre-faisant; mais. quand il se trompe, c'est toujours sincèrement ou par fidélité à un idéal auquel il s'est attaché éperdument. Il est, en tout cas, la plus large ou la plus variée personnalité parnassienne, car s'il a des défauts de rhétorique et

(1) Sauf pour Hugo, Vigny, Musset, Leconte de Lisle qui tranchaient; voir, dans les Souvenirs de Théodore de Banville, l'étude sur Alfred de Vigny, où sa vie académique est caractérisée.

d'afféterie, il possède quelques-unes des belles qualités du romantisme, et parmi ses romans romantiques, héritiers de la dernière manière d'Hugo, additionnée de Chamfort et de Crebillon fils, assaisonnée de lyrisme légendaire, «<l'eau du Gange en gouttelettes dans son vin de Champagne », quelques-uns compteront. C'est lui aussi qui à conté le plus de beaux contes épiques, chanté le plus de jolies chansons, et a publié le plus de rimes inutiles, et il a trop fréquemment plié le vers à la chronique.

Armand Silvestre, improvisateur expéditif et averti, très maître d'un métier souple sans recherche, très indulgent à sa facilité, laisse, parmi tant de poèmes doués d'un excessif air de famille, les beaux vers de la Gloire du Souvenir et des Sonnets païens, comme pour montrer qu'il était supérieur à sa production ordinaire. Il a eu de francs accès de verve, qui lui marquent une belle place parmi les conteurs gaulois; il a la verve, les procédés, l'abondance et le facile accueil aux bons mots de terroir et de corporation des meilleurs écrivains de ce genre.

A côté de ces poètes, le Parnasse a ses minores, dont plusieurs laissent ou laisseront au moins quelques pièces d'anthologie. Le type en est Glatigny, dont on lira longtemps la Normande, Maritorne, la Lettre à Mallarmé, poèmes rimés d'une certaine habileté. Il a servi de type à cette leçon du Parnasse sur l'agilité du versificateur et sur le don spécial du poète, qui consiste à attribuer à Glatigny, artiste médiocre, un don réel, considérable, constituant le poète et que n'aurait point eu un Flaubert, écarté des vers par les chinoiseries du métier poétique. Il est juste de citer M. Albert Mérat, paysagiste de ville, que les jardinets des fenêtres de Paris, les Asnières, les Meudon, les passages de canotiers sur une Seine ensoleillée ont intéressé et qui en a tiré d'agréables poèmes. Près de M. Mérat il faut citer, par similitude de genre, M. Antony Valabrègue, qui fut un critique d'art instruit (les petits Parnassiens furent parfois de bons critiques d'art, comme M. Lefebure qui donna un judicieux volume sur la Dentelle, on peut aussi parler de M. Georges Lafenestre, auteur de vers légers et faciles). M. Valabrègue nota non sans finesse bien des décors de berge, de fêtes, de soirs de banlieue. Léon Valade, qui collabora avec M. Mérat pour une traduction de l'Intermezzo de Heine, est mort jeune; il laisse une œuvre trop brève, où des pièces tendres sont tout à fait jolies, et, dans une gamme restreinte, il donne une sincérité d'émotion rare dans son groupe et que ne dépare point la rhétorique. M. Ernest d'Hervilly a brillé dans la gamme funambulesque. Il amusa beaucoup, aux débuts du Parnasse, par son Harem, où les diverses beautés du monde, de l'anglaise à la négresse, sont caractérisées avec quelque ironie. Rien ne vieillit si vite qu'une pièce gaie, mais des poèmes descriptifs de sensation exotique, sur la Louisiane entre autres, certifient la valeur poétique de M. d'Hervilly, qui semble avoir abandonné la poésie pour entasser une babel d'histoires légères et courtes dont certaines sont fines et d'un véritable humour. M. Emmanuel des Essarts, poète d'ambition et de bonne volonté, a tenté,

dans ses Poèmes de la Révolution, un gros effort qui l'a laissé au-dessous de son sujet. M. Xavier de Ricard, dont le livre Ciel, Rue et Foyer contient des pages intéressantes, l'inventeur ou au moins le fervent assidu, au commencement du Parnasse, du sonnet estrambote qui eut les honneurs de la parodie du Parnassiculet, s'est dirigé depuis longtemps vers les études politiques et sociales, et sa plume fut une des plus généreuses parmi celle des écrivains des Droits de l'homme. M. Cazalis a tiré des poèmes hindous et des poèmes persans la matière d'adaptations assez bien faites, et la beauté des modèles n'a point perdu tous ses rayons en passant par ses vers souples. Quelques poèmes en prose agréablement cadencés complètent son œuvre courte que rehausse une bonne histoire élémentaire de la littérature hindoue, très séduisante et attachante. Jean Marras, qui vient de mourir, était un ami très chaud et très dévoué des Parnassiens. profondément pénétré de la vérité de leur esthétique, mais non un parnassien, non plus que Cladel, dont les quelques vers (le sonnet à son ane et quelques courts poèmes) ne sont qu'une part insignifiante de l'œuvre. M. Frédéric Plessis, d'un vers ferme et distingué, augmente le nombre des poèmes antiques. C'est, parmi le premier ban des Parnassiens et leurs immédiates recrues, ceux qu'on peut citer, à moins qu'on n'ajoute des élèves particuliers de MM. F. Coppée ou Sully Prudhomme, comme M. Dorchain, poète de facture pâle, mais non sans distinction, ou des écrivains tels que M. André Theuriet, qui n'a fait dans la poésie qu'un court passage et a dilué son sentiment de la nature et son érudition florale et sylvestre dans des romans genre Revue des Deux-Monde, ou bien M. Jean Aicard, mais il n'est pas certain alors que les Parnassiens ne m'accuseraient pas d'abuser de quelques déclarations parnassiennes de M. Jean Aicard pour leur infliger un élève dont ils se soucient peu; tout de même, une fois au moins, M. Catulle Mendès l'a revendiqué.

Il semble que le reproche qu'on sera en droit d'adresser au Parnasse, ce sera de n'avoir rien innové et que les quelques hommes de talent qu'il compta ne se soient préoccupés que de tenir honorablement un rang à la suite du Romantisme. Ils n'ont eu ni le souci ni l'intelligence de l'évolution littéraire. Par leur maniement particulier du vers faussement marmoréen (il n'y a qu'à lire M. Coppée, M. Sully Prudhomme pour voir que ce vers est beaucoup plus garni à la façon d'une poupée moderne que marmoréen comme une statue antique), par la dispersion du rythme sur toutes sortes de sujets peu poétiques, ils avaient rendu le public lettré français indifférent à la poésie, et il a fallu l'évolution symboliste et la mise en question de la prosodie traditionnelle pour provoquer un sursaut et un retour d'attention, dont ils ont, d'ailleurs bénéficié.

Le mouvement symboliste a déplacé la question pour le Parnasse qui devenait aux yeux de tous, dûment ce qu'il était, un parti, pour ainsi dire conservateur; et contre les novateurs qui ont réformé la technique et réinfusé de la vie à la poésie, il s'est fait une alliance, à peu près, de tous les poètes fidèles au rythme traditionnel; cela a rapproché du Parnasse, une foule de fidèles du Classicisme ou du Romantisme, des lamartiniens ou des mussettistes exactement pareils à ceux qu'on maudissait à l'hôtel du Dragon Bleu et qui auparavant niaient les Parnassiens, quoi que ceux-ci fussent alors les plus intéressants des poètes de tradition ancienne. Il faut pourtant se rendre compte que ces adeptes nouveaux, pas plus que les jeunes écrivains amis du Parnasse qui pratiquent le vers libéré, ne sont des Parnassiens, et il ne faut pas croire à un grandissement subit et tardif de l'école. C'est un beau coucher de soleil et non une aurore. C'est la fin, dans le respect et l'attention admirative et émue, d'un groupe qui fit son devoir, qui sut maintenir la gloire du vers, et qui, s'il n'augmenta rien, ne laissa pas déchoir. Les Anthologies tiendront grand compte de leur production. Il leur a manqué que l'un d'eux, soit M. Mendès, soit M. Dierx, écrivit un livre de vers qui s'imposât tout entier comme la Légende des Siècles, les Destinées, les Fleurs du mal ou les Exiles. Il est honorable pour eux qu'on puisse penser que, s'ils ne l'ont pas fait, c'est par esprit de discipline et par respect envers les maîtres.

M. Catulle Mendès le dit dans sa Légende du Parnasse contemporain après qu'il a comparé le groupe des Parnassiens aux Trois Mousquetaires, M. Dierx étant Athos, Glatigny d'Artagnan (Glatigny a dit :

Père de la savante escrime

Qui préside au duel de la rime,

comparaison fâcheuse et qui résume assez clairement la technique factice de l'école) et M. Coppée Aramis, ce qui n'est point sans dénoter des dons psychologiques et même prophétiques : le but des Parnassiens était de développer leur originalité sur les terrains, les mondes, și vous préférez, conquis par Hugo. Ils s'y sont bornés.

En 1902, demain, lors du Centenaire d'Hugo, M. Catulle Mendès et ses amis d'art seront là; ils croiront, de bonne foi absolue, qu'ils sont les héritiers directs d'Hugo et qu'ils le représentent. Ils auront tort. Il n'a tenu qu'à eux qu'ils eussent raison; ils auraient pu continuer l'évolution romantique : ils l'ont figée. Ils célébreront leur grand homme, leur Père, mais parmi les pompes d'une Religion qui s'en va justement parce qu'on l'a déclarée fermée et qu'on n'y veut plus rien changer,

L'Evolution passe et laisse les plus pures croyances devenir des documents pour servir à l'histoire des religions et, dans le cas présent, des Écoles poétiques.

GUSTAVE KAHN

I

Adèle défit une agrafe de son corsage noir et par la fente cueillit trois scapulaires de couleurs différentes carmélite, bleu et rouge. Elle n'avait recours à ces truchements mystiques qu'aux heures où l'intercession directe du ciel lui semblait indispensable.

La lumière jaune du couchant entrait par la fenêtre en un large rayon. Adèle, à genoux sur son prie-Dieu, en était baignée et ressemblait ainsi aux saintes des gravures pieuses. Sur la fenêtre, nourrie de l'humus extrait du champ où saint Antoine de Padoue s'était autrefois reposé, une giroflée s'épanouissait.

C'était l'heure tranquille où les rues des villages s'emplissent de parfums d'arbres et d'odeurs de cuisine à la sauge. Les feuillages anciens du pensionnat des Sœurs Sacramentines soulignaient d'une immobile barre sombre les vibrantes collines violettes de l'horizon.

Comme exaspéré par la paix environnante, l'ouragan secret qui chaque samedi, au retour du confessionnal, tourmentait l'âme d'Adèle se déchaînait cette fois, plus indomptable. Travaillée par une tentation abominable, elle appelait l'extase qui délivre, enchaîne la langue, immobilise le cerveau et fait tomber entre l'esprit et les imaginations damnables le divin rideau des visions. Par instants, comme une gerbe de flammes jaillit d'une maison incendiée, des paroles s'échappaient de sa bouche.

Quel sacrilege, ô mon Dieu! communier en état de péché mortel! Et cependant, que faire ? Vous le savez, mon Dieu, je ne puis confesser ce péché sans en commettre un plus fort, mille fois plus fort, puisqu'il touche à l'un de vos ministres et qu'il est compliqué de scandale !

Adèle prit entre ses doigts le scapulaire brun et le baisa. Elle l'avait reçu directement des mains d'un religieux carme et connaissait les vertus certaines de cet adorable objet. En 1251, la Vierge avait ellemême remis ce scapulaire à Simon Stock, général des Carmes en Occident. Ainsi que l'indiquait son origine, il était la plus sûre sauvegarde de la chasteté. Tenant ce scapulaire sur sa bouche, à la chaleur même de ses paroles, elle pria longtemps.

Le ciel bleu brilla, tout palpitant d'ailes, traversé par des chants de harpe, puis, tout à coup, la clarté fulgurante de l'enfer, la nuit de l'abîme, et, par dessus tout, éclatante, dominant les oraisons précipitées, devançant le galop effaré des mea culpa, la voix et l'image de son péché.

Alors Adèle eut recours à son scapulaire rouge, au scapulaire rouge de la Passion. Les associés à ce scapulaire ne peuvent profiter des indul

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