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croire, et pour être pratiqué avec un grand succès, elle exigeroit plus de talent et de connoissances que la méthode ordinaire ; Fénélon se plaint de ce que ceux qui parloient sans avoir tout écrit ne se préparoient point assez. Certes, il ne vouloit encourager ni cette malheureuse facilité de dire sans agrément et sans force, une foule de choses communes, ni l'art fastueux de délayer une pensée dans une longué abondance de mots, ni ces excès d'une imagination vagabonde, qui toujours dans les catachrèses et les hypotiposes, est bien loin de nourrir l'esprit et de toucher le cœur, ni cette témérité paresseuse qui dédaigne le travail et se produit avec confiance, comine si elle avoit droit de compter sur l'inspiration des prophètes, ni cette médiocrité présomptueuse qui, après de légères études, divague sur le dogmé et la morale, n'approfondit rien, n'apprend rien, et plus d'une fois, faute d'instruction, affoiblit sans le savoir la doctrine chrétienne, ou l'exagère, ce qui n'est pas moins dangereux.

Supposez un prédicateur qui ait fait une étude trèsapprofondie de la religion et de la morale chrétienne, qui soit nourri des livres saints et des plus beaux morceaux des pères de l'église ; un prédicateur qui ait une connoissance suffisante de la langue, cette facilité que donne l'usage et cette science bien sentie du cœur humain, que doit donner le ministère pastoral et la direction des consciences; un prédicateur qui, avant de monter en chaire, a profondément médité son sujet, en a dans sa tête le plan et les principales parties, a écrit des morceaux entiers qu'il sait à-peuprès par cœur, tient comme en réserve des tours, des mouvemens, des comparaisons, des images, des expressions qu'il saura placer à propos : supposez tout

cela, et vous aurez un orateur qui, sans avoir tout écrit et sans réciter tout de mémoire, sera plus naturel, plus vrai, plus éloquent que s'il avoit suivi la méthode commune.

Fénélon a parfaitement senti les inconvéniens de sa méthode; on peut s'en convaincre en le lisant, mais il les croyoit compensés par les avantages; on sait que ce qu'il enseigne dans ses dialogues, il le pratiquoit dans sa cathédrale de Cambray; l'éditeur des Sermons choisis a mis à la fin du volume un tableau figuratif du canevas d'un sermon tracé de la main de Fénélon, et dont l'original existe encore; tout ce qui vient des grands hommes est précieux pour les amateurs, même leurs chiffons; on parcourt avec une respectueuse curiosité tous les linéamens de cette esquisse de Fénélon. Combien d'antiquailles gardées précieusement qui ne valent pas mieux.

Pour toute conclusion, nous dirons que si la méthode de Fénélon est meilleure pour quelques-uns la méthode ordinaire doit être très-généralement conseillée, comme plus facile et plus sûre. Seulement les prédicateurs devroient bien s'habituer à ne pas être tellement esclaves de leur mémoire, que pour l'oubli d'un seul mot ils soient entièrement déconcertés et s'arrêtent tout-à-coup comme des machines qui ne jouent plus parce que le maître ressort est cassé; il est toujours fâcheux d'être obligé de dire avec Massillon: le meilleur de mes sermons est celui que je sais la

mieux.

On ne sauroit trop recommander à ceux qui sont faits pour le ministère de la chaire, de joindre à la lecture de Fénélon celle d'un recueil infiniment précieux qui vient de paroître sous ce titre : Maximes des pères sur la prédication évangélique, suivies d'une

lettre de saint François-de-Sales et des conseils de saint Vincent-de-Paul sur la manière d'annoncer la parole de Dieu. On y trouve un traité complet de saint Augustin sur cette matière ; que de choses profondes et bien senties il renferme !

Tous savent l'art; peu savent les finesses. V.

XXXVIII.

Petit Carême de Massillon.

EN lisant ces grands orateurs de la chaire, avec un

esprit de candeur et de véritable philosophie, il est im possible de ne pas reconnoître qu'une éloquence toute nouvelle est sortie du sein du christianisme. Et si vous cherchez ce que c'est que cette éloquence, et dans quelles idées elle prend sa source, vous y verrez qu'il n'a été donné qu'à elle d'approfondir le cœur humain. L'homme y est montré à lui-même, tel qu'il ne s'étoit jamais vu, avec ce fonds de misère que lui déguisoit son orgueil; avec ce fonds de grandeur qu'obscurcissoit sa corruption. Ce contraste est si bien marqué dans sa nature, que les plus intelligens d'entre les philosophes l'ont entrevu; mais aucun n'a pu en concevoir le principe, ni en pénétrér les conséquences; le christianisme seul l'a fait; et si on veut le bien comprendre, on verra que toute sa doctrine, par une simplicité admirable, se réduit à nous montrer l'homme, livré à luiseul, se précipitant dans une dégradation sans bornes, et cependant, tout défiguré qu'il est par ses crimes, trouvant encore en lui des rapports naturels qui l'unissent à Dieu. Oui, philosophes, des rapports naturels ; car, qu'un abîme incompréhensible de misère, dans

l'homme, soit la cause d'une bonté incompréhensible dans Dieu, c'est ce qui est conforme à la nature de ces deux êtres, l'un souverainement bon, l'autre souverainement misérable. Mais ce rapport nouveau sur lequel se fonde cette société de Dieu avec l'homme, société entretenue par un commerce de bienfaits et de reconnoissance, qui l'avoit enseigné au monde avant le christianisme? Personne. Le christianisme a donc ajouté au génie de l'homme un nouvel ordre d'idées et de sentimens, d'où est née cette éloquence plus qu'humaine qu'on ne trouve point ailleurs.

On en peut convaincre aisément quiconque a les opinions droites et naturelles. Mais on n'entreprendra pas de se faire entendre à ceux qui ont l'esprit ou le cœur assez gâté pour ne voir dans la religion qu'un sujet de moquerie; car le christianisme ne s'accommode point à notre bassesse, en descendant jusqu'à nous, mais il nous accommode à sa grandeur, en nous élevant jusqu'à lui; j'ose dire qu'il faut être aussi mauvais philosophe que mauvais chrétien pour ne pas être frappé de cette majesté de raison avec laquelle la religion instruit le pouvoir. En même temps qu'elle l'appuie de toute son autorité, elle lui montre toute l'étendue de ses devoirs. Elle l'avertit qu'il est institué pour les peuples; et que si c'est un principe qui vient de Dieu, c'est une juste conséquence qu'il ne soit établi que pour le bonheur des hommes. Voilà l'idée que Massillon s'est appliqué à développer dans tout le cours de cet ouvrage ; et il l'a fait avec une mesure de liberté bien remarquable. Rien ne fait mieux voir combien la religion est éloignée d'accorder quelque faveur à la tyrannie. Et si elle se borne à donner des leçons, c'est qu'elle ne pourroit aller plus loin, sans troubler l'ordre. Sa force est dans une raison lumi

neuse; sa liberté, dans une conscience irréprochable. Au-delà commence le règne de la violence dans un empire plein de confusion.

Et où trouve-t-on, ailleurs que dans la prédication évangélique, cette instruction pleine d'autorité qui, s'élevant au-dessus des passions humaines, n'envisage dans la diversité des rangs, que les rapports de devoir; ne considère, dans la société, que l'ordre ; dans chaque état, que l'accomplissement de la volonté de Dieu; inspire à chacun la religion et l'esprit qui lui est propre, et montrant à tous les relations qui les unissent, les embrasse dans un même lien de justice et de bienveillance réciproque? De si belles lumières ont pu être obscurcies un moment par un esprit de vertige et de ténèbres; mais le jour n'est pas loin où le monde ayant à choisir, avec connoissance de cause, entre la philosophie de l'Évangile et celle du Contrat Social, sentira qu'il n'appartient de parler de liberté et d'égalité qu'à cette religion qui marque tous les fronts de la même poussière, et les ceint de la même palme.

L'éloquence de la chaire a deux caractères qui lui sont propres, le sublime et l'onction ; rien ne me paroît, en effet, mériter mieux le titre de sublime, qui signifie grand par excellence, que ce qui nous offre une manifestation éclatante de quelque haute vérité ; car rien n'est plus propre à ravir et à élever notre esprit, ce qui est l'effet naturel du sublime. Or, la religion toute entière est un ordre de vérités très-élevées. Les perfections de Dieu qui s'y montrent dans un jour admirable, offrent à la pensée des considérations qui, lorsqu'elles sont présentées d'une manière vive et lumineuse, sont assurément les plus capables d'étonner l'intelligence humaine, et de fournir à l'élo

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