Images de page
PDF
ePub

par une connaissance plus profonde de la nature humaine, par une expérience plus complète de ses faiblesses et de ses misères, ne se renferme pas dans l'ordre purement moral; mais au sentiment du devoir il s'efforce de joindre son sentiment nécessaire, le sentiment religieux. Au lieu de cette froide résignation d'autrefois, seul culte qui puisse se rendre à la nécessité, il s'élève par instants jusqu'aux saintes inspirations de l'amour divin, il trouve des accents qui ressemblent à une prière. Ce changement, déjà si visible dans Sénèque, doit-il être attribué au christianisme naissant? L'auteur du Mémoire ne le pense pas, et nous ne dirons rien de trop en affirmant que ses motifs paraîtront dignes d'examen à ceux qui soutiennent l'opinion contraire. Nous regrettons que dans cette partie de son travail, si distinguée à tant de titres, il lui soit échappé quelques propositions qui ne peuvent s'accorder avec ses principes, ou qui sortent de la limite expressément imposée à ce concours, non-seulement par le programme, mais par le respect et les convenances.

En même temps qu'elle agissait sur le monde romain par la politique, par la législation et le côté pratique de la morale, la philosophie grecque s'emparait de l'Orient par les idées et par les croyances, qu'elle imprégnait de son esprit, qu'elle façonnait à son image, tout en leur laissant leur fond mystique et religieux. Tel est le spectacle que nous offre la philosophie gréco-orientale, représentée, dans l'ouvrage que nous examinons, par trois écoles principales: celle de Philon et des juifs hellénistes, celle des gnostiques, et l'école néoplatonicienne, soit d'Athènes, soit d'Alexandrie.

Nous ne suivrons pas l'auteur sur ce nouveau terrain, où la morale est tellement mêlée à la métaphysique et à la théologie, qu'il est bien difficile d'en faire une étude sé

parée et de ne pas marcher un peu au hasard, sans dessein arrêté, sans règle précise, parmi des faits encore ma connus ou très-controversés. L'auteur, malgré les saines habitudes de son esprit, malgré l'étendue et la variété de son instruction, n'a pas complètement évité cet écueil. Ce qu'il dit de Philon, et, à propos de Philon, du mouvement général des esprits chez les Juifs, est confus, souvent hasardé, et par moment complètement faux. Sur le gnosticisme, il est insuffisant, et le résumé d'ailleurs très-exact, intéressant même, que lui fournit l'école néoplatonicienne, dépasse de beaucoup les besoins de la question.

On peut dire, en général, de ce Mémoire, qu'il pèche plus par abondance que par insuffisance, non-seulement de recherches et de connaissances acquises, mais d'idées et d'observations personnelles. Il y a peu à ajouter, et beaucoup à retrancher. Et cependant, comme l'Académie a pu s'en assurer par l'analyse fidèle que nous venons de mettre sous ses yeux, ces matériaux si nombreux et si variés, ces réflexions provoquées par des faits si divers, ne sont jamais, ou rarement en désaccord, sont embrassés avec aisance à la fois et avec fermeté dans un cadre naturel, où ils concourent tous ensemble au même but. Quand cet ouvrage aura pris sa dernière forme et ses proportions légitimes, lorsqu'une main sévère en aura fait disparaître les propositions hasardeuses ou équivoques, il sera compté par l'Académie au nombre de ceux qu'elle se félicite d'avoir provoqués. Tel qu'il est aujourd'hui, même avec ses défauts, nous le considérons comme un travail d'une grande valeur, d'une haute distinction, et nous vous proposons de lui décerner le prix. Il nous resterait encore, avant de finir, à demander pardon à l'Académie pour l'épreuve à laquelle nous avons soumis sa patience; mais, dans un sujet de cette importance et de cette gravité, nous

avons voulu qu'elle assistât en quelque sorte à nos délibérations, et qu'avant de rendre son arrêt, elle connût par elle-même toutes les pièces du procès.

AD. FRANCK.

Les conclusions de ce rapport sont adoptées.

L'auteur du Mémoire no 2 (le Mémoire couronné) est M. Jacques-François DENIS, professeur de philosophie au lycée de Tournon.

L'auteur du Mémoire no 1 (qui a obtenu la mention honorable) est M. Xavier RouSSELOT, régent de philosophie au collége de Troyes.

HISTOIRE DE LA MORALE

PAR M. ADOLPHE GARNIER.

SUITE DU PREMIER MÉMOIRE("),

LES SAGES DE LA GRÈCE.

Nous avons vu dans la première partie de ce mémoire que la sagesse antique aimait à se renfermer en des maximes dont la brièveté rendait le sens un peu obscur, et qu'elle recherchait le rhythme de la versification et les voiles de l'allégorie et de la fable. Le goût des générations primitives pour la poésie suffit à expliquer les formes de leur doctrine morale, comme de toute leur science. L'esprit aime mieux les voies de l'imagination rapide que celles de la lente observation. Il est plus agréable et plus facile d'imaginer tout d'un trait l'origine et la formation du monde que de fonder des inductions sur de longues expériences. La fiction domine dans les premiers travaux de l'intelligence; l'art précède la science, comme la versification précède la prose. Les premières théories sur la formation

(*) Voir t. XXVII, p. 437.

XXIX.

8

« PrécédentContinuer »