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niennes étaient absolument différentes des nôtres, qu'elles se complétaient de toutes les exigences scéniques en usage à cette époque, moins policée que la nôtre, en dépit des tendances naturalistes du jour.

Aux reproches que l'on peut faire de cette exubérance de détails honteux, de cette extrême licence du langage et des impressions corruptrices, Aristophane et son public pouvaient répondre que c'était la représentation de la vie publique, active, tumultueuse, débordante et virile.

Il ne faut pas voir seulement les gravelures de ce réalisme, il ne faut pas s'attacher absolument à la lettre de cette bacchanale extravagante, il faut voir le fond et la nature des choses qui se déroulent devant le spectateur et qui dérivent aussi de la condition libre des femmes grecques.

Ses comédies-féeries en étaient le correctif.

Toutefois, le relâchement des mœurs en général est révélé par toute l'œuvre d'Aristophane. On y pressent déjà la perte du sentiment patriotique, l'énervement et l'affaissement de la conscience populaire, l'oubli du péril national et la suscitation, de plus en plus vive, des rivalités et luttes civiques et civiles pour la prédominance des villes émancipées, des États morcelés.

Cependant les philosophes grecs et leurs disciples, de Socrate à Platon, de Platon à Aristote, nous ont enseigné les leçons et les luttes d'un autre genre, où les vérités et les sentiments, les rêveries et les probabilités, les merveilles de l'intelligence se révèlent au monde entier, sur lequel elles planeront jusqu'à nos jours.

Les deux branches du naturalisme s'affirment de plus en plus.

Il faut le dire pour être vrai, ces deux modes du naturalisme se tiennent. L'éveil donné à la contemplation de la nature pénètre le sentiment intérieur, comme la propulsion donnée à l'étude des phénomènes extérieurs excite l'action des lois naturelles.

En dehors de ces restrictions justifiées, on rencontre la fin prochaine d'une civilisation.

La civilisation grecque, dans son ensemble, n'en reste pas moins la marque d'une nation impérissable par ses travaux intellectuels, moraux et artistiques.

L'histoire grecque a aussi, par elle-même, quelque chose de théâtral qui correspond bien à la nature de ce peuple artiste.

CHAPITRE II

LES ARTS GRECS DANS LEUR PÉRIODE DE PLUS GRAND DÉVELOPPEMENT

Quand la guerre du Péloponèse fut terminée, on vit apparaître un nouveau style, qui, dans la sculpture, fut surtout représenté par Scopas et Praxitèle, comme accent dans l'expression. Scopas emprunta presque tous ses sujets au cycle de Bacchus et de Vénus; ce fut lui aussi qui fixa le type de ces divinités marines qui forment le cortège habituel de Neptune et d'Amphitrite. Il avait fait aussi une très célèbre statue d'Apollon Citharide, dont on admirait l'expression profondément empreinte d'enthousiasme et d'élan. Un groupe de divinités marines conduisant Achille vers l'île de Lemnos passait, dans l'antiquité, pour le chef-d'œuvre de Scopas.

La vérité d'expression était telle, pour l'une de ces bacchantes, tenant un chevreuil qu'elle a égorgé, que l'on disait d'elle: « Qui a enivré cette bacchante? Est-ce Bacchus ou Scopas? - C'est Scopas. - Arrêtez, arrêtez cette statue, elle va s'enfuir. »

1

Cette vérité d'expression, jointe à la plus grande noblesse, représentant un état d'anxiété indicible « dans cette morne, muette et sourde stupidité qui nous transit 1», sans que la beauté en soit altérée, se révèle dans le groupe des Niobides, attribué par Pline à Praxitèle, et par quelques antiquaires à Scopas.

Cette confusion possible indique une tendance semblable.

Praxitèle, qui vivait 336 ans avant Jésus-Christ, attacha son nom à cette évolution de l'art grec, substituant la grâce et l'élégance aux expressions de l'énergie athlétique de la période précédente. La délicatesse de ses compositions, les charmes prodigués par lui à la ma

4. WINCKELMAN.

tière, entraînaient l'art dans les écarts d'une sensualité rachetée seulement par les enchantements et la beauté de la forme. Le type de Vénus prenait en ses mains un esprit de recherche et de coquetterie qui transformait le type primitif de la majesté et de la puissance divines. La déesse, déchue de son rang, se prodiguait dans l'Agora, où la courtisane se mêlait à la foule des citoyens.

La grandeur d'Athènes commençait à s'éclipser.

Pendant la période macédonienne, le statuaire se préoccupe davantage d'exprimer les sentiments de l'âme sur la figure humaine, à l'idéaliser comme principe de force ou d'autorité.

Quand on arrive à Alexandre, les statues d'athlètes deviennent plus rares; mais le portrait prenait droit de cité.

A la grandeur monarchique d'Alexandre devaient s'allier de préférence l'étude du portrait, et les sujets de genre. L'artiste qui fit le mieux les portraits d'Alexandre, Lysippe, sculpteur de l'école de Sicyone, fixa encore le type d'Hercule, l'idéal de la force, allusion à la gloire d'Alexandre. Hercule cédant à l'amour et privé de sa massue, Hercule assis au banquet des dieux, un autre Hercule à Alysia, en Acarnanie.

Revenant à la tradition héroïque de Polyctète et de Phidias, il sculpta aussi les Sept sages de la Grèce, Socrate, Ésope, Praxilla, l'Occasion, une Joueuse de flûte ivre, un Satyre, un Baigneur se frottant avec une étrille, statue que les Romains admiraient devant les thermes d'Agrippa.

Ces dernières œuvres, empreintes d'un sentiment naturaliste très apprécié de son temps et très recherché au siècle d'Auguste. « Ce n'est pas un artiste, disait Lysippe, qu'il faut imiter, c'est la nature elle-même. » Et il ajoutait encore : « Polyctète, Phidias, Myron ont fait les hommes tels qu'ils devraient être, et moi je les fais tels qu'ils me paraissent1. »

Mais il y a loin de cette traduction volontaire et caractérisée à la copie exacte de la vérité individuelle. Un élève de Lysippe, Lysistrate, avait imaginé de mouler le visage des personnes dont il voulait faire le portrait; c'était ouvrir la voie à la reproduction et l'imitation textuelles, dans laquelle devait s'altérer la splendeur du style grec, dans le réalisme de la forme plastique.

4. En tout temps, l'œuvre idéale a résumé la vie réelle. »

H. TAINE.

Pour compléter par un dernier examen le tableau des œuvres de sculpture les plus connues, tant au musée du Louvre que dans les galeries et musées étrangers, il faudrait encore rattacher à la grande école de Phidias le bas-relief qui représente Orphée et Eurydice, qui est une des plus belles pages de l'antiquité. Le poète, oubliant les ordres de Pluton, se retourne pour voir Eurydice avant d'avoir quitté le séjour des morts. Mercure, qui les suit, les avertit de se séparer. Il y a, dans ce retour et cet adieu des deux amants, une tristesse et un charme discret qui ne peut être égalé par aucune expression; c'est là une expression de douleur si doublement ressentie et transmise que l'on ne peut se défendre d'une douce émotion en les regardant. Mercure lui-même semble exécuter à regret la sentence du destin. La beauté de l'ensemble est parfaite, et l'harmonieuse tranquillité des lignes rehausse admirablement le sentiment profond de cette belle composition, pathétique et charmante à la fois.

Dans le sens réaliste :

Le Faune, de Praxitèle, est admirable par l'élégance des formes, la grâce de l'expression, la jeunesse, la naïveté du sujet et la finesse du travail.

Le Faune à l'enfant (du Louvre) a des qualités semblables, auxquelles il faut ajouter la sollicitude toute paternelle de Silène portant Bacchus, dont le groupe est la représentation.

Les Deux faunes dansants, dont l'un joue des crotales, ou petites cymbales grecques, l'autre du scabilium, petit instrument que l'on pressait sous le pied, dénotent, dans l'insouciance et dans la naïveté de leurs gestes, la vérité du mouvement qui les entraîne.

Le geste s'accentue, la défense et l'attaque se développent dans le Discobole (du Louvre), et surtout dans le Gladiateur combattant, dans l'Arrotino, et plus encore dans les Lutteurs (de Florence).

Enfin l'expression des angoisses suprêmes se traduit dans le Gaulois mourant (à Rome), le Taureau (Farnèse), et au degré le plus intense encore dans le Luocoon. Après le Laocoon, on peut dire que la douleur et les terreurs d'une mort prochaine ont atteint les limites du sentiment artistique.

Le Laocoon est le chef-d'œuvre du réalisme antique; il prouve que les Grecs comprenaient le stoïcisme des héros.

L'imagination reste confondue en présence du mouvement et de l'horreur communiqués ainsi à la matière inerte; ce groupe semble avoir toujours existé d'une vie réelle.

L'ensemble de ces œuvres représente un résumé supérieur de toutes les expressions de la sensibilité.

La sculpture est le premier et le plus grand des arts en Grèce, en dehors de l'architecture, parce qu'elle ramène l'homme à la création.

Les peintres, avant Apelle, s'attachaient à rendre la réalité des scènes de la vie intime. Ainsi, Échion avait représenté une vieille femme portant deux lampes devant une nouvelle mariée; Pausias de Sicyone aimait à représenter les enfants.

Il avait peint également Glycère, bouquetière athénienne fameuse par sa beauté. Elle était assise et avait la tête ceinte d'une couronne de fleurs. Glycère fut aimée des deux célèbres poètes comiques Ménandre, puis Philémon. Sa recherche de la grâce dans les formes, de l'expression des figures tend à se substituer à la recherche de la force.

Dès lors, les talents du peintre se diversifiaient, s'individualisaient, comme aujourd'hui, et l'impression de la nature se révélait parallèlement aux interprétations de l'histoire, aux conceptions résultant de la vie intime et familière, se fixant dans le Portrait. Le portrait souvent idéalisé pour les grands personnages.

Lysippe en avait donné le modèle pour celui d'Alexandre, dont Apelle était le peintre favori.

L'art d'Apelle, ont dit les poètes pour désigner la souplesse du talent, la prestesse de l'exécution, la grâce de la conception.

Parmi ses tableaux et portraits, on cite Neoptolème combattant les Perses; c'était une allusion évidemment. Les Éclairs, le Tonnerre, la Foudre, représentation des forces de la nature.

Diane au milieu d'un chœur de nymphes et une Vénus Anadyomène, sans doute Lampaspe, sa maîtresse, cédée par Alexandre.

Et enfin, la Calomnie, image satirique des mœurs des cours.

Par ces œuvres diverses, Apelle, saillant, comme Alexandre, par sa personnalité, a été le point culminant de la peinture grecque.

Le témoignage des auteurs anciens est unanime à cet égard. La vie intime faisait si bien partie du programme, que nous en trouvons la mention dans l'une des plus jolies comédies de Plaute, le Carthaginois.

Après une scène de famille, scène très attendrissante de recon

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