Images de page
PDF
ePub

de la sienne. Or, sur une telle donnée, quelque appareil scientifique et quelque habileté d'art qu'on y applique d'ailleurs, on ne saurait élever qu'une vaine et fausse théodicée. Il y a, dans les doctrines, de ces défauts qu'aucune puissance ne répare et que le génie même ne supplée pas, quelque force d'invention ou de combinaison qu'il y apporte. Voilà ce que l'auteur du Mémoire no 6 a habilement mis en lumière, en se tenant toutefois un peu trop dans les généralités de son sujet, et en ne se montrant pas aussi familier avec les systèmes de M. de Schelling et de Hégel, par exemple, qu'avec ceux de Descartes, de Spinosa et de Leibnitz; de sorte que, sans cesser d'être aussi fidèle dans ses analyses et aussi exact dans ses discussions, il y est moins abondant, moins ample, on dirait moins à l'aise que dans ses précédentes études. Si cette remarque est juste, pourquoi, se sentant moins versé dans la langue et la philosophie allemande, n'a-t-il pas eu recours à plus d'un auxiliaire qui l'eussent pu bien servir, à l'un d'eux surtout, M. Wilm, l'un de nos correspondants regrettés, l'un de nos anciens lauréats, dont la mort récente n'est pour nous qu'un motif de plus de rendre un nouvel et public hommage à sa très-recommandable Histoire de la Philosophie allemande, couronnée par vous, il y a quelques années, dans l'un de vos con

cours.

A la suite de cet aperçu historique et critique des destinées de la théodicée dans les systèmes modernes de la philosophie allemande, l'auteur du Mémoire no 6 présente une réfutation générale du panthéisme; c'est comme une sorte de prélude, sous la forme de la discussion, à la doctrine qu'il proposera ensuite sous celle d'une conclusion.

Il reprend donc le panthéisme, non plus considéré,

comme il l'a fait d'abord, dans tel ou tel de ses représentants, mais défini et déterminé d'après son idée la plus générale, et c'est dans cette généralité qu'il l'examine et le juge de nouveau.

Tout ce qu'on peut solidement objecter contre ce système, en partant de ce point, que, d'une part, il faut à l'esprit humain, qu'il faut à la conscience universelle un Dieu réel et une nature réelle, et que, de l'autre, le panthéisme les leur refuse tour à tour, en réduisant tout à l'unité, à l'identité de substance et de principe; tout ce qu'on peut justement dire pour démontrer qu'il est condamné, s'il ne veut pas se contenter d'un Dieu vide et abstrait, à lui prêter des attributs, une vie, une action et un mouvement qui finissent par absorber en lui la nature elle-même; ou, au contraire, s'il tient à une nature plus réelle, à la réaliser tellement, à tellement la revêtir de propriétés et de vertus, à la tellement faire vivre de sa vie propre, que Dieu, à son tour, s'y efface et s'y perd; toutes ces raisons déjà précédemment produites, mais ramenées ici avec une force et une précision nouvelles, il les lui oppose et l'en presse de manière à l'enfermer dans cette alternative, ou de diminuer et d'appauvrir l'existence divine pour donner à l'univers de la réalité, ou d'annihiler en quelque sorte l'existence des choses visibles, pour concentrer toute l'existence effective en Dieu. Là est en effet l'écueil inévitable du panthéisme, qui, dans l'embarras où il se trouve de faire coexister au sein de la même unité et dans une identité absolue l'infini et le fini, l'incréé et le créé, Dieu et la nature, n'explique bien ni l'un ni l'autre, soit qu'il naturalise l'essence divine, soit qu'il divinise la nature; car il ne se peut pas, quelque art logique qu'il y déploie, qu'il ne fasse qu'un de ces deux existences si profondément unies, mais non moins profondément dis

à

tinctes. Il n'est pas de l'Inde à la Grèce, de l'antiquité aux temps modernes, de Parmenide et de Plotin à Spinosa, M. de Schelling et à Hégel, un seul partisan du système de l'unité absolue qui n'y ait hautement et fâcheusement échoué, et qui ait pu sauver du naufrage soit la Providence de Dieu, soit la moralité humaine, qui ait par conséquent abouti à quelque légitime théodicée. Voilà ce qu'a, sans contredit, parfaitement démontré l'auteur du Mémoire n° 6, non toutefois, devons-nous ajouter, sans quelques répétitions, sans quelques retours à des arguments antérieurement présentés. Ce sera à sa diligence de faire disparaître, dans une sévère révision de son travail, ces traces du double emploi.

Nous voici enfin arrivés à sa conclusion, c'est-à-dire proprement à la partie dogmatique de son Mémoire.

Il commence par y exposer sa méthode; il s'occupe ensuite de l'appliquer. Sur les pas de Descartes, mais de Descartes fidèle à son premier argument, la nature humaine sous les yeux, mais cette nature tout entière, et dans tous ses éléments, avec une prudence consommée, une habileté éprouvée, une élévation de vues, qui ne l'abandonne jamais, il entreprend à son tour cette grande œuvre de la théodicée, à laquelle tant de mains viennent de prendre part sous ses yeux, mais qu'il ne recueille d'aucune, même des plus illustres, précisément accomplie ; il s'efforce donc d'abord de nous montrer en Dieu, sur la foi de ce rapport qui unit dans la conscience le parfait à l'imparfait, le terme de comparaison, le modèle, l'idéal de notre existence, cette grandeur devant laquelle se reconnaît, s'avoue et s'humilie notre petitesse, cet infini qui accable à la fois et soutient notre faiblesse. Mais il ne se borne pas là; dans cette sublimité il nous fait voir la bonté, l'intelligence, la libre puissance, quelque chose d'humain dans

le divin lui-même, ce qu'il faut à ce principe pour être le créateur et le père de nos âmes, pour s'en rapprocher et s'y unir, y veiller et les conduire, comme une Providence pleine de sagesse, d'amour et de liberté; incomparable objet d'admiration et de méditation, mais aussi de sentiments plus pieux et plus tendres, qui nous lient et nous relient à lui comme à notre bien souverain, comme à ce bien, bienfaisant et communicatif de lui-même, ainsi que le dirait Bossuet. Ce n'est certes plus là le Dieu du panthéisme, ce Dieu qui est tout ou rien, et devant lequel l'homme n'a qu'à s'oublier ou s'enfler outre mesure, Dieu vain, Dieu faux dans l'un comme dans l'autre excès, et qui ne nous laisse pour destinée que l'annihilation sans réserve, ou l'exaltation sans limite et le culte insensé de notre personne; c'est un tout autre Dieu, c'est celui d'un pur et ferme théisme, appuyé sur une non moins ferme et moins exacte psychologie.

Rien de mieux donc que ce début dans la conclusion du Mémoire. Mais ce n'est qu'un début; ce n'est qu'un commencement auquel il faut une suite et un achèvement; c'est le fond même de la théodicée, mais sans tout son développement. Faute de temps vraisemblablement, faute d'un certain loisir nécessaire pour reprendre haleine et s'ouvrir de nouvelles perspectives, l'auteur, après cette théorie générale des principaux attributs moraux de Dieu, s'arrête court et finit, sans nous introduire, comme il le devait et le pouvait assurément dans un autre ordre de questions auxquelles ses premières recherches l'amenaient naturellement lacune regrettable, sujet pour nous cependant de remarque plutôt que de reproche, car nous n'y voyons pas une insuffisance, mais un simple défaut de complément.

La théodicée est la science de Dieu, considérée comme

providence; mais elle est aussi implicitement celle de l'homme lui-même envisagé comme objet des soins de la Providence. Il y a donc là deux êtres, deux termes en rapport, qui ne se comprennent et ne s'expliquent bien que rapprochés et unis; qui ne doivent pas aller l'un sans l'autre, quoique l'un l'emporte sur l'autre, et le surpasse de toute la distance de l'infini au fini. Or, l'auteur du Mémoire no 6 n'a pas sans doute oublié, mais a trop négligé celui des deux qui n'a que le second rang, et il ne s'est point assez demandé ce qu'est l'homme sous le gouvernement de la Providence, ou ce que la Providence est non-seulement en soi et dans ses attributs, mais dans son action appliquée à la conduite de l'humanité; il n'a point assez recherché quelles sont les conditions et les lois de cette action, cet ordre de moyens pour une fin, ordo in finem, qui servent à diriger, sans enchaîner, le cours de notre destinée. Est-ce seulement par la justice, par la récompense et la peine, qu'elle y procède ? ou est-ce aussi par l'épreuve, par la double épreuve, celle de la bonne et la mauvaise fortune? N'est-ce pas à la fois par les secours et les obstacles, par les biens et les maux de tout genre et de tout degré, avec toute sorte de ménagements, de tempéraments, et de démarches variées, en vue de tout ce qu'il y a dans nos âmes de simples penchants ou de résolutions, d'actions faites ou à faire? Sur ces questions, qui ont cependant en plus d'un point divisé les philosophes, il ne s'est pas montré assez explicite, et, par une conséquence naturelle, il n'a pas assez donné d'attention ou de développement à la solution des difficultés élevées par la prévention et l'esprit de système contre le gouvernement de la Providence. Nous recommandons à son zèle scrupuleux, ces différentes omissions.

Au terme de ce long et laborieux examen, nous devons

« PrécédentContinuer »