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peux Lycée de Laharpe ne vaut pas ses Épîtres familières; son vaste Cours de Littérature est moins amusant, moins instructif, moins curieux que sa Correspondance russe, où l'on trouve des résumés fermes et précis, des caractères bien tracés, de petits faits intéressans, des bons- mots, des épigrammes, des chansons, des traits de mœurs, et la chronique scandaleuse des quinze dernières années de notre littérature, jusqu'à l'époque de la révolution. G.

IX.

Même sujet.

ET nous aussi, nous dirons quelque chose de cette

Correspondance. Le nom célèbre de son auteur, le genre d'adversaires qu'elle lui a suscité, les réflexions utiles qu'elle fait naître, lui donnent naturellement une place dans notre ouvrage. Qui n'a pas entendu l'horrible tintamarre qu'a produit ce nouvel écrit? A peine a-t-il paru, que tous les bataillons philosophiques se sont ébranlés, ayant pour avant-garde la tourbe des athées, sonnant d'une main le tocsin de la liberté, et de l'autre portant l'oriflamme de la tolerance. Au bas train de la littérature se sont joints quelques critiques distingués, qui n'ont par là que trop prouvé que les blessures de l'amour propre ne guérissent jamais, suivant les expressions de M. Laharpe. Quand il auroit compromis, par cet écrit, la fortune publique, attaqué l'honneur national, et ébranlé les colonnes de l'État, on n'auroit pas fait plus de bruit. De quoi s'agit-il cependant? de quelques avortons littéraires, dont le premier de nos criIX. année,

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tiques a donné la mesure; de quelques mauvais vers, dont il a fait justice; de quelques demi-talens, dont il a rabattu les prétentions, ou, si l'on veut, de quelques talens vrais qu'il a jugés avec trop de rigueur. Lorsque l'ouvrage de M. Laharpe sur le fanatisme révolutionnaire apparut au milieu de nous, comme un brillant soleil au sortir d'une longue nuit, les philosophes gardèrent le silence. Étourdis par ce coup de foudre qui ne leur laissa pas un instant pour se reconnoître, ils ajournèrent leur vengeance à un temps plus opportun. Mais, depuis cette époque, ils ont eu le temps de se rasseoir et le moyen de reprendre haleine. De là ce déluge de sarcasmes grossiers et de satyres indécentes : ce soulèvement combiné de tous les affidés de la philosophie, qui, pour mieux cacher le motif de leur ressentiment, se sont distribués les rôles. Les rimailleurs ont plaidé pour les prosailleurs, les prosailleurs se sont battus pour les rimailleurs, et les vivans se sont chargés de la vengeance des morts. Il n'y a pas même jusqu'à ceux dont il n'a pas parlé, qui n'aient pris son silence pour du mépris, et n'aient voulu le lui faire payer comme une injure. Ces mêmes hommes, pour qui rien n'est sacré, qui lèvent les . épaules au nom de Dieu, et qui grincent les dents au nom de prêtres, ne veulent pas même souffrir qu'on effleure leurs odes et leurs vaudevilles. Touchez les montagnes, dit le prophète, et elles s'évaporeront en fumée. Touchez ces esprits superbes, et leur fureur égalera leur orgueil, ainsi que leur orgueil égale leur médiocrité et leur impuissance.

Cet acharnement des philosophes est d'autant plus injuste, que si la censure de M. Laharpe est toujours sévère et quelquefois excessive, c'est moins à eux à s'en plaindre qu'aux autres, puisque, prévenu en leur

faveur dans le temps qu'il écrivoit, c'est sur-tout contre leurs adversaires et ceux qui défendoient alors les vrais principes, que ses traits sont principalement dirigés, et que c'est sur-tout dans les jugemens qu'il en porte, qu'on voit percer encore plus les affections de l'homme que celles du littérateur. Nous pouvons en dire autant des reproches qu'ils lui font de se montrer, dans ce nouvel écrit, vain, épris de son mérite, et ne réservant la louange que pour lui seul. Car ce n'est guère que comme historien qu'il y parle de luimême, et ne mêlant jamais les réflexions avec les faits. Et d'ailleurs, quand la vanité, la morgue du penseur, et l'amour excessif de soi-même se feroient également sentir dans sa Correspondance, tout cela seroit dans l'ordre, et ne devroit surprendre personne; il n'étoit pas philosophe pour rien.

D'autre part, certaines notes par lesquelles Laharpe réfute quelques opinions qu'il regarde, dit-il, actuellement comme des erreurs, n'ont pas peu contribué à exciter leur bile. Comment, par exemple, lui pardonner d'avoir dit qu'avant la révolution « On n'avoit pas encore dénaturé l'homme, en lui ôtant le frein de la religion, et par conséquent de la conscience? » Conséquence, cependant, qui ne peut être désavouée que par des hommes sans conscience

D'avoir dit «< Que de tout temps on a cru à l'enfer très-indépendamment du pape; et que quand on a jugé à propos de ne plus croire à l'enfer, il est venu se faire reconnoître en personne, sous le nom de gouvernement révolutionnaire, qui assurément est de șa façon ». Double proposition qui ne peut encore êtrę contestée que par des hommes intéressés à la nier.

D'avoir dit « Que les peines éternelles sont susceptibles de démonstration métaphysique; ce qui ne veut

pas dire que c'en soit une pour nos philosophes; et qu'il ne sait si on en trouveroit aujourd'hui un sur cent qui sache ce que c'est qu'une preuve métaphysique :

» Grands mots que Pradon croit des termes de chimie ».

Accusation d'autant plus dure à digérer pour nos nouveaux Pradons, qu'ils ont mis de la métaphysique partout dans leurs traités de morale comme dans leurs romans, dans leurs constitutions comme dans leurs chansons.

:

D'avoir dit « Que l'abbé l'Enfant (prédicateur célèbre de nos jours) fut massacré à l'Abbaye, et qu'il bénit, au nom du Dieu de l'Évangile, les victimes de la philosophie, un moment avant qu'elle les égorgeât au nom de l'humanité ». Ce qui est très-exact, ce qui ne peut être contredit que par les apôtres de l'humanité, et ce qui est encore une démonstration de la né¬ cessité des peines éternelles.

D'avoir dit « Que le clergé de Paris n'avoit pas tort, quand il refusa la sépulture ecclésiastique à Voltaire ». Ce qui ne peut être blâmé que par des fanatiques qui, après avoir blasphémé la religion pendant leur vie, veulent encore avoir le droit de l'outrager après leur

mort.

D'avoir dit, en relevant l'exagération d'un poète qui appeloit des tigres des inquisiteurs, « Que les griffes de ces tigres avoient été rognées en Espagne et en Portugal, et qu'en Italie, suivant le témoignage même d'un pape (1), l'inquisition n'avoit plus ni yeux, ni -oreilles ». Ce qui est encore un peu fâcheux pour la

(1) Clément XIV. C'est du moins ce que l'auteur d'une Pie de Voltaire fait dire à ce pontife, parlant au baron de Guecklein, * / ami du philosophe de Ferney.

philosophie, qui est tout yeux et tout oreilles; qui porte encore ses griffes dans toute leur longueur, et qui, en fait de tigrerie, ne peut plus rien aujourd'hui reprocher aux inquisiteurs.

que

c'est

Enfin, d'avoir dit « Que des sages, qui n'ont écrit que pour les sots, ont mis Fénélon, Bossuet, Massillon, etc. au rang des incrédules. et .....9 un des derniers efforts de la sagacité et de la bonne foi de nos philosophes, qui jouent de leur reste ». Oubliant ainsi qu'on ne se joue pas impunément avec les philosophes; et que, s'ils peuvent de temps en temps passer condamnation sur la bonne foi, ils n'entendent jamais raillerie sur la sagacité.

Après avoir causé tant de rumeurs parmi les philosophes, ces mêmes notes, vues sous d'autres rapports, ont éprouvé d'autres contradictions parmi des hommes tout opposés. Les amis de la religion ont trouvé qu'elles n'étoient pas assez claires, assez fortes, assez propres à effacer l'impression dangereuse de ces opinions même, que M. Laharpe regarde aujourd'hui comme des erreurs : ils regrettent qu'elles ne soient pas plus dignes de sa plume éloquente, et de la cause auguste qu'il défend aujourd'hui. A ce reproche, s'en joint un autre beaucoup plus grave, et malheureusement plus fondé; ils n'ont pas vu sans peine qu'il n'ait pas retranché de sa Correspondance, certaines poésies plus que mondaines, et que désavoue la sainte pudeur du christianisme. Ils ont trouvé dans ce nouvel ouvrage, bien plus que dans son Cours de littérature, des restes du vieil homme. En vain s'efforce-t-il de se justifier, en leur disant qu'il a dû donner au public sa Correspondance en entier ; que sans cette attention, elle ne vaudroit plus rien, ni pour le public, ni pour lui, et que ces lettres n'auroient plus leur caractère originel, ces

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