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assuré de l'obtenir, il faut savoir le demander; or c'est ce que n'a pas assez su l'auteur du Mémoire no 1, et il en a porté la peine. Privé des utiles leçons du passé bien consulté, il est tombé dans plus d'une faute, que plus d'expérience et un meilleur usage de l'histoire lui eussent sans doute fait éviter.

Il en est une avant tout qu'il se fût épargnée, c'est celle de sortir inconsidérément du sujet, qui lui était tracé, et de s'égarer sans discrétion en des matières qui sont du domaine de la théologie et non de celui de la philosophie. L'autorité de grands exemples, autant que la droite raison lui eussent appris à se renfermer d'une manière plus exacte dans les questions, qui lui étaient posées et à ne pas tenter avec témérité l'entreprise périlleuse de traduire en théorie la plupart des dogmes chrétiens, et il faut ajouter, sans y rester très-fidèle, malgré ses intentions et sa profession d'orthodoxie; ayant à disserter des attributs moraux de Dieu, tels que peuvent nous les découvrir la lumière naturelle, il ne se fut pas comme répandu et perdu à plaisir sur tous ces points du péché originel, de la grâce, de la trinité, du purgatoire et de l'enfer, dont l'Eglise seule est juge et pour la solution desquels elle a ses autorités et ses règles.

Il eut aussi mieux jugé, mieux apprécié certains noms, sur lesquels il n'est pas permis de se méprendre, comme il le fait, et il ne se fut pas laissé aller à des légèretés, telles que celle qui lui échappe au sujet de Descartes quand il dit : « Je ne sais en vérité pourquoi on a tant vanté la philosophie de Descartes ; » et qu'il essaie aussi d'imputer au cogito le scepticisme subjetif de Kant. Il eut reconnu que vouloir avant tout considérer Dieu comme l'être pur, et ne pas admettre qu'il puisse être conçu, défini et étudié comme un esprit, et d'après un autre esprit, qu'il a lui

même formé, c'était courir tous les risques d'une ontologie hasardeuse, impuissante même à se terminer à une véritable théodicée.

Mais laissant là l'histoire ou n'y recourant, que selon ses vues propres, il s'en est surtout fié pour son œuvre à lui-même, il n'est donc pas étonnant qu'il y ait failli de plus d'une façon.

Non toutefois que nous voulions dire qu'il est resté étranger aux divers systèmes de théodicée, dont il avait à parler. Il ne les ignore ni ne les méconnaît; mais il ne les analyse ni les juge soit en eux mêmes, soit dans leurs rapports, avec cette suite et cette maturité, qui en eussent rendu pour lui la critique profitable, et dans ses rapides et incomplets aperçus, au lieu de les approfondir, de les discuter dans leurs principes et dans leurs conséquences, il se contente, selon que l'y conduit le cours de ses pensées, d'en toucher en passant tel ou tel point particulier, d'y faire même quelquefois une simple allusion; et cette érudition fragmentaire, toujours plus ou moins superficielle, il l'étend et la disperse sur tant d'objets divers, et, il faut le dire, avec si peu de choix et de discernement, que toute opinion, tout nom l'attire également; qu'il ne fait acception de rangs ni de personnes, et que dans ses excursions en tous sens, le bruit l'attire tout aussi bien que la gloire. Ce n'est pas là la bonne manière de traiter l'histoire; il la faut plus grave, plus réservée, plus ample et plus pénétrante à la fois.

L'auteur du Mémoire no 1 aurait d'autant plus besoin de se soumettre sous ce rapport à cette utile discipline, que par toutes les qualités d'esprit qu'atteste son travail, il semble une de ces natures auxquelles convient mieux le frein que l'aiguillon et qui ne valent qu'à la condition d'être sagement dirigées et modérées. Ce sont en effet à chaque

instant des aspirations, des élévations même, des abandons de pensée, des mouvements d'une belle âme, des naïvetés de sentiments, qui intéressent, sans doute, mais qui laissent aussi bien des regrets; car ce sont des espérances, pour lesquelles on craint sans cesse, et qui trompent presque toujours, tant il y manque ce qui en assurerait et murirait les fruits, une plus forte culture et de plus viriles études. C'est un esprit libre, bienveillant, honnête, à certains égards même distingué et élevé, mais inexpérimenté jusqu'à l'illusion, et confiant jusqu'à l'ambition des idées neuves et des grandes pensées, dont en plus d'une occasion, sans trop choquer toutefois, il se décerne le prix. Il aime la philosophie, mais d'un amour trop facile et dans le zèle qu'il lui montre il y a peut-être plus de hâte et de précipitation que de véritable empressement. « Ceux qui ne marchent que fort lentement, dit Descartes, peuvent avancer beaucoup d'avantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ceux qui courent et qui s'en éloignent. » Quelques conseils, comme celui-là, ne lui seraient pas inutiles, soit en matière de raison, soit même en matière de foi; et puisqu'il fait profession de respectueuse docilité à l'égard de l'Académie, et qu'il lui demande des avis, il en est un qu'elle peut en toute sûreté lui donner, c'est de mieux se modérer tant dans sa doctrine philosophique que dans sa doctrine religieuse, et de ne pas mêler jusqu'à la témérité les propositions de l'une et de l'autre.

En somme son travail, digne d'intérêt sous certains rapports, ne saurait être autorisé par aucune de vos manières de marquer votre approbation, il ne peut concourir ni pour le prix, ni pour une mention honorable.

C'est aux deux Mémoires, dont il nous reste à vous entretenir, que paraissent devoir être réservées l'une ou

l'autre de ces distinctions. Ils sont incontestablement trèssupérieurs aux précédents.

Le Mémoire n° 3 est un volume in-quarto de 886 pages, d'une écriture très-fine, et qui a pour épigraphe cette pensée de Clauberg Philosophia studium multis hodiè invisum est et suspectum, propterea quòd nec utilitatem ejus noverunt, nec voluptatem animo unquàm sunt experti. (De cognitione Dei et nostrî).

Il se compose d'une introduction, dans laquelle l'auteur expose ses principes et sa méthode, et de trois parties, dont la première traite de l'existence de Dieu; la seconde de ses attributs; la troisième de l'athéisme et du panthéisme.

. C'est donc encore avant tout un traité de théodicée, d'où sans doute l'histoire ne se trouve pas exclue, dans lequel même elle abonde, mais où elle n'intervient pas à sa place et selon le meilleur ordre ; de plus ce traité luimême est une théorie, qui dans son principe est des plus contestables.

De là deux fautes capitales que nous aurons à y relever : l'une, la moins grave, qui consiste dans la manière dont l'auteur a cru devoir y introduire l'histoire; l'autre qui est l'esprit même de la doctrine qu'il professe. Hâtons-nous cependant de dire qu'elles sont toutes deux sinon rachetées, du moins atténuées par des mérites que nous nous plairons également à reconnaître.

C'est sur l'une et l'autre que nous appellerons d'abord votre attention. Nous débuterons par le mal, nous terminerons par le bien. Notre justice en paraîtra peut-être ainsi moins sévère.

Pour commencer par la doctrine, qui est en effet ici ce qu'il y a de plus fâcheux, celle que l'auteur nous propose du reste avec une sincérité et une droiture qui l'honorent, 2

XXIX.

n'est pas moins que le système de Kant, plus pur même peut-être et plus conséquent que dans Kant. Afin qu'on ne l'ignore pas, dès ses premières pages, il en expose les principes, et dans toute la suite de son traité il en développe les conséquences, en prenant soin seulement, à l'aide d'une certaine sagesse pratique, de beaucoup de réserve et de prudence, d'en contenir et d'en corriger les plus regrettables résultats.

C'est donc Kant qu'il suit, sauf à l'abandonner, quand il ne le trouve pas assez fidèle à ses propres maximes, et quand il le voit raisonner de Dieu en morale, autrement qu'en métaphysique, l'admettre objectivement à l'un de ces points de vue, après l'avoir frappé de subjectivité à l'autre, et se contredire de l'un à l'autre, en changeant de solution, en même temps que de critique. Pour lui, il pense que soit par la raison pure, soit par la raison pratique, qui ne sont à ses yeux qu'une seule et même faculté diversement appliquée, il y a également preuve de l'existence de Dieu; mais preuve toujours subjective, toujours relative au sujet et nullement à l'objet, de telle sorte que très-forte, quand du moins elle est régulière, par rapport au premier, parce qu'elle peut y être portée au plus haut degré de vraisemblance, elle reste toujours très-faible pour ne pas dire nulle, en ce qui regarde le second, dont elle ne saurait atteindre ni démontrer l'existence; en tout cependant très-suffisante pour la conscience qu'elle satisfait, et très-bonne à opposer à toutes les négations ou à toutes les fausses notions des systèmes moins conformes à la droite raison.

Voilà quelle est dans sa généralité la doctrine de l'auteur. Sans vouloir la discuter avec développement et par conséquent réinstruire un procès qui a déjà été porté et jugé devant vous, dans un rapport que vous n'avez pas

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