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LES SAINTS DU MOYEN AGE. - RÉVOLTE DES PAYSANS. 307 la bénédiction des cuves, des agneaux, du fromage, du lait, du miel; la bénédiction des bestiaux en temps de peste; la bénédiction des armes, des épées, des poignards, des drapeaux; la bénédiction de l'amour, ou du vin que le prêtre faisait boire à deux amants.

« Je pourrais doubler cette nomenclature »,

finissant (1).

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dit-il en

Ainsi, par un retour inattendu des choses d'ici-bas, les vendeurs avaient à leur tour chassé Jésus de son temple, ils y avaient établi leur boutique; son autel était devenu leur comptoir, et cette rouge liqueur que la main du clerc versait dans le calice n'était pas le sang généreux de la vigne, mais bien le pur sang du peuple.

Ils faisaient payer à la crédulité du paysan grossier jusqu'à de l'eau claire, qu'ils bénissaient avec de certaines oraisons, et qui devait les mettre à l'abri de toute sorte de malheurs. (Mézeray, V, 75.)

Tout moine frappé de mort violente devenait un martyr dont les miracles étaient d'un grand revenu pour son abbaye. Un prieur du monastère de Gristan s'étant un jour, dans un instant d'ivresse, précipité le couteau à la main sur deux de ses religieux qu'il blessa, ceux-ci l'assommèrent sur l'heure à coups de bâton; ce qui, comme compensation, lui procura, de la part de ses moines, une canonisation immédiate. Il faisait sa bonne part de miracles, et même avec si peu de discrétion, que l'on trouve dans les décrétales des lettres apostoliques d'Alexandre III qui l'éliminent du ciel et interdisent de l'honorer comme martyr. (Mézeray.)

Une sorte d'épidémie tyrannique semblait avoir soufflé son venin sur tous les serviteurs des seigneurs ecclésiastiques aussi bien que laïques, infectant jusqu'aux plus

(1) Voyez aussi l'art. BIENS D'ÉGLISE, de M. Viennet, dans le Dict. de la conversation.

obscurs et aux derniers de leurs valets. Les marmitons de l'archevêque de Vienne avaient établi dans le diocèse un impôt sur les mariages, et ses domestiques, prenant sous leur protection les voleurs et les bandits, dont ils partageaient sans doute le butin, s'étaient fait une seigneurie en sous-ordre, plus odieuse encore que celle de leur maitre (1).

C'est le propre de l'oppression d'enfanter la révolte, et ne pouvant rien attendre que d'eux-mêmes, les manants tentèrent de secouer violemment un joug imposé par la violence.

<< Dans la province de Sens, dit le continuateur de Nangis (1315), beaucoup de gens du peuple se liguèrent ensemble, contraints, pour ainsi dire, à se soulever, par les extorsions iniques et vexatoires qu'ils avaient journellement à subir, dans les causes portées devant la cour de justice de l'archevêque, de la part des avocats et procureurs de cette cour. Ces gens, parmi leur multitude toute laïque, élurent un roi, un pape et des cardinaux, résolus à rendre le mal pour le mal, et voulant répondre par une haine opiniâtre à la méchanceté de leurs ennemis. >>

Pour toute satisfaction à cette réclamation armée, on envoya contre eux des troupes qui en eurent facilement raison. Le soulèvement fut réprimé par la force, et les paysans sévèrement châtiés.

(1) Mably, Observations sur l'histoire de France, liv. III, c. ter.

CHAPITRE VIII

Les rois afferment les impôts aux maltôtiers et déchaînent sur le pays cette race de vipères. — Les seigneurs écartent les adjudicataires, s'emparent des impôts à vil prix, les sous-afferment: le peuple est mis sous le pressoir, et l'argent s'arrête en route avant d'arriver aux caisses de l'État. Altération des monnaies. - Le peuple est à sec.-On rappelle les juifs, qui prêtent à 86 pour 100 par an. - Détresse excessive des campagnes au milieu du XIVe siècle. -- Elles consentent à payer un nouveau cens pour que rois et seigneurs renoncent au faux-monnayage : elles payent, mais l'altération est maintenue. - Impudeur des exactions royales.

« Il était au pouvoir des rois et des seigneurs d'affaiblir ou de rehausser la monnaie, selon qu'ils le jugeaient propos pour le besoin de leurs affaires. >>

VALBONNAIS, Hist. du Dauphiné, 76.

A côté des nobles et de l'Église, que fit l'autorité royale pour le peuple des campagnes? Nous avons vu les exactions de tout genre de Philippe le Bel et leurs funestes résultats. C'est encore à ce prince qu'il faut attribuer la généralisation de ce déplorable système qui abandonna les revenus de la France entre les mains de cette race maudite de Dieu même qui la chassait du temple à coups de fouet. Système également ruineux pour l'État et pour les contribuables, qui fait du roi et de ses ministres des enfants prodigues toujours prêts à livrer à vil prix la fortune patrimoniale, et à sacrifier pour quelques avantages immédiats, plus apparents que réels, tous les trésors de l'avenir. Les banquiers italiens et lombards partagèrent avec les juifs l'exploitation des impôts, qu'ils prirent à ferme, et ils furent désignés sous ce nom

justement flétri de maltôtiers, éternels ennemis du peuple, qui vivent de sa misère et s'engraissent de son épuisement.

Dès qu'un impôt était mis à ferme, les nobles écartaient par leurs menaces les adjudicataires sérieux, et le faisaient adjuger à vil prix à des hommes de paille qui leur étaient dévoués. Puis ils le remettaient en adjudication pour leur propre compte, et le faisaient alors monter le plus haut possible (1). L'adjudicataire se trouvait donc contraint de pressurer les contribuables par tous les moyens en son pouvoir, tandis que les rois, qui ne touchaient presque rien de cet impôt qu'une nuée de percepteurs affamés arrêtait en route et << tournait à son profit singulier et particulier » (2), se voyaient dans la nécessité d'en établir un autre, pour lequel les choses se passaient invariablement de même. En vain ils s'irritent, et à chaque nouveau règne font pendre les financiers du règne précédent; en vain Montfaucon, étendant vers eux son bras sinistre, semble les prendre à leur tour aux cheveux pour les montrer comme un épouvantail à tous ces ministres prévaricateurs qui se succèdent, « chatouilleux de la gorge »; en vain douze contrôleurs généraux, sans compter le vulgaire, sont pendus et restent exposés au gibet qu'essaya le premier Enguerrand de Marigny; toujours on en revient à livrer la collecte des aides et des tailles à de nouveaux banquiers. Hélas! mieux vaut garder les sangsues gorgées déjà, que de livrer le corps social à des sangsues maigres et avides.

«Ils ont tort, disait le surintendant Maisons, quand on lui ôta les finances; ils ont tort car j'ai fait mes affaires, et j'allais faire les leurs. » (Saint-Simon, XIX, 235.)

« Où sont donc les décimes qu'on a levés sur le clergé? -demande Louis le Hutin à Enguerrand de Marigny, que sont donc devenus tant de subsides dont on a surchargé le

(1) Ordonnances du Louvre, X. Ordonnance du 25 mai 1413 sur la olice générale du royaume, art. 115.

(2) Ordonnance de mars 1356, art. 2, 20...

peuple? Où sont ces richesses qu'ont dû produire tant d'altérations faites dans les monnaies (1)?... »

Enguerrand eût pu répondre avec le poëte :

Où sont les neiges de l'autre an?...

La levée de deniers imposée par l'ordonnance de 1356 ayant été, comme les autres, dévorée avant d'avoir pu arriver jusqu'aux coffres du roi, les états généraux votèrent une taxe proportionnelle sur le revenu, établie sur les bases suivantes : les pauvres gens ayant moins de dix livres de revenu, les laboureurs et journaliers vivant de leur labourage, les mercenaires et les serviteurs gagnant cent sous de gages au plus, payèrent dix sols; les gens jouissant de dix à quarante livres de revenu payèrent vingt sols; ceux qui possédaient un revenu de quarante à cent livres en payèrent deux; ceux qui en avaient cent en payèrent quatre; audessus de cent livres, les riches n'en payaient plus que deux par chaque cent livres excédant la première centaine. C'était l'impôt proportionnel, mais à rebours. On voyait bien que les riches avaient fait la loi et que les paysans n'avaient point été appelés à la discuter.

Puis survint la captivité du roi Jean. Les états généraux s'assemblèrent de nouveau en octobre 1357, et votèrent un second subside, puis encore d'autres en mai 1358, puis encore et toujours en mai 1359. Le roi Jean, racheté si chèrement, en obtint encore en 1363 pour chasser de France les grandes compagnies.

Il était bien impossible que le paysan, pillé de tous côtés et réduit à la besace, payât tout ce qu'on exigeait de lui. C'est alors que le roi, par des lettres patentes de 1360, permit aux juifs de prêter sur gages, « en retirant pour chacune livre quatre deniers d'intérêt par semaine. >> Cela fait un peu plus de 86 pour cent par an. Puis ce prince, l'un des modèles de la loyauté chevaleresque parmi les souverains, (1) Leblanc, Traité des monnaies, 196.

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