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Le sentiment qui excite cette force créatrice est plus ou moins profond, selon son accentuation, selon qu'il rencontre des prédispositions plus ou moins vives. Son but est atteint s'il parvient à faire vibrer les fibres du plus grand nombre.

De même que toute action humaine participe du domaine extérieur, se fond et se perd dans la nature, de même aussi nos aspirations, notre intelligence, nos pensées doivent procéder primitivement des idées sensibles et vivifiantes pour se fondre dans l'idéal. Ainsi le réalisme est la vérité de l'art, l'idéalisme en est la fin.

De là cette dualité constante du réalisme et naturalisme d'une part; du spiritualisme de l'autre.

L'exagération ou l'erreur des deux parts sont conformes et solidaires aux doctrines ayant cours à une époque déterminée, et aux fluctuations historiques, suivant la direction de chaque siècle.

Le réalisme est simple ou étudié selon les temps, les lois de l'observation ou du progrès; il est de tout temps le nerf de la poésie et de l'art, qui, sans ce frein, se perdent dans l'abstraction ou s'amollissent dans l'affectation.

Parallèlement au réalisme, le naturalisme affirmé plus vivement à certaines époques, réapparaît plus énergique encore, comme sentiment de la nature, dans la connaissance des vérités universelles.

Ces vérités doivent s'énoncer ainsi :

Que l'idéal, et conséquemment la divinité qu'il révèle, ne peuvent exister en dehors de la nature.

Que nulle vie, nulle pensée ne sauraient naître indépendamment des éléments communs à toute la création. Que le bien, le beau, le vrai absolus, la perfection, ne sont que la force latente du principe éternel s'inscrivant dans l'histoire, dans la poésie, dans les arts, au fur et à mesure de son développement variable, incomplet et progressif, sans pouvoir se fixer jamais dans l'humanité. C'est un perpétuel devenir soumis à la sanction des lois divines et humaines.

L'art et la poésie sont donc forcément engagés, l'histoire précisée, la littérature circonscrite, dans le cercle indélébile des passions et activités humaines.

L'homme et la nature sont éternellement dans les mêmes conditions d'attente, d'espérances, de regrets et de luttes; de vitalité, de défaillances et de mortalité, de secousses et de troubles incessants.

C'est là ce qui nous rive éternellement à la réalité et aux lois de la nature. La réalité est l'empreinte de la vie dans son cours inflexible et débordant.

Toute œuvre qui tend à s'abstraire de la réalité, de la vérité, de l'humanité, est une œuvre stérile, désaffectée de ses tuteurs naturels.

Pour l'art, le réalisme doit être l'expression de la vérité; vérité de reproduction, d'impression, d'interprétation, d'inspiration.

Pour moi, Réalisme n'est pas Prosaïsme, ni surtout Matérialisme. Qui dit Poésie et qui dit Art exprime par cela même une tendance supérieure à la vulgarité de la copie, de la représentation plate ou sans effet.

D'un autre côté, la Vérité interprétée est trop souvent la Vérité dissimulée. Rien donc ne peut tenir debout s'il ne se reprend à la Nature, à la Réalité, à la Vérité, je ne saurais trop le répéter.

Ainsi, pour emprunter une comparaison à l'art de l'architecture, l'architecte emploie dans ses constructions la chaux, le sable, la pierre, le marbre, le bois, le fer, toutes matières brutes et inertes; il sait leur donner un sens, un caractère précis, leur communiquer une expression artistique et idéale. Cette œuvre est bien sienne et peut s'approprier à tous les besoins, à toutes les adaptations ou exigences de la vie civile et publique, religieuse et morale; mais qu'aurait-il pu faire, je vous le demande, sans ces éléments constitutifs, aidé encore par une main-d'œuvre exercée et laborieuse?

Une belle œuvre est celle qui, dans son ensemble manifeste soit la fixation d'un caractère, soit l'évolution d'un des aspects de la nature, ou qui marque d'une empreinte indélébile une création profonde du sens intime.

La fiction, si elle n'est pas un ressouvenir ou la transmission de l'effet, n'est rien; pour être admise, elle doit avoir pour but de revêtir du ton de la réalité les tableaux, récits, épisodes, quelque élevés qu'ils soient, qui lui sont fournis par l'imagination. Elle peut s'adapter à la vérité même, tandis que le genre, la fantaisie, le fantastique, ne sont que l'exagération du réel, l'accident cherché, le sentiment dévoyé, c'est-à-dire une œuvre futile et passagère. Pour me résumer :

Le vrai est la chose conçue dans la logique des événements et des idées. Ce n'est pas seulement la réalité du fait, mais aussi la réalité possible, conséquente avec l'acte lui-même.

Dans la poésie et dans l'art, la vérité, c'est le cri du cœur, l'élan de la passion, la soudaineté du charme et l'amour du beau.

Le beau est un principe de vérité; le laid, pourtant, ne peut être exclu, car il représente l'erreur, la défaillance. Le principe du beau est, avant tout, l'ordre et l'harmonie, comme le laid, le difforme, sont la conséquence du désordre, la marque de dégénérescence.

De leur opposition, de leurs contrastes, peuvent résulter les plus grands effets, la plus haute expression des sentiments humains, en sorte que la laideur elle-même peut être idéalisée dans un cadre qui en fasse saisir le sens mystérieux ou fatal.

L'invention poétique ou artistique, déterminée par l'idée du vrai, du bien, du beau, ne peut résider que dans la force créatrice personnelle au poète ou à l'artiste même, ce qu'on appelle son style, son génie.

Cette force créatrice est simple ou complexe, laborieuse ou spontanée, mais elle représente toute une gamme de tons inspirés s'élevant alors du réel au sublime. Les moyens mis à sa disposition sont l'étude des hommes et de la nature, deux livres ouverts à tous, mais très diversement interprétés en raison des mœurs, du langage, des traditions, du mouvement, du tempérament de chaque peuple en son évolution historique.

En dehors de la vérité, de la nature, le génie ne trouve plus aucune force pour se manifester; tandis que l'esprit humain peut quelquefois trouver des symptômes de dissolution et d'un mouvement rétrograde dans l'excès de

l'esprit spéculatif de la philosophie transcendante ou immatérielle. La transcendance de l'esprit confine au vide de la pensée et nous ramène fatalement à la réalité.

Pas d'équivoque, cependant. Je me soumets à la réalité, à la puissance de la nature, mais j'apprécie comme il convient et j'admire comme il le mérite tout élan vers les régions supérieures de la pensée.

L'artiste, comme le poète, reflètent les différentes faces de la nature sous un angle plus ou moins ouvert, plus ou moins choisi, se rapprochant plus ou moins du sens de la vérité ou de la perfection.

La création d'une œuvre est d'ordre tout à fait intime; elle se révèle par le sentiment, par une vive intuition du sujet, et rien au monde ne doit jouir pour son expression d'une plus grande liberté, car elle embrasse tous les degrés de la réalité à la fiction, de l'imagination à l'idéal.

Ces divers degrés se rattachent à la compréhension plus ou moins large des conditions du sentiment poétique et artistique : Le relief, la couleur, le mouvement, la mélodie. La poésie, comme l'art, doit être une peinture de vérité, de réalité, de vie, et posséder en même temps un sens harmonique qui se développe en notre esprit.

Au point de vue de la morale elle-même, le réalisme se définit par le besoin de réalité, de vérité, qui est le fondement de toute morale.

Du reste, la vérité n'a pas besoin d'apologie, elle se suffit à elle-même, et tout ce qui est en dehors d'elle est frappé d'impuissance et de stagnation; elle ne peut s'étayer solidement que de la réalité.

La réalité est la seule base possible de tout édifice, la spiritualité en est le couronnement.

Cette alliance intime, indissoluble de la réalité extérieure et des facultés de l'âme est la vérité vraie.

Le réalisme inocule la vie à l'œuvre qu'il pénètre, il a donc ainsi une connexité positive avec les faits de tout ordre.

La nature étant le fait primordial qui nous enveloppe de toutes parts, c'est à la nature que nous devons emprunter tous les éléments constitutifs en toute poésie, en tout art.

En regard de l'imperfection de notre nature, il n'y a rien d'absolu pour nous. Dans la sphère des activités humaines, tout est relatif; c'est pourquoi nous sommes toujours fatalement ramenés à la réalité, comme principe de vérité, de force, d'activité, de vie, d'expansion qui résultent de sa consécration.

Le Réalisme copie la nature comme un objet fini qui, par la seule transcription de notre esprit, prend un corps et une âme, un sens poétique ou artistique.

Telle est sa mission, en quelque sorte providentielle.

Le Naturalisme est plus complexe.

Le Naturalisme se présente sous trois modes d'aspects que j'aurai à

développer ultérieurement et qui forment le but principal de cet ouvrage. Il me suffira, je pense, pour rendre l'acception du mot Naturalisme possible désormais de faire cette simple observation : qu'il serait impossible maintenant d'aborder un sujet poétique ou autre touchant la nature, - que le fond en soit descriptif ou cosmologique, sans y faire intervenir le mot Naturalisme, expression la plus exacte et la seule propre à ce sujet lui-même pour indiquer le Sentiment de la Nature si bien précisé par V. de Laprade; et pour affirmer littéralement la qualité de ce qui est produit par une cause naturelle. Naturalisme (Dictionnaire de E. LITTRÉ).

Ce mot trop générique par lui-même, j'en conviens, est sujet par cela même a des interprétations diverses, avivées selon les tendances opposées.

Me sera-t-il permis, en raison même de ces dissentiments profonds, de tenter enfin de réhabiliter le Naturalisme en l'émancipant de ses fausses adulations aussi bien que de ces pédantes détractions1.

Il faut de plus signaler ce fait très intéressant que la double tendance naturaliste, démoralisante par le doute, réconfortante par l'étude et par la science, se produit surtout aux époques troublées.

Le Naturalisme en effet se développe surtout aux époques de transition où la foi se fige et devient hésitante, une doctrine, une religion nouvelles s'élevant en face d'une autre.

La Science alors et l'observation bien dirigée leur substituent un terrain plus solide dont la limite atteint à une connaissance plus élargie des attributs de la divinité, des lois immuables, naturelles, physiques et morales.

Le Naturalisme est avant tout la forme qui se rapproche de la Nature autant que possible; mais cette observation de la Nature qui se traduit d'abord par la recherche et l'étude des documents humains, donne une première définition qui a prêté à tous les sarcasmes, comme à toutes les exagérations, lorsque l'on a voulu prétendre que les seuls documents intéressants à notre époque, étaient les investigations basses, malsaines et corruptrices, excitables et provoquantes.

Je désignerai le plus ordinairement ce premier mode sous le nom de Naturalisme à faux, dévoyé, morbide. Le Gâtisme en est l'extrême limite.

Cette prétention de parti pris étant écartée, tout document humain est un document intéressant ou précieux, digne d'attention, et la portée en est immense lorsqu'elle s'élève à tous les degrés des actions et passions humaines.

En second lieu le Naturalisme, qui se rapporte aux affinités de la Nature avec tous les modes d'expression des sentiments humains, est une base

1. On a tort, à mon avis, d'incarner le Naturalisme actuel dans la personnalité de M. Zola que je ne veux pas abaisser.

M. Emile Zola est souvent en contradiction avec ses propres doctrines, inconséquent dans ses œuvres, ses romans et ses principes, articles de combat.

On ne peut nier sa puissance de conception, l'excellence de son style dans les descriptions et tableaux naturels.

Les documents humains ont tous les degrés et il n'a pas toujours gravi les plus bas. S'il annonce et s'il étale le parti pris de la trivialité, des obscénités et des ordures, s'il ravale chez les autres les ressources de l'imagination, il en a pourtant lui-même à un haut degré, et c'est par là même qu'il est un chercheur de talent, un créateur de tempérament pour des types variés, poète même, à ses heures, plus que bon prince.

d'études des plus attrayantes et de l'ordre le plus élevé et nous conduit infailliblement au Sentiment de la Nature qui étend considérablement le domaine de l'intelligence. On pourrait dire de celui-ci qu'il est le Naturalisme à fond.

Autre encore est le Naturalisme scientifique, l'esprit de recherche qui entrevoit dans l'étude de la Nature et dans la science, le principe d'évolution qui est le caractère même de tout progrès, physique, intellectuel et moral, le lien de la science avec les vérités et réalités humaines, pour s'élever à l'intelligence des lois divines.

Le principe d'évolution se traduit dans les esprits, dans la science et dans les faits par les manifestations diverses de l'humanité.

Cette continuité des manifestations de l'esprit humain se résume dans les développements rationnels de l'histoire; c'est dans l'histoire surtout que je veux rechercher les conditions du développement des différents modes d'expression de l'Art et de la Pensée, Réalisme, Naturalisme, Idéalisme.

Le besoin de la réalité, l'expression du sentiment de la vérité (Réalisme), le sentiment de la Nature (Naturalisme), je ne les sépare pas.

La Nature se présente à nous sous ces deux aspects indélébiles, sur lesquels on doit forcément insister.

La Nature humaine vivace en son principe, intelligente, d'une part; le domaine spirituel qui rattache l'homme à son semblable par ses facultés spéciales, virtuelles, mais limitées.

D'autre part, la Nature immense, une en son essence, animée de cette vie immanente universelle qui se présente à nous comme le domaine de la création. Ce domaine est illimité et l'intelligence se confond à vouloir l'embrasser. C'est ce domaine, ainsi coordonné, que la science doit formuler, que l'art et la poésie doivent reproduire ou évoquer. C'est cette évolution interrompue ou constante qui est inscrite dans l'histoire.

C'est pourquoi j'ai voulu montrer par les faits eux-mêmes, comme par leur expression littéraire et artistique, la filiation des tendances diverses, et la succession des moyens de la traduction et de la forme des idées.

J'ai donc fait un livre d'histoire générale, mais ce n'est pas une « édition expurgée

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III

La détermination des lois naturelles qui président à ce développement est une œuvre pleine d'intérêt et digne d'attention.

L'homme porte en lui-même le principe de ses évolutions, de ses aspirations, de ses erreurs et de ses chutes; il y a donc un spectacle renouvelé dans la considération de sa mobilité, de ses tentatives avortées, de ses succès et de ses fautes.

C'est un tableau changeant, sombre ou lumineux, mais toujours touchant qui se déroule sans cesse devant nos regards ardents ou attristés et dont l'horizon sans bornes se modifie incessamment.

Il passe alternativement de l'état le plus sombre à l'auréole du plus vif éclat.

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