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boire ni manger », et mourut captif du roi de France, qui refusa de le mettre à rançon. « C'était, dit élogieusement Froissart, un chevalier taillé par sa hardie emprise, d'entrer en un pays, et de courir, et, sur cinq jours ou huit, de porter cent ou deux cent mille francs de dommages. »

Le sire de Coucy, fait prisonnier par les Turcs lors de la fatale expédition du comte de Nevers, mourut misérablement à Brussa, et ne laissa point d'héritier de son nom.

Quant à Charles le Mauvais, on sait quelle fut sa fin tragique. Il se faisait rouler dans une couverture imbibée d'eaude-vie pour réchauffer son corps usé par la débauche. Un de ses serviteurs approcha une lumière trop près de son lit, et Charles, après quinze jours de tortures effroyables, «mourut en rage et douleurs merveilleuses (1) ».*

(1) Bouchet, Annales d'Aquitaine, 228.

Réaction.

CHAPITRE XII

Dernière ven

Fureurs inouïcs de la contre-jacquerie.
geance de Jacques Bonhomme épisode du Grand-Ferré.

« Quelques guerres qu'il y eût, le pauvre peuple, d'un côté et d'autre, souffrait de grandes pilleries et roberies, et était grand'pitié de voir le royaume en telle désolation.

JUVENAL DES URSINS.

Oh! certes, loin, bien loin de moi la criminelle pensée de tenter l'apologie de la guerre civile et de l'assassinat! Mais enfin, que pouvait faire le paysan poussé à bout? Il va, n'estce pas, rédiger des cahiers de doléances, et attendre le cours de la justice! Il va, pendant que l'on déshonore sa femme et sa fille, que l'on enlève le cheval et la vache de son étable, et que l'on brûle sa chaumière, croiser stoïquement, comme un chrétien des premiers âges, ses bras oisifs sur sa poitrine embrasée, au lieu d'obéir aux ordonnances qui légitiment ses fureurs, de bondir sur son bâton ferré pour défendre sa fille, son étable et sa chaumière, et de porter à son tour la flamme et la mort dans le château qui abrite ses persécuteurs! Ce serait plus beau, sans nul doute; mais qui de nous, en plein XIXe siècle, aurait cette évangélique patience que nous voulons rencontrer chez les manants grossiers du xive siècle? Quand l'armée, les gentilshommes et les chevaliers étaient des bandits et seraient aujourd'hui du gibier de cour d'assises, nous exigeons des

paysans abrutis par de longues humiliations, une mansuétude qu'à cette heure nous n'aurions pas !

Il avait fallu, pour arriver à l'affranchissement des communes, deux siècles de luttes à main armée, deux siècles pendant lesquels les serfs des cités guerroyèrent, sans cesse révoltés, contre les seigneurs et les évêques dont ils massacraient les gens et qu'ils massacraient eux-mêmes toutes les fois qu'ils en trouvaient l'occasion. C'est avec le sang des seigneurs et des évêques que les bourgeois des communes écrivirent leurs chartes d'affranchissement. Et pourtant jamais, dans les plus mauvais jours du xre et du XIIe siècle, les serfs des villes n'avaient été tyrannisés comme le furent les vilains des campagnes jusqu'au milieu du xve siècle. D'où vient donc que la lutte des communes, qui durą deux siècles, est une noble et glorieuse révolution, tandis que la lutte des paysans, qui dura deux semaines et qui s'éteignit dans leur propre sang, est demeurée comme la plus flétrissante insulte que l'on jette à la face du peuple dans tous les mauvais jours de l'histoire?

C'est que la bourgeoisie fut victorieuse, et que Jacques Bonhomme fut vaincu. C'est que les plus forts ont toujours raison, et que nous descendons de ces Gaulois qui disaient à Rome : Væ victis! C'est que la bourgeoisie, affranchie depuis longtemps, a eu ses poëtes, ses historiens et ses flatteurs, tandis que Jacques Bonhomme n'aura jamais les siens, lui qui, comme le lion de la fable, ne sait pas peindre, ne sait pas écrire et ne sait pas même lire!

Deux scènes terribles ont acquis une sombre célébrité à la place du marché de Meaux : le siége qu'en firent les révoltés de 1358, dont on a fait le principal épisode de la jacquerie, et une autre moins connue, dont j'emprunte les détails à dom Duplessis.

Le roi Charles IX avait ordonné le massacre des huguenots par toute la France. A Meaux, pendant la stupeur que cause tout d'abord un pareil ordre, quelques-uns se sauvent de la

ville. Les autorités reviennent de leur surprise, on ferme les portes, et on jette en prison tout ce qu'on peut prendre de calvinistes. « Le lieutenant général se transporta au Marché, et fit main basse sur les femmes de ceux qui s'étaient enfuis. Quelques-unes d'entre elles furent violées, et on en poignarda vingt-cinq. » Quant à ceux que l'on avait jetés dans les prisons, on les appelait à leur tour, on les assommait, et on se livrait sur leurs cadavres à d'horribles et indécentes mutilations. On en tua soixante-dix ce jour-là. Le 26 août, après la réception d'une seconde lettre du roi, qui venait appuyer la première, écrite le 24 par Catherine, deux cents réformés furent encore massacrés par une bande furieuse guidée par le procureur du roi en personne (1). Dom Duplessis raconte toutes ces scènes froidement, sans émotion, sans y ajouter le plus léger blâme. Le souvenir ne s'en dresse pas terrible comme celui du siége de 1358, auquel les jacques restèrent étrangers, et qui contribua pour la meilleure part à déshonorer la jacquerie.

Heureuses les villes de pouvoir commettre tant de crimes dont la honte ne rejaillit que sur les campagnes! Vingt-cinq femmes violées et égorgées, soixante-dix hommes massacrés, cent cadavres en un seul jour, massacrés à froid, insultés et déshonorés jusque dans la mort, cela, pour un écrivain religieux, n'est rien dès que les assassins sont des soldats, des bourgeois et des gentilshommes, et les assassinés des hérétiques. Mais si c'est le paysan qui, à bout de patience et soulevé par la royauté, porte la main sur son seigneur et maître, ou même si on la porte à côté de lui sans qu'il y ait part, c'est un chien enragé qu'il faut lier dans un sac et jeter à l'eau au plus vite.

O l'admirable poëme que cette fable de la Fontaine : Les animaux malades de la peste! Pauvre, pauvre maître Aliboron!...

(1) Mém. de l'État de France, fo 236.

Toute révolution avortée met une arme terrible entre les mains du parti vainqueur. Les nobles avaient eu peur, ils avaient tremblé et pâli devant Jacques Bonhomme, et il n'y a rien d'implacable comme ceux qui ont eu peur et qui redeviennent les plus forts. Que pouvait le bonnet de laine contre le casque de fer? Que pouvaient des paysans nus et à pied contre ces centaures de bronze? Que pouvaient les bâtons ferrés, les faux et les fourches contre ces hommes à la poitrine cuirassée d'un triple airain, tandis qu'ils n'opposaient qu'une veste de bure à la lance de ces chevaliers qui se fatiguaient, invulnérables, à les abattre autour de leurs robustes destriers?

Une fois dispersés et rentrés chez eux, les paysans retombèrent à la merci de leurs maîtres irrités. Toute énergie les abandonna en même temps que grandit la fureur des gentilshommes. On a flétri la jacquerie, mais on s'est bien gardé de raconter la contre-jacquerie, mille fois plus riche en forfaits hideux. Ainsi, à Meaux même, « tout était terminé, lorsque, ivres de sang et avides de pillage, les vainqueurs mirent les maisons à sac et même les églises, couvrant ces horribles dilapidations d'un incendie qui dura quinze jours et qui consuma la ville entière (1). »

Dans la lettre qu'il écrivait aux bonnes villes de France et de Flandre, en date du 11 juillet 1358, Étienne Marcel, le célèbre prévôt des marchands de Paris, désavoua, il est vrai, les jacques abattus, après s'être appuyé sur eux alors qu'ils pouvaient fournir à la bourgeoisie un appoint considérable. Mais il flétrissait en même temps en termes énergiques cette sauvage réaction nobiliaire, désormais aussi lâche que criminelle, puisqu'il n'y avait plus de résistance nulle part : « Les nobles, dit-il, sont venus en deçà de la Somme et de l'Oise, pour tuer et voler sans faire distinction des coupables et de ceux qui ne l'étaient pas, des bons et

(1) Perrens, Étienne Marcel, 262.

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