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chansons de Coulange devenoient fades. La conversation étoit continuellement remplie de louanges excessives données au roi, et de traits indirects dont le but étoit de lui insinuer qu'une favorite doit protéger les lettres, et servir ses amis avec chaleur. Madame de Maintenon ne recueilloit plus dans cette société si intime que des leçons intéressées, artificieuses, et des flatteries. Elle avoit déjà fait donner une pension considérable à mademoiselle de Scudéry, des bénéfices simples à l'abbé Têtu, et la promesse de l'ambassade d'Angleterre à Barillon. Néanmoins ces mêmes personnes, ainsi que les autres, lui demandoient chaque jour des entretiens particuliers ; et c'étoit uniquement pour lui confier des prétentions souvent extravagantes, et pour la surcharger de placets et de mémoires. Ses objections les plus simples et les plus justes étoient prises pour de la mauvaise volonté et de l'ingratitude; et quand elle promettoit de faire ce qu'on désiroit, elle voyoit clairement qu'on lui en savoit peu de gré, car on avoit l'idée ridicule que dans sa situation il lui suffisoit presque de dire un mot pour obtenir ce qu'elle demandoit. C'est ainsi que la faveur procure peu d'amis nouveaux, refroidit les anciens, et fait beaucoup de mécontens, parce qu'on la confond toujours avec la suprême puissance; chose pourtant qui n'existe pas pour les favoris même des princes les plus foibles et les plus faciles à

mener ».

Cette réflexion est très-juste; mais pour que le public se persuade que les princes ne laissent jamais prendre sur eux un entier ascendant, il faudroit rencontrer des favoris et des ministres ayant assez de bonne foi pour convenir eux-mêmes que leur crédit a des bornes; et si l'on ne croyoit pas madame de Maintenon lorsqu'elle le disoit, c'est qu'on devoit regarder

une franchise si nouvelle comme une grande preuve de finesse.

A peine nous reste-t-il assez de place pour dire que cet ouvrage est excellent ; que la difficulté de présenter l'amour entre deux personnes âgées y est surmontée avec beaucoup d'art; que le livre est vraiment moral, puisque les passions ni dominent pas; et qu'enfin madame de Genlis a prouvé deux choses extrêmement consolantes: La première, que rien n'est plus habile qu'une conduite irréprochable; la seconde, que sous un prince qui gouverne par lui-même, on peut conserver l'indépendance de son caractère, parce que les ennemis que cette indépendauce attire nécessairement ne sont jamais redoutables.

F.

XXVII.

Notice sur madame DE LA ROCHEFOUCAULT.

L'ATTENTION, Monsieur, que vous avez à rendre

hommage à la mémoire des morts, non-seulement de ceux qui ont brillé par leurs talens, mais encore de ceux qui se sont distingués par leurs vertus, me porte à croire que vous vous ferez un devoir d'annoncer la mort de madame Anne-Rosalie de la Rochefoucault, fille de l'ancien garde-des-sceaux Chauvelin, et connuę, avant la révolution, sous le nom de vicomtesse de la Rochefoucault. Péu de femmes de notre temps ont acquis plus de droits à l'estime et au respect de tous les amis de la vertu ; peu ont aimé le bien avec plus d'ardeur, et l'ont fait avec moins de faste. Modeste et simple sans penser à l'être, et bonne sans songer même qu'on pût ne l'être pas, elle fit le bonheur de tout ce

qui l'entouroit, de tout ce qui lui appartenoit. L'amitié la plus tendre l'unissoit à ses sœurs; et comme si la mort même n'avoit pu les séparer, peu de mois les ont vues se suivre toutes trois au tombeau. Fille respectueuse, elle fut encore femme exemplaire et mère excellente. Sensible pour tous les malheureux comme pour ses amis, on la vit s'oublier toujours elle-même pour ne vivre que dans autrui. Quoiqu'un peu froide par caractère et délicate par tempérament, dès qu'il s'agissoit d'un service à rendre ou d'une action de bienfaisance à pratiquer, elle se trouvoit des moyens qu'on ne lui connoissoit pas, qu'elle ne se connoissoit pas elle-même; et la femme la plus foible en mêmetemps que la plus calme, égaloit alors la femme la plus forte et la plus active.

Ce n'est point ici un de ces éloges sollicités par l'amitié, ou tracés par une aveugle prévention, que trop souvent la faveur laisse introduire dans les écrits publics: c'est une justice que lui rendent de concert tous ceux qui l'ont connue, tous les siens, tous les pauvres qu'elle secourut, et ses serviteurs même, dont elle étoit la mère bien plus que la maîtresse : c'est ce qui est écrit en caractères beaucoup plus énergiques que toutes les paroles, sur les murs même de l'hospice de Montrouge, dont, en 1781, elle provoqua l'établissement par son zèle, et dont elle assura l'existence par ses bienfaits. Affligée de voir des prêtres et des officiers malades, réduits à la triste nécessité de se faire soigner à l'Hôtel-Dieu, elle s'empressa de leur procurer un asile où leur seroient rendus tous les secours de l'humanité, avec tous les égards dus à leur état ainsi qu'à leurs services. Les difficultés qu'elle éprouva d'abord ne la rebutèrent pas. Elle intéressa avec autant de zèle que de persévérance toutes les

ames honnêtes et sensibles; elle mit à contribution l'éloquence d'un prédicateur célèbre; elle fit ellemême dans la capitale une quête qui rapporta cent cinquante mille francs, et ne se donna enfin aucun relâche qu'elle n'eût vu achever ce monument précieux, qui subsiste encore aujourd'hui, et qui, quoique employé à une autre destination, n'en atteste pas moins la bienfaisance et la piété qui l'élevèrent. On y conserve encore son portrait: tant étoit grand le respect que l'on avoit pour ses vertus, que l'on a craint, ce semble, d'y toucher, dans ces temps même où l'ingratitude en délire blasphémoit tous les noms et prcscrivoit tous les emblêmes qui sembloient commander la reconnoissance!

à

Nous ne rappellerons point ici tout ce qu'elle eut à souffrir dans ces temps déplorables, ni les plaies faites son cœur, ni le renversement de toute sa fortune, ni la mort d'une fille chérie et digne de l'être, madame d'Urtal, qui périt sur l'échafaud révolutionnaire, ni les angoisses de sa longue détention, ni tous les malheurs qu'elle a eus de commun avec tant d'autres : mais ce qui la distingue éminemment de tant d'autres, c'est sa patience inaltérable, son héroïque résignation, et son courage plus grand encore que ses épreuves. Elles ne purent cependant qu'altérer une santé déjà si foible par elle-même : des maladies continuelles l'assaillirent tour-à-tour, et précipitèrent la fin d'une vie toute chrétienne, qu'elle a terminée presque subitement. Sa mort a donc été douce, comme sa vie a été pure, et il semble que le ciel, pour récompenser sa piété ; ait voulu lui épargner les horreurs de l'agonie. Mais une récompense plus digne d'elle, c'est de s'être vue survivre dans une famille respectable qui, par la noblesse de ses sentimens et la simplicité de ses

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mœurs, semble se reporter toujours vers les siècles antiques d'où elle tire son origine; et sur-tout dans un fils (M. Doudauville), digne en tout d'une telle mère, et l'époux d'une femme accomplie, qui réunit à tous les charmes de la vertu, tous les charmes de la beauté.

Le foible tribut d'éloges que nous payons ici à madame de la Rochefoucault, est bien moins encore pour la consolation de ses amis ou de ses proches, que pour l'instruction et l'encouragement de tous les gens de bien; il est fait sur-tout pour réveiller l'indifférence de ce siècle frivole, qui, emporté dans un tourbillon de plaisirs ou d'affaires, ne s'aperçoit pas de la disparition des ames charitables, des pertes successives que font les malheureux, et de ce vide immense que la mort agrandit chaque jour dans la classe des gens de bien. Il est affreux de le penser, mais nécessaire de le dire la postérité des justes s'éteint encore quelques années, et tous les modèles des anciennes mœurs, et tous les grands exemples de piété auront disparu parmi nous. Nous vivons encore sur les restes, et pour ainsi diré des débris de la génération qui passe; mais la génération qui arrive, que nous donnera-t-elle, et que nous promet-elle? Qui nous rendra sur-tout ces femmes généreuses, qui, placées comme madame de la Rochefoucault aux premiers rangs de la société, et n'ayant plus de considération à obtenir du côté des honneurs, la mettoient toute dans les bonnes œuvres ; ces femmes profondément chrétiennes, qui, unissant un grand pouvoir à une grande opulence, employoient l'un et l'autre au secours des infortunés? Sera-ce nos savantes métaphysiciennes, nos dévotes à l'humanité, nos pélerines d'Hermenonville ou de Ferney, nos maniaques sentimentales, qui croyent connoître le sublime de la vertu, parce qu'elles en connoissent le

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