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Agrippa et à Germanicus que pour s'acquérir de lá gloire par la comparaison qu'on feroit d'un prince arrogant et cruel, comme étoit Tibère, avec son prédécesseur? Car quoique Tacite mette cela dans la bouche des Romains, on ne voit que trop que la réflexion est de lui, aussi bien que celle qu'il fait sur ce que ce même Auguste avoit mis dans son testament, au nombre de ses héritiers, les principaux Romains, dont la plupart lui étoient odieux; qu'il les y ait mis, dis-je, par vanité, et pour se faire estimer des siècles suivans ».

Le père Bouhours, en donnant des principes de naturel et de clarté, a parfaitement défini les défauts opposés. Cette définition du galimatias et du Phébus mérite d'être conservée, parce qu'elle peut en pré

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« Le galimatias, dit-il, renferme une obscurité profonde, et n'a de soi-même nul sens raisonnable. Le Phébus, qui n'est pas si obscur, a un brillant qui signifie ou semble signifier quelque chose : le soleil y entre d'ordinaire, et c'est peut-être ce qui a donné lieu, dans notre langue, au nom de Phebus: Ce n'est pas quelquefois que le Phébus ne devienne obscur, jusqu'à n'être pas entendu ; mais alors le galimatias s'y joint ce ne sont que brillans et que ténèbres de tous côtés ».

Le père Bouhours donne des exemples de Phébus et de galimatias, tirés des orateurs de son temps. Ces exemples très-ridicules, le sont beaucoup moins que ceux que l'on pourroit puiser dans quelques auteurs modernes ; Diderot, sur-tout, en fourniroit un grand nombre. Nous nous bornerons à en citer quelques-uns. En parlant de Thomas, qu'il trouve trop froid dans son Essai sur les Femmes, Diderot

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s'exprime ainsi : « Quand on écrit sur les femmes, il faut tremper sa plume dans l'arc-en-ciel, et jeter sur la ligne la poussière des ailes du papillon ». Il ajoute ensuite : «< Comme le petit chien du pélerin, à chaque fois qu'on secoue la patte, il faut qu'il en tombe des perles; et il n'en tombe pas de celles de Thomas ». Voilà du Phébus, s'il en fut jamais. Veut-on voir du galimatias? « On est, dit l'auteur, naïvement héros, naïvement scélérat, naïvement dévot, naïvement beau, naïvement orateur, naïvement philosophe; sans naïveté, point de vraie beauté : on est un arbre, une fleur, une plante, un animal naïvement. Je dirois presque que de l'eau est naïvement de l'eau, sans quoi elle visera à de l'acier poli et au cristal. La naïveté est une grande ressemblance de l'imitation avec la chose : c'est de l'eau prise dans le ruisseau et jetée sur la toile ». Mais ce galimatias n'approche point d'une définition du beau, par laquelle nous terminerons nos citations. « Le Théorème qui dira que les asymtotes d'une courbe s'en rapprochent sans sans jamais se rencontrer, et que les espaces formés par une portion de l'axe, une portion de la courbe, l'asymtote et le prolongement de l'ordonnée, sont entre eux, comme tel nombre est à tel nombre, sera beau ». Jamais les pédans de Molière ne se sont exprimés d'une manière si extraordinaire. Cet emploi de termes scientifiques dans un sujet purement littéraire, est encore plus ridicule que l'emphase et l'affectation de Trissotin et de Vadius.

cesse,

L'interlocuteur du père Bouhours finit par revenir aux bons, principes de la littérature. Jusque-là, il avoit en quelque sorte méprisé les anciens, et n'avoit accordé son suffrage qu'aux auteurs espagnols et ita liens. Son ami, après l'avoir convaincu de ses erreurs,

ajoute « Vous serez, comme ces gens qui sont détrompés du monde, et qui, dans le commerce de la vie, n'ont pas tant de plaisir que les autres; mais assurez vous que c'en est un grand d'être détrompé ; et ne vous avisez pas d'imiter ce fou qui s'imaginoit être toujours au théâtre et entendre d'excellens comédiens; mais qui, étant guéri de son erreur par un breuvage que ses amis lui firent prendre, se plaignoit de ses amis comme s'ils l'eussent assassiné ».

Les partisans décidés du mauvais goût ont toujours été très-difficiles à persuader : aussi, ce n'est point parmi eux que le père Bouhours a choisi un adversaire. Il a pris un homme empressé de s'instruire, et se défiant beaucoup de lui-même. Il y a loin de ce caractère à celui des sophistes qui jouissent de leurs erreurs, et ne veulent pas en guérir. Quoiqu'ils s'emportent souvent contre les critiques qui cherchent en vain à dissiper leurs illusions, ils n'ont pas à redouter le sort du fou dont parle le père Bouhours, d'après Horace. Qu'ils laissent donc en paix les Aristarques dont ils blâment la sévérité. La critique, ainsi que l'observe le père Bouhours, ne s'adresse qu'à ceux qui sont en état d'en profiter; et si elle ne dédaigne pas de s'appesantir quelquefois sur de mauvais ouvrages, ce n'est point dans l'espoir de corriger les auteurs, mais dans l'intention de prémunir les lecteurs contre la contagion du faux goût.

P.

XXXVI.

Lettres choisies de VOITURE, BALZAC, MONTREUIL, PELISSON et BOURSAULT.

JE dois, en commençant cet extrait, relever quel

ques erreurs échappées à l'auteur du discours préliminaire. Il est fort commun que les commentateurs, les traducteurs et les éditeurs s'enthousiasment pour les écrivains qu'ils ont entrepris de traduire, d'expli quer ou de mettre au jour. La raison en est toute simple: ils cherchent à faire valoir leur besogne; ils ont un grand intérêt à donner une idée avantageuse des ouvrages auxquels ils ont consacré leur temps, leurs études et leurs travaux ; et ils croient pouvoir se permettre ce que les convenances interdisent aux auteurs originaux : ceux-ci craindroient de blesser la modestie et d'alarmer l'envie, en vantant leurs productions, quelque désir qu'ils en aient; les autres se mettent à l'abri de leur auteur, et lui prodiguent des louanges, dont ils prétendent bien qu'une partie rejaillisse sur eux-mêmes. L'amour propre des éditeurs et des commentateurs est le plus heureux des amours propres rien ne le contraint. On leur pardonne les éloges qu'ils se donnent, parce qu'ils ont l'air de ne louer que l'écrivain dont ils se sont occupés.

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L'éditeur de ces lettres, profitant de ce privilége, exalte, outre mesure Voiture et Balzac il fait son métier; mais il ne prétend pas sans doute nous donner ses jugemens pour des oracles; à l'entendre, Voltaire a eu tort de dire que les Lettres provinciales sont le premier modèle qui ait paru en prose,

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dans notre littérature, et avant lequel il ne faut rien chercher d'irréprochable; il attribue ce jugement de Voltaire à sa haine contre les Jésuites, et il ne craint pas d'avancer que Balzac et Voiture avoient fourni d'excellens modèles avant Pascal. Pour moi, je ne crois pas que ce soit l'amour que l'éditeur peut avoir pour les Jésuites, qui lui ait inspiré cette opinion, mais seulement l'intérêt qu'il prend à son édition. Și Voiture et Balzac, dit-il, bien plus. anciens auteurs que Pascal, ont moins de renommée, cela tient à d'autres causes qu'à leur style et à leur temps. Il se trompe cela tient précisément à ces causes mêmes; cela tient à leur temps, parce qu'à l'époque où ils ont écrit, il régnoit un goût détestable de faux bel esprit, d'affectation, de pointes, de concetti, de pensées exagérées, alambiquées et recherchées, qu'on retrouve dans tous les écrivains contemporains; cela tient à leur style, parce qu'il s'est merveilleusement conformé à ce goût, parce qu'il en est l'image et l'expression la plus exacte. « C'est donc, ajoute l'éditeur, rendre service aux lettres que de redonner naissance à ces deux écrivains célèbres sous Louis XIII, et faits pour l'être toujours ». J'affirme que ce n'est point du tout rendre service aux lettres, parce que les bons temps de notre littérature nous ont fourni assez de modèles qu'on lit trop peu, sans qu'il soit nécessaire d'aller chercher des modèles, pour le moins douteux, dans des temps où le goût étoit loin de la perfection à laquelle il est parvenu depuis.

On voit que l'éditeur voudroit bien que son recueil fût mis à côté de celui des lettres de madame de Sévigné : « On étale, dit-il, et on multiplie sans relâche les recueils précieux de madame, de Sévigné et de quelques autres femmes illustres; c'est offrir aux

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