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en vain était-il demeuré là, en observation, longtemps, jusqu'à ce que la façade s'éteignît...

Se venger, jouir, songeait-il en remémorant l'épisode, il y a de la difficulté. — Encore, frapper le prince, cela se peut. Mais elle, comment la saisir? comment l'obliger à me suivre?

Sommairement, il combinait en esprit, avec l'aide de camarades dévoués, un rapt qui lui paraissait légitime, puisqu'après tout, et de l'assentiment du souverain, il avait eu la virginité de cette princesse de mystère... Elle lui appartenait, il l'avait conquise le premier, elle était sa femme de droit...

Les parfums que dégageait le sol exacerbaient sa voluptueuse et solitaire rêverie. - Impérissable, l'odeur fine de ce corps qui avait été sien s'était attachée à lui; plus forte que ces effluves, elle embaumait, chatouillait lascivement ses narines... Ses mains solides malaxaient la terre comme de la chair; et son regard scrutait plus avidement les palais-bijoux dispersés dans le parc, les fourmis humaines qui à présent surgissaient au ras des pelouses, sur les perrons, les terrasses, dans les avenues sablées...

Incommodé par trop de soleil, il se laissa glisser plus bas, sur des rhododendrons défleuris, mais qui formaient un lit élastique. L'idée qu'on y serait mieux à deux que seul, fit s'épanouir sur sa bouche un sourire qui dura. Pour y mieux songer, il alluma sa pipe, but de l'eau-de-vie à même sa gourde, et se complut en son oisiveté. Un peu plus tard, il se laissa dévaler vers un massif de sapins dont l'ombrage l'attirait. Et s'engageant dans un sentier escarpé, il continua de descendre, sans hâte, jusqu'à un étage inférieur de la montagne, d'où il revit Pücklau, beaucoup plus proche, avec des maisons grandies, son parc singulièrement plus vaste, et le Vieux-Château dont la tour se haussait vers lui. L'agitation insolite sur l'esplanade qu'il dominait à pic, l'étonna; car son ami, le chevrier, qui ne délaissait guère ses pâturages, n'avait pu le reneigner sur le « mystère » qu'on préparait...

Sans mobile précis, il poursuivit son chemin, longeant un bois de châtaigniers au-dessus d'un précipice; il avançait avec une adresse de félin, la pente étant roide, coupée d'obstacles, sollicitant un faux-pas qui, par la profondeur de l'abîme à sa gauche, eût pu lui coûter la vie. - A mesure qu'il descendait, l'atmosphère se faisait plus lourde, et plus chaude; fatigué, il se coucha sur de la mousse qui tapissait le fond de la gorge où il venait d'aboutir, et s'endormit. Quelques heures plus tard, il se réveilla, tiraillé par la faim.

Voilà une belle équipée, se dit-il, en constatant que pour toute subsistance, il lui restait un croûton de pain dans sa poche. L'eau-de-vie le réconforta, le rendit loquace avec lui-même.

Et qu'est-ce qui t'a poussé, Ralph, se tança-t-il, à te promener ici, où le plein jour est dangereux; et où es-tu au juste? Tu es malade, mon garçon...

Le soleil s'était déplacé; ses rayons obliques dardaient de l'Occident, et une ombre dentelée affleurait la gorge en face de lui, la tour, ayant repris son arrogance, dressait sa muraille. béante, ses créneaux cariés. Elle vivait, menaçait.

Il la considéra paisiblement, l'apostropha :

Ah! bien, je me retrouve. Toi, tu ne m'effraies pas, je vais te le prouver.

Avançant un peu, il atteignit le débouché de la ravine verdoyante, se pencha, et s'assura qu'avec des précautions, il y avait moyen, sans dommage pour sa personne, de riper jusqu'au bas du rocher.

Ainsi m'introduirai-je dans le parc de Son Altesse, sans qu'on y trouve à redire, conclut-il. Et ensuite...

Ensuite, il ne savait pas.

Tout de même, il éprouva quelque embarras, lorsque, dégrisé par la rapidité de sa dégringolade, il fut prisonnier dans ce territoire, strictement clos, où il était à la merci de n'importe quel passant autorisé, garde-chasse, valet ou courtisan...

Est-ce que je pourrai me remonter là-haut? se demanda-t-il. Il mesura l'escarpement, nota les creux et les saillies, se

rassura:

Un jeu, cette ascension, quand la tête est solide et le jarret souple.

Une nouvelle rasade d'eau-de-vie- le fond de la gourde―lui inspira une confiance illimitée en soi-même. C'était bien dans le parc princier, non clôturé de ce côté, qu'il avait pénétré, et il en voyait la partie la plus agreste et la plus sauvage. L'occasion lui parut belle d'explorer ce lieu défendu. Etourdi de soleil et d'alcool, il avançait.

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Une prime à qui m'attrapera! disait-il en défiant d'invisibles ennemis. Au couvert de taillis épais, il se dirigeait vers le Vieux-Château, curieux de s'y faufiler, et convaincu que sa bonne étoile empêcherait qu'on ne l'arrêtât. D'ailleurs, sa barbe et ses cheveux avaient repoussé; il était méconnaissable. Au pis, on le prendrait pour un pâtre égaré, et à un interrogatoire trop pressant, ses jambes le soustrairaient? Il marchait furtivement,

écartant d'un geste léger les branches qui le gênaient. Brusquement, une route large lui barra le passage. La traverser? il hésitait; et derrière le talus, assis, il délibéra. La route, en pente douce, décrivait une courbe autour de la colline; pour gravir au sommet, il ne pouvait éviter, ici ou plus haut, de la couper. De s'exposer ainsi, fùt-ce un instant, aux regards, lui parut téméraire. Son sang se calmait à la paix amollissante des environs; il se découragea. L'inutile audace de sa tentative lui fut démontrée. Levant les yeux, il vit, par-dessus une couronne de pins, profilés sur le satin bleu du ciel, les créneaux de la tour qui le narguaient. Dépité, il baissa la tête, scruta, par habitude de bête traquée, cette route, blanche, ensoleillée, et dont le circuit se développait sur une longue étendue. Soudain il tressaillit. A distance, dans le bas, un équipage émergeait du tournant. Un plumet blanc, sur le siège d'arrière, le signalait. Les chevaux allaient au pas. Dans le fond de la voiture, il discerna deux personnages. Et son attention se concentra tellement sur eux, qu'il n'entendit pas, derrière lui, sous bois, assez loin, un bruit de voix qui se propageait.

Le prince ! murmura-t-il. A moi, le prince !

Il fouilla dans ses poches; pas d'armes. Son couteau, il avait dû le perdre dans sa chute, tout à l'heure. Cela le désespéra. Il se rappela ses projets insensés du matin, ce quartier de roc sous lequel il souhaitait d'écraser ces palais détestés, et un éclair alluma sa prunelle. Il chercha, ramassa; et, embusqué auprès d'un buisson, une grosse pierre à la main, attendit.....

Monseigneur s'entretenait avec Leone Cappa. La déconvenue du docteur Alcazara le mettait encore en gaieté; et s'il ne riait point, il était abondant en sarcasmes auxquels il se divertissait. Exceptionnellement, il avait endossé l'uniforme de général, par quoi il espérait imposer davantage et déguiser sa précoce caducité. Il cambrait la taille dans sa tunique boutonnée, et passait la main sur ses décorations, complaisamment.

- Je m'applaudis, disait-il, de n'avoir point été la dupe de ces gens. Je me suis moqué d'eux, avec raison. Claudia mais elle est frêle et résistante; si elle souffre, c'est d'être si fréquemment séparée de moi. Patience, cela changera. Je dissimule; mais au moment opportun, je ressaisirai le pouvoir. Et sais-tu ce que j'ai fait? J'ai convié les habitants du Palais de Jupiter à nous rejoindre au Vieux-Château. Toi-même leur expliqueras le drame. Mon beau-père, imbu de son mérite, approuvera, comme s'il comprenait; Josépha, peu soutenue en

l'occurrence par le Murbach, rentrera, je le pense, en elle-même. Quand à ce docteur Alcazara, je lui ferai la leçon sur son impertinence. Et tiens, il me semble que les voilà qui sortent de la forêt. Mon épouse, qui hérita du comte de Pücklitz des goûts champêtres, aura jugé à propos de se donner un peu d'exercice. Mais qu'elle ait emmené Claudia, je le tiens pour imprudent, et à sa place, pour peu sain d'esprit que l'on me croit, je ne l'aurais pas fait. — Hé, qu'est-ce que cela?

Les chevaux venaient de se cabrer; sur le talus, un individu avait surgi, qui brandissait quelque chose. Le prince Claude eut, dans la seconde, le temps de l'envisager, se gara, d'un geste instinctif; puis un objet lourd le décoiffa, effleura son crâne, et les chevaux s'emportèrent...

- Ralph! bégaya-t-il.

Le cri perçant d'une enfant lui répondit, comme la calèche passait au travers du groupe qui stationnait sur la route. Promptement, le baron de Murbach s'était jeté à la tête de l'attelage; traîné pendant quelques instants, il réussit à le maîtriser. Il aida le prince à descendre de voiture. Celui-ci, blême, tremblant, s'appuya contre le tronc d'un arbre; sur son front, un léger filet de sang se dessinait.

Ce ne sera rien, déclara le docteur, accouru vers lui. Tous se rassemblaient autour du souverain, lui prodiguaient leurs soins.

Claudia, fit-il.

L'enfant était livide, les yeux fermés, la bouche ouverte, cherchant le souffle; elle tomba. On ne s'occupa plus que d'elle.

Ce qui s'était passé au juste, personne ne le savait, ni, dans le premier désarroi, ne s'en souciait.

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Ralph n'avait pas bougé. Avec stupeur, il considérait la scène. - J'ai touché le prince! se répétait-il. Et qu'allait-il advenir maintenant? Mais tous ces gens qui se trouvaient là, d'où venaient-ils, qui étaient-ils?

Sur l'enfant une femme se penchait.

Elle, se dit-il. - Et il fit un pas en avant.

La princesse Josépha se redressait. Tournée vers lui, il vit, enfin, ses traits, ses yeux, ardents de larmes, et il tendit les bras...

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A ce cri, il y eut comme un réveil des consciences. Tous affairés ailleurs, pendant les deux ou trois minutes écoulées, avaient négligé ce qui précédait. Subitement ils comprirent que cette

chose énorme avait eu lieu : un attentat sur la personne sacrée du prince. Et ils poussèrent une clameur féroce :

L'homme!

Ralph les entendit. Des faces, haineuses, s'opposèrent à la sienne. Quelqu'un, habillé d'une livrée, se détacha du groupe, courut; d'autres le suivirent.

Alors, l'instinct de la conservation reprit le dessus. Dans un geste d'adieu magnifique, il envoya un immense baiser, à qui? à l'espace, aux arbres, à sa victime, à Josépha?... et s'enfuit, bondissant, agile, au travers des futaies, des ravins, des pelouses, jusqu'à la paroi abrupte où il s'agrippa. Un coup de fusil retentit.

Manqué, se réjouit-il. Et il se hissa vivement.

Atterrée, Josépha avait vu le geste, reçu le baiser.

Le prince Claude, lui aussi, avait vu. Tous les deux ils se taisaient. Le comte de Pücklitz parlait pour eux, s'indignait éloquemment, et s'attendrissait :

Il faudra prendre des mesures! affirmait-il en s'épongeant le cou.

Josépha s'approcha de son mari.

Vous souffrez? demanda-t-elle. Mais son regard contenait une autre, poignante interrogation... Il se raidit, ne répondit point, fit signe à Leone Cappa qui se tenait à l'écart :

Némésis..., lui chuchota-t-il.

Elle n'a rien pu contre vous, murmura l'Italien. L'écho de la détonation parvint à eux. Josépha pålit. - On l'a tué! gémit-elle.

Murbach l'observait :

Vous vous trouvez mal? fit-il. Il faudrait rentrer, ramener Son Altesse.

Par un effort de sa volonté, elle l'approuva:

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Les gens étaient loin, au pourchas de l'homme
Dans le silence, une plainte aiguë s'éleva :

Papa!

Dominée par l'émotion du moment, Josépha avait oublié Claudia que le docteur Alcazara s'efforçait de ranimer. Cet appel la bouleversa. D'un mouvement passionné, plus de souffrance que de tendresse, elle se saisit de l'enfant, la berça en disant :

C'est moi, c'est moi, ta mère...

Mais la petite, très rouge, les yeux hagards, se débattait en répétant « papa, papa », et ne se calma un peu que dans les bras

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