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LIVRE TROISIÈME

POÉSIE ET
ET ARTS LATINS

CHAPITRE PREMIER

POÉSIE ET ARTS LATINS DEPUIS LEUR ORIGINE
JUSQU'AU RÈGNE D'AUGUSTE

Période romaine.

Après les conquêtes d'Alexandre et les luttes et partages entre ses successeurs, la scène du théâtre du monde ancien passa de la Grèce en Italie.

A cette époque, c'est-à-dire au commencement du e siècle avant Jésus-Christ, la constitution légale et politique de la république romaine est fondée.

Cette république aura encore à subir les péripéties de la conquête du nord de l'Italie, de nouvelles guerres contre les Gaulois, l'invasion des Grecs eux-mêmes sous la conduite de Pyrrhus, et enfin les guerres puniques contre les assauts renouvelés des Carthaginois et d'Annibal.

Rome enfin sortira victorieuse de ces périls constants qui me

naçaient son existence et arrêtaient l'expansion lointaine de ses forces.

Le peuple romain avait des aptitudes très larges et envahissantes, une sorte de réalisme d'État, c'est-à-dire la réalisation et la poursuite la plus ample possible de l'esprit de conquête, des grands travaux publics, et du génie de concentration, administratif et judiciaire.

Ses premiers chants sont des chants de triomphe, des hymnes guerriers ou de glorification des actes militaires : le chant des frères Arvales, les chants saliens.

«Lares, soyez-nous en aide! »

Cette prière, renouvelée dans tous ses combats, la force intime de ce peuple, indiquent comment la fortune devait toujours revenir à la constance romaine et manifestent surtout la puissance de son énergie vitale.

Les récits historiques des premiers âges de Rome, les incidents et péripéties imprévus des luttes pour son existence, les premières guerres extérieures de la république romaine dans lesquelles la fortune devait toujours servir le peuple romain, sont certainement un trésor d'inspirations pour ses poètes et ses artistes. Ces grandes actions ont leur réalisme qui s'impose dans toutes les œuvres qui en portent le reflet.

Mais ce n'est là qu'un côté de la question que j'ai abordée et qui se développera davantage dans les effets et tendances variés de l'esprit humain et des lois de la nature, prise en son acception la plus universelle.

Quoi qu'il en soit, les poètes et les artistes se sont fréquemment inspirés des origines de Rome, des luttes patriciennes et plébéiennes, ainsi que des guerres d'extension ou d'invasion par des œuvres qui sont restées grandes et respectées.

C'est une adaptation.

Les récits historiques, les incidents imprévus et violents ont aussi leur réalisme.

Il y a ainsi une sorte de coordination qui s'impose entre les faits successifs et les diverses manifestations de la pensée.

Il en est de même pour les origines de l'art latin.

La marque originaire de l'art latin est surtout l'art étrusque. L'Étrurie pouvait se prévaloir d'une civilisation antique, primitive,

qui, d'abord autochtone, avec un certain mélange asiatique, fut ensuite traversée, modifiée par la civilisation des Grecs, puis alla se confondre et se perdre dans celle des Romains, après leur avoir donné, avec ses croyances et ses superstitions, les premiers rudiments de tous les arts et de toutes les industries; les bronzes et la ciselure.

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Les vases étrusques sont une première représentation des precieux produits de l'industrie italienne.

Ils indiquent les différents âges de leur création.

L'Étrurie a dû servir longtemps de point de concentration artistique et industrielle à la civilisation romaine.

Outre les vases étrusques dont le musée du Louvre a de curieux modèles, le musée des Antiques, à Paris, possède aussi une jolie statuette d'Apollon enfant avec un canard, d'un travail, d'une simplicité et d'une finesse exquis.

Mais le plus curieux de tous ces objets comme monument de l'art plastique est assurément le sépulcre orné auquel on a donné le nom de Tombeau Lycien.

Sur un lit funèbre reposent deux figures à demi couchées, l'une d'homme, l'autre de femme; en costume asiatique, d'un calme et d'une majesté complète.

Rien n'est imposant comme cette noble représentation d'un couple heureux, possesseur des biens profanes de la cité antique.

Ce premier mode de civilisation conserve une saveur particulière que n'effaceront pas leur fusion ultérieure de l'art grec ni les puissantes assises de l'art romain dont il est le point de départ.

La poésie latine, à ses commencements, se caractérise, dans son principe vivace et national, par le poète Q. Ennius, contemporain et ami de Caton. Ses descendants et aussi les modernes lui ont accordé une grande valeur qui nous oblige à nous y arrêter.

Le nom de Caton indique suffisamment le caractère de l'époque rigide que nous traversons et l'énergie qui se révèle dans les pensées du poète, comme dans la vertu du grand citoyen romain.

mûr.

Les Annales en font foi; c'est une épopée, œuvre de son âge

Le passage suivant d'Ennius formule l'idéal du Romain tel qu'il le demandait :

<< Ayant ainsi parlé, il appelle un homme avec qui bien souvent il s'était plu à partager sa table quand il était fatigué des travaux de la journée, et à causer amicalement des grandes affaires qui se débattaient et dans le vaste Forum et dans le majestueux Sénat. Devant cet homme, il n'hésitait pas à traiter tout sujet, grand, petit ou badin, mêlant la malice à la bonté, comme il lui plaisait, et sans redouter l'indiscrétion. Avec lui, il goûtait de vives joies et dans le tête-à-tête et en présence d'autrui. C'est que, dans cet esprit, jamais ne germa la pensée d'une mauvaise action: cet homme était léger, mais non méchant; il était instruit, fidèle, doux, éloquent, satisfait de sa fortune, heureux, plein de sens, parlant bien et à propos, d'humeur commode, point verbeux; sachant beaucoup de choses antiques, de ces choses que le temps a ensevelies dans l'oubli; sachant à la fois et les vieilles mœurs et les mœurs nouvelles; habile à débrouiller toutes les lois anciennes, celles des dieux comme celles des hommes; enfin capable ou de beaucoup dire ou de bien se taire. Voilà celui que Servilius, au milieu des combats, aborde par ces mots... »

Dans une autre partie des Annales, voici une description qui est largement traitée :

« Le cavalier s'avance, le creux sabot du cheval ébranle et fait résonner la terre. Des deux parts une clameur s'élève et monte au ciel. Ils se heurtent de front, comme se heurtent les vents lorsque le souffle pluvieux de l'auster, et l'aquilon soufflant de l'autre bout, soulèvent à l'envi les flots dans la mer immense. De tous côtés, comme la pluie, les traits fondent sur la tribune. Sa parme en est percée; le nombril du bouclier tinte sous les coups des javelots; son casque d'airain retentit sans cesse. Du reste, nul ne parvient, malgré tant d'efforts réunis, à mettre avec le fer son corps en pièces. Toujours il brise, il arrache les piques qui l'assaillent toujours; la sueur inonde son corps: pas un instant de relâche; nul moyen de respirer, en butte aux atteintes du fer qui vole. Les Istriens attaquaient, lançant vigoureusement leurs traits. Beaucoup tombent morts, et sous le fer et sous les pierres, et roulent d'une chute rapide ou dans l'intérieur des murs ou au dehors. » Cette action du combat est la réalité même.

Puis encore cette peinture de la terreur de Carthage après une défaite :

<< L'horrible terre d'Afrique s'agite avec un tumulte terrible,

inquiète, elle se consume partout de mille soucis; dans tous les lieux apparaît la grande figure de la tristesse; les Carthaginois tendent vers le ciel leurs yeux, leurs mains fatiguées; ils courent çà et là en désordre; tout est sans dessus dessous. >>

Ainsi se dégage la personnalité latine, son caractère rigide et la puissance de ses luttes.

La poésie romaine s'inspira des événements historiques qui sont sa vie en action et qui s'affirment par leur cachet de réalité et de vérité.

Il est une chose qui comporte les premiers éléments de la poésie latine, en son caractère le plus particulier et qui était née spontanément sur le sol du Latium, et des mœurs mêmes des premiers Romains; ce sont les chants fescennins :

« Les laboureurs d'autrefois, dit Horace (épître II), ces hommes heureux et à peu de frais, quand ils avaient serré leurs blés, délassaient par des fêtes du corps et aussi leur âme que soutenait dans les épreuves l'espoir du résultat. Avec les compagnons de leurs travaux, leurs enfants, leur fidèle épouse, ils offraient un porc à la Terre, à Sylvain du lait, des fleurs et du vin au Génie qui nous avertit de la brièveté de notre existence. La licence fescennine, née dans ces fêtes. répandit en vers dialogués ces sarcasmes rustiques, et cet usage se perpétua d'année en année. Ce ne fut d'abord qu'un aimable et gai passe-temps, mais bientôt le badinage devint cruel, se tourna en une vraie fureur, et assaillit, menaçant, impuni, les plus honorables maisons; ceux qu'avait atteints la dent cruelle éclatèrent en plaintes ; ceux qu'elle respectait encore s'émurent du danger commun. Enfin une loi fut portée qui défendait, sous peine de châtiment, d'attaquer personne par des chants diffamatoires; on changea de manière de peur du bâton; on dut se borner à bien dire et à plaire.

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Des bouffonneries et des jeux de mots en vers saturniens, voilà ce qu'étaient les chants fescennins jusqu'au jour où parurent de vrais poètes.

Les personnages avaient déjà leur costume et leur caractère traditionnel. Maccus était le vaurien à qui sa gourmandise et sa luxure attiraient de méchantes aventures; Bucco, le parasite, mangeur effronté et habile, qui savait toujours trouver un dîner; Pappus, le vieil avare libidineux, en quête de sa femme et de son argent qu'on lui a dérobés, et Dossenus, un philosophe qui prêtait fort à rire par le contraste entre sa conduite et ses sentences.

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