Imágenes de página
PDF
ePub

celui-là, ce comte de Toulouse qui, combattant son frère qu'il haïssait, victorieux, l'avait de ses mains cloué au bûcher où il mit le feu luimême.

Avide d'émotions, de spectacles, de jouir, de vivre, privé des exercices de corps, et, misère pire, de la sécurité dont il n'est pas d'amour qui ne soit insatiable, privé même d'en pouvoir espérer, c'est cette surexcitation qui joue la force et cette fureur qui feint la joie qu'il buvait, voudrait-on dire, à même l'alcool. Dans l'atmosphère des cabarets, des bals publics, des cafés chantants et des lieux à qui leurs habitués ont fait la réputation d'être les pires, il épiait une rixe entre buveurs, des tueries, l'obscénité ingénue, des traits où se condensent le raffinement du vice et sa candeur, des gestes hardis.

Il avait reçu tous les dons qu'il faut pour jouir de la vie passionnément. Or ils furent, du fait de l'enveloppe paradoxale, cruellement, comprimés et le joyeux vivant réduit à n'être que trop perspicace spectateur. Mais il semble bien que Henri de Toulouse-Lautrec ait accepté le défi vraiment de la Destinée. S'étant replié, il concentra toutes ses énergies dans des expressions si intenses, qu'y éclate, à défaut d'une autre plus douce, la joie de narguer la malechance. Sur ses méfaits, par un perpétuel inimitable raccourci, il aura pris du moins la plus spirituelle et plus aiguë des revanches.

C'est vrai qu'il triomphe, mais la lutte est finie.

THADEE NATANSON

Vieux Chants Arméniens

Ces petits poèmes, pour la plupart écrits en cette forme du quatrain si chère aux Orientaux, sont l'œuvre de Nahabed Koutchak, achough (poète populaire) arménien, qui a dû vivre au xve ou au xive siècle; la copie la plus ancienne de ses vers qui nous soit parvenue est de 1583.

Nahabed Koutchak est né et a passé sa vie dans le village de Kharagonis, près de Van (Grande Arménie). Ses chants (chants gnomiques, chants d'amour, etc.) lui ont valu une grande célébrité parmi ses compatriotes. Son tombeau est encore un lieu de pélerinage pour les Arméniens de Karagonis.

A. T.

CHANTS D'AMOUR

Ce matin, on entend le chant des oiselets du printemps;

O mes oiselets! il y a une voix plus douce que toute voix :

C'est celle de l'oiselet qui s'appelle bulbul; celui-là ne dit que des choses d'amour.

Sa petite voix m'a frappé l'oreille, et je ne peux plus cesser de pleurer.

Ton visage est comme une lune, tes cheveux comme une épaisse nuit,

Tes tempes sont comme des pommes du paradis, et tes yeux te sont prêtés par la mer;

Tu as des sourcils arqués, des yeux sombres, et tes cils sont des flèches;

Ta bouche est une tulipe humide, toute remplie de perles.

Mon cœur est un enfant pleurnicheur, je tâche de le distraire en lui donnant des bonbons:

Il pleure tout le jour et demande à te voir; que puis-je faire pour le calmer?

Je montre à mes yeux tout ce qu'il y a de joli en ce monde :

Que puis-je faire si mes yeux ne veulent voir que toi?

Ma petite âme ! si tu demandes ma vie, je ne dirai pas non, je te la donnerai ;

Mais j'ai peur que tu ne me demandes mes yeux; comment pourraisje vivre sans te voir?

Quand pourrais-je posséder les petits melons de tes seins?

Ta gorge est pareille à une mer; on dit que la mer guérit la fièvre ; Je voudrais plonger dans ton sein et m'y baigner,

Puis, sortant de cette mer, dormir à l'ombre de tes sourcils.

J'ai vu, en passant, mon aimée assise sur un tapis ;

Je lui ai dit : « Je t'aime » ! elle a mordu ses lèvres,

Et m'a dit : « Jeune homme, si tu m'aimes, ne le dis pas à tout le monde ;

Tu perdrais ta tête, ta vie et bien d'autres choses encore. »>

O ma fleur d'amandier, tu es devenue blonde comme une amande. Ta bouche est une petite friandise, tes lèvres sont dattes et amandes. Le jour où ta mère t'a mise au monde, tu pleurais, mais tout le monde riait ;

Sois non moins pure en quittant la terre, pour que tu ries quand tout le monde pleurera.

O monts! ô vallons! sachez-le, j'ai perdu mon aimée !

O pierres! ô arbustes! n'est-elle pas parmi vous ?

O pont de pierre, ne t'a-t-elle pas traversé ?

Pendant que je dormais, elle s'en est allée !

Mon cœur a deux portes, l'une visible et l'autre secrète;
Je suis sorti par la porte secrète, j'ai trouvé une parcelle d'or ;
Cet or que j'ai trouvé n'a passé par la main de nul orfèvre,
N'est entré dans nul creuset, n'a subi le choc de nul marteau.

En ce monde tu es une bague, et moi une pierre dessus ;
Au bord d'un frais ruisseau tu es le gazon, et moi la rosée dessus ;
Tu es une pomme sur la branche de l'arbre, et moi une petite feuille

verte dessus.

J'ai peur que l'automne arrive, et que l'on te cueille, et que ma petite feuille se dessèche.

Je suis une tourterelle sauvage, prends-moi, homme, si tu le peux ; Je m'envole, je me mêle à d'autres essaims; viens m'y reconnaître, si tu le peux.

Quand même tu construirais une cage tout en or, tu ne pourrais m'y enfermer:

Quand même le monde entier viendrait me prier de ta part, tu ne pourrais pas m'emmener chez toi.

J'étais de ces oiseaux qui ne mangent pas de grains sur terre;

Je volais toujours dans le ciel pour ne point tomber dans le piège de l'amour;

Le piège était tendu au milieu de la mer, et je n'en savais rien; Chaque oiseau y tombe avec ses pieds, moi j'y suis tombé avec mes pieds et mes ailes à la fois.

Un faucon chassait le gibier en plein jour avec la courroie rouge. Une perdrix aux mille plumes se tenait assise, les yeux allongés de noir;

Elle dit au faucon : Ne chasse pas en plein jour;

Je ne suis pas une proie à prendre en plein jour; chasse-moi pendant la nuit.

Que j'aime ton charmant visage, au prix duquel la lune est une esclave! Je voudrais baiser tes lèvres fines, au prix desquelles le sucre semble

amer;

Tes yeux noirs et tes sourcils arqués sont plus orageux que la mer; Ta bouche est comme un flacon plein d'eau de roses.

Mon aimée sortit de la maison de son père, comme un navire sort de la mer;

Elle est vêtue d'un manteau vert, et elle a couvert sa tête d'une coiffure;

Son haleine est comme le musc tiré de l'ambre;

Sa face est comme l'étoffe qui arrive du pays des Francs.

O ma lune chérie qui passes là-haut, où t'en vas-tu par cette immense nuit?

Tu regardes par bien des lucarnes, tu vois bien des belles endormies,
Toutes aux chemises délacées; ta clarté tombe entre leurs seins,
Se réfléchit de là dans le ciel, assombrit la lueur des étoiles.

Je voudrais être une petite hirondellé, pour entrer chez toi toute la journée;

J'aurais fait mon nid sous la large corniche de ta maison;

A la tombée de la nuit, je descendrais dans ton lit,

A l'arrivée du matin, je rentrerais dans mon nid.

Je voudrais être une chemise de mousseline pour enlacer ta taille durant toute la journée,

Ou un petit bouton de soie pour baiser ton cou,

Ou bien de l'eau ou du vin de grenade restant toute la journée dans

ton verre :

Tu m'aurais approché de ta bouche, je me serais baissé et j'aurais baisé ton menton.

Tes yeux sont pareils à la mer qui se dresse aux portes de l'Égypte; Tes cheveux sont comme des vagues agitées par le vent;

Tu es plus élancée que le saule, plus ronde que la pomme rouge, Plus radieuse que la rose camphrée qui emplit le monde de son parfum.

O ma belle à la bouche de grenade et d'amande, ô ma grenade et fleur d'amandier, ô mon basilic!

Tu es pareille à la rose à mille feuilles; nulle mère n'a mis au monde ta pareille;

Tes lèvres sont comme le citron, elles aiguisent l'appétit ;

Ta langue est comme le rossignol qui chante la louange du printemps.

O mon amandier, tu as fleuri et tu as donné des amandes ;

Ta bouche est douce et gentille, tes lèvres sont dattes et amandes; L'eau-de-vie que tu tiens à la main, bois-la, pour que je dise : longue

vie!

Je baiserai les coins de ta bouche qui sent si doucement le vin.

La vraie fleur est pour moi la fleur qui a poussé dans la bouche du serpent;

Nul homme n'a osé, par crainte du serpent, respirer l'odeur de cette fleur.

Un jeune homme, du pays des Roumis, a risqué sa vie,
Il a tué le serpent, et il a arraché la fleur à sa bouche.

J'ai planté un jardin, où il y a de beaux jeunes arbustes;
Je l'ai soigné, je l'ai mùri: on me l'a ravi, et je pleure.

« AnteriorContinuar »