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mêmes de leur caprice et de leur cupidité. Les campagnes étaient des prisons pour les malheureux qui les cultivaient. Chargés de redevances excessives, de corvées onéreuses, de servitudes outrageantes pour l'humanité, ils n'avaient de liberté ni pour disposer de leur personne et de celle de leurs enfants, ni pour régler après leur mort le partage de leurs biens. Une telle liberté leur paraissait souvent plus insupportable que l'esclavage. »

En effet, sans parler de ceux de ces droits infinis qui frappaient jusqu'à l'usage des forces de la nature, les uns l'atteignaient directement et dans sa personne : tels sont ceux de corvée, de gîte, de guet, d'ost, etc.; d'autres frappaient l'usage des choses publiques : péages, travers, droits de halles et marchés, etc.; d'autres interdisaient celui de certaines jouissances herbage, pacage, blairie, panage...; d'autres le réduisaient à l'impuissance d'user de sa propre chose banalités, banvin, pêche, chasse...; d'autres enfin, tels qu'amendes, confiscations..., étaient difficiles à éviter, bien qu'éventuels, tant les gens de justice, qui achetaient leurs charges pour en affermer les produits, avaient hâte de rentrer dans l'intérêt de l'argent dépensé, en multipliant les condamnations.

Quand il leur plaît de restreindre leurs exigences, ils avouent sans détour qu'ils restituent les fruits de l'usurpation et qu'ils tranchent dans l'arbitraire. L'énumération de ce qu'ils abandonnent est suivie de cette formule devenue de style : « Nous vous tenons quittes... de toutes autres exactions indues et de toutes autres extorsions iniques quelconques.» (Salvaing, Usage des fiefs, I, 235.)

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En définitive, on ne reconnaissait au vilain, pas plus qu'au serf, aucune espèce de droit sur rien dans la création de Dieu la terre, l'eau, le feu, l'air même qu'il respirait, rien n'était libre: « Ce n'est pas tout les hommes, leur vie, leur mort, leur liberté, leurs contrats, leurs héritages, leurs troupeaux, leur commerce, leurs moindres actions,

tout enfin, jusqu'à leurs plaisirs, était devenu l'objet d'un droit seigneurial (1). »

« On ne peut sans étonnement, dit Valin, considérer la multitude prodigieuse de droits que les seigneurs s'étaient arrogés autrefois par usurpation et par tyrannie, ou que le caprice leur avait suggérés dans leurs inféodations et accensements. » (Cout. de la Rochelle, art. I.)

L'épithète de prodigieuse dont se sert le commentateur de la coutume de la Rochelle n'a rien d'exagéré. Le caprice, l'usurpation, la tyrannie, c'est-à-dire, pour appeler les choses par leur nom, le vol, étant la seule base de la propriété féodale, le serf n'était point admis à discuter les termes de la charte passée entre son seigneur et lui. C'était une charte octroyée dans toute la force du mot, frauduleuse et falsifiée (2), et chaque hobereau y insérait ce qu'il voulait le plus petit se montrait souvent le plus exigeant. «Combien de chartres ai-je vu où le seigneur parlait seul, sans qu'il parût d'autres conventions que sa volonté ! » dit Guyot dans son Traité des fiefs (p. 546).

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Renaudon, sans parler des droits honorifiques et particuliers, en énumère quatre-vingt-dix-sept, ayant trait seulement à la propriété, tirés des coutumes générales et locales, ou des titres particuliers; quatre-vingt-dix-sept, depuis l'abeillage, qui règle les droits du châtelain sur les essaims et le fruit du travail des abeilles, jusqu'au xomage, dont il avoue n'avoir pu comprendre le nom ni le sens. Boutaric et Guyot, à cet égard, n'en savent pas plus long que Renaudon.

La liste, quoique longue, est incomplète cependant, et

(1) Renaudon, Traité des droits seigneuriaux, liv. V, chap. x. Guyot, Traités des fiefs, I, 342. Boutaric, Traité des droits seigneuriaux, 658.

(2) Tous les feudistes, Loyscau, Imbert, Lalande, Legrand, etc., constatent la falsification par les seigneurs des titres relatant leurs droits féodaux. Voyez aussi article 284 de l'ordonnance de 1579.

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l'on chercherait vainement dans la nomenclature de l'auteur du Traité des droits féodaux, l'abevenis, fort commun surtout dans le Lyonnais, le Dauphiné et la Provence (1). Voici en quoi il consistait celui qui voulait détourner sur son fonds pour l'arroser, ou dans ses ruisseaux ou réservoirs pour ses moulins, l'eau pluviale des fossés où des ornières des chemins, payait au seigneur haut justicier un quart des fruits du moulin ou des champs irrigués.

Cette prétention cesse de paraître exorbitante à mesure que l'on s'avance dans l'étude du droit féodal: il faut se familiariser avec ce droit, voilà tout. Les seigneurs avaient les rentes sur les nuages du ciel, ils en placèrent sur ie vent de l'espace. Il le fallait bien : il ne pleut pas toute l'année, et il faut équilibrer pour chaque saison ses dépenses avec ses recettes. Les rentrées de l'abevenis sur les pluies de l'hiver alternaient avec celles du pulvérage, établi sur la poussière que font voler si libéralement, l'été, les pieds des moutons qui passent.

Jean-Baptiste Say disait : « Personne n'a jamais pu dire: Le vent et le soleil m'appartiennent, et le service qu'ils rendent doit m'être payé » (2). On voit que le savant économiste ne connaissait pas le droit féodal.

Cet étrange droit de pulvérage était, que l'on y songe, bien lourd pour ces contrées du midi où l'on élevait ces immenses troupeaux transhumans qui, à la fin du printemps, quittaient les plaines desséchées pour aller, sous la conduite de leur baille ou chef des bergers, émigrer vers les pâturages plus frais des provinces voisines. Combien la nature devait-elle être empoisonnée pour le paysan! combien devait être amoindri ce plaisir qu'éprouvait le vieil

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(1) Boutaric, p. 653. « Les quatre éléments se trouvent ici asservis à la puissance du seigneur. Toutes les eaux, même pluviales, qui tombent dans les seigneuries, appartiennent aux seigneurs. Id., 658.

(2) Traité d'économie politique, 11, 160..

historien du Berry à voir « les trouppelettes d'agnelets qui sautellent, » bonheur partagé, selon lui, par tous les vilains, << n'ayans pour toute volupté humaine autre plaisir que de voir ce mesme bétail s'entresuivre à belles bandes, où les béliers cornus précèdent en assez grave ordonnance; et me semble que ce plaisir surpasse tout autre. » (J. Chaumeau, I, 39.)

Dans son livre des Inconvénients des droits féodaux (p. 46), Boncerf avance qu'il existait bien trois cents droits seigneuriaux différents.

A qui ne devait-on pas, soit des redevances, soit des honneurs, soit de l'obéissance? Il y avait, c'est la trèsancienne coutume de Bretagne, rédigée vers 1330, qui nous l'apprend (art. 292), il y avait le pape, le roi, le duc, le comte, et tous les autres princes; il y avait les évêques, abbés, archidiacres, doyens et autres constitués en dignités, comme chapelains, etc.; il y avait les barons, chevaliers et simples gentilshommes, « et aussi ceux qui ont les chiens et les engins à prendre les mauvaises bêtes et les faramines qui détruisent les bêtes et les nourritures que les bonnes gens nourrissent et ont pour le profit commun. »

CHAPITRE IV

Pincipaux droits seigneuriaux. Cens. Taille son origine, ses développements excessifs. Aides chevels taille aux quatre cas, aux huits cas, etc. Tout ce qui est riche est exempté; le fardeau s'appesantit sur les épaules de Jacques Bonhomme.

«La taille serve était à la volonté et discrétion du seigneur. >> RENAUDON, Traité des fiefs.

<«< On sait que les seigneurs s'étaient arrogé le droit de faire arbitrairement sur leurs sujets des levées de deniers, sous le nom de toltes, tailles, questes, droits de gîte, prêts forcés. »

Ordonnances du Louvre, XII, préface.

Les droits seigneuriaux étaient de deux espèces : les uns casuels, les autres réels. Au nombre des premiers, dont l'échéance restait subordonnée à l'accomplissement de quelque événement qui pouvait avoir ou n'avoir pas lieu, on comptait les droits de relief, lods et ventes, quint, treizième, confiscation, commise, déshérence, aubaine, bâtardise, etc., et ceux compris sous la dénomination d'aydes chevels, dus au chef-seigneur.

Les droits réels, tels que censives, rentes, tailles, corvées, service de prévôté, banalités, etc., existaient par eux-mêmes, toujours et en tout état de cause.

Le cens, « devoir annuel qui se paye in signum superioritatis et obedientiæ (1) », est la première redevance seigneuriale, celle sous laquelle l'héritage tenu en fief a été donné, sous condition de lods et ventes, saisines, amendes,

(1) Chabrol, Comment. de la cout. d'Auvergne, II, 676.

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