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Ceux qui ont comparé madame de Maintenon à Esther, n'ont peut-être pensé qu'à flatter son amourpropre; mais ils ont donné une juste idée de ses imœurs et de son histoire. Jamais la flatterie n'a plus approché de la vérité. Cette femme, vraiment forte, in'a cessé de soupirer au milieu des grandeurs, et ses soupirs sont aussi vrais qu'éloquens. « Que ne puis-je, écrit-elle à madame de la Maisonfort, vous faire voir ll'ennui qui dévore les grands, et la peine qu'ils ont à remplir leurs journées! Ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu'on auroit eu peine à imaginer, et qu'il n'y a que le secours de Dieu qui m'empêche d'y succomber? J'ai été jeune, j'ai goûté des plaisirs, j'ai été aimée, j'ai passé des années clans le commerce de l'esprit, je suis venue à la faveur, et je vous proteste, ma chère fille, que tous les états laissent un vide affreux, une inquiétude, une Lassitude, une envie de connoître autre chose, parce qu'en tout cela rien ne satisfait entièrement. On n'est en repos que lorsqu'on s'est donné à Dieu, mais avec cette volonté déterminée dont je vous parle quelquefois. Alors on sent qu'il n'y a plus rien à chercher, et qu'on est arrivé à ce qui seul est bon sur la terre. On a des chagrins, mais on a aussi une solide consolation, et la paix au fond du cœur au milieu des plus grandes peines ».

Cette lettre, et une foule d'autres du même style, prouvent que madame de Maintenon s'étoit réellement sacrifiée en épousant le premier prince de l'univers. Tant de grandeur ne put remplir le cœur d'une femme pieuse qui étoit née dans la misère. Quelle leçon pour ceux à qui un moment de faveur fait tourner la tête ! Madame la duchesse de Chaulnes, l'amie de madame de

Sévigné, s'écrioit, en voyant madame de Maintenon dans la splendeur de Versailles : Jour de Dieu! l'heureuse femme! Elle ne savoit guère ce qui se passoit dans le cœur de cette femme dont elle envioit la fortune. « Ceux qui envient ma-destinée, disoit-elle, nè savent pas que j'envie la leur ». Elle auroit pu se demander: Pourquoi suis-je là? si sa conscience ne lui avoit répondu qu'elle ne s'y s'y étoit pas mise elle-même. Un jour le maréchal de Créqui prit à part l'abbé Testu, et lui dit : Or ça, Monsieur, parlons de cette fortune-là. Il faut que cette femme ait bien de l'esprit pour avoir imaginé au coin de son feu un projet si brillant et si bien conduit. « Il ne manque qu'une chose à ce beau projet, dit madame de Maintenon, c'est què j'y aie jamais pensé. Oh! non assurément, je ne mé suis pas mise où je suis. Je ne l'aurois ni pu, ni voulu. Mais voilà comme les hommes jugent! » Elle dit ailleurs : «< On ne le croira pas; mais je suis où vous me voyez sans y avoir tendu, sans l'avoir désiré, sans l'avoir espéré, sans l'avoir prévu ». Il y a là un caractère de bonne foi qui est évident pour tout homme qui connoît le monde. Tant qu'on n'y réussit point, on se fait gloire de n'avoir aucun projet ; mais lorsqu'on est arrivé à ses fins, qui est-ce qui ne s'attribue pas quelque chose de sa fortune? Quelle vraie philosophie que celle qui mettoit madame de Maintenon audessus même d'une vanité si naturelle et si délicate! Qui pouvoit l'empêcher de se laisser attribuer de la prévoyance, des desseins, de la force d'esprit, avec des vues légitimes, si ce n'est la vérité et la candeur de son ame? Sa gloire, il faut l'avouer, est d'une espèce bien extraordinaire; et si l'on est forcé de reconnaître qu'elle n'a employé à la cour d'autre habileté que celle d'une conduite irréprochable et d'une piété

sincère, sa fortune est le plus bel éloge de Louis XIV, je dirois même de la vertu.

La manière dont elle parvint aux grandeurs, prouva qu'elle en étoit digne; et la manière dont elle les posséda, fit voir qu'elle étoit bien au-dessus d'elles. C'est l'abrégé de toute sa vie. Les plaintes qu'elle répandoit tous les jours dans le sein de ses filles bien aimées de Saint-Cyr, ne venoient pas de cet ennui vague qu'on éprouve dans toutes les conditions, mais d'une connoissance vraie des contraintes attachées au rang suprême. On en peut juger par la description qu'elle a faite d'une de ses journées; description où l'on trouve des détails si vrais et si curieux, mais dont je ne rapporterai cependant que la fin. Après avoir parlé des visites de la matinée, du travail des ministres dans sa chambre, du cercle des princes et des princesses, et des dîners et des soupers; elle ajoute :

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« Je suis contrainte, comme vous voyez, depuis six heures du matin, et bien lasse. Le roi s'en aperçoit, et me dit Vous n'en pouvez plus, Madame, n'est-ce pas ? Couchez-vous. Mes femmes viennent; mais je sens qu'elles gênent le roi qui causeroit avec moi, et qui ne veut point causer devant elles; ou bien il y a encore quelques ministres, et il a peur qu'elles n'entendent: de sorte que je me dépêche pour me déshabiller, souvent jusqu'à m'en trouver mal. Enfin, me voilà dans le lit. Je renvoie mes femmes. Le roi s'approche, et demeure à mon chevet jusqu'à ce qu'il aille souper; mais un quart d'heure avant le souper, M. le dauphin, M. le duc et madame la duchesse de Bourgogne rentrent encore chez moi. A dix heures, à dix heures et un quart, tout le monde sort. Alors je suis seule, et prends les soulagemens dont j'ai besoin ; mais souvent les fatigues de la jour

née m'empêchent de dormir. Or, dites-moi si le sort de Jeanne Brindelette d'Avon n'est pas préférable au mien? »

Quelle peinture que ce dernier trait, et quelle vérité? Ce qui distingue l'esprit de madame de Maintenon, c'est la solidité et la justesse : son style étoit formé par le bon sens. Il est si plein de raison, de goût et de décence, qu'on peut dire que c'est avoir beaucoup profité que d'y trouver de l'agrément. Je ne crains pas d'avancer qu'il est plus classique que celui de madame de Sévigné : s'il est moins étincelant d'imagination et de gaîté, la pureté et la correction qui le distinguent sont accompagnées de tant de grace, qu'elles semblent moins des qualités acquises que des dons naturels.

Je dirai, en finissant, qu'il s'en faut de beaucoup que toutes les parties de ce recueil soient également intéressantes. Tout ce que je puis faire pour épargner au lecteur la peine et l'ennui qui sont inséparables de la lecture de six volumes de lettres, c'est de l'avertir de se défier en général de celles qui sont adressées à des gens en place, quoiqu'il y en ait plusieurs d'extrêmement curieuses. On doit cependant louer l'éditeur de tous les soins qu'il a pris pour compléter ce recueil, et j'ai vérifié par moi-même que les lettres inédites dont il l'a enrichi, ont été fidellement copiées sur les manuscrits de madame de Main

tenon.

น.

XX V I.

Madame DE MAINTENON, pour servir à l'histoire de la duchesse DE LA VALLIÈRE, par madame DE GENLIS.

SI, dans les ouvrages littéraires, on ne cherchoit que le talent, indépendamment des principes moraux et du jugement porté sur les hommes célèbres, je concevrois sans peine les personnes qui ne veulent admettre aucune distinction entre les auteurs du dix-septième siècle et les écrivains du siècle suivant. Comme on ne prouve pas le goût, il seroit en effet ridicule de vouloir que tout le monde sentît au même degré toute la différence qu'il y a entre Racine et Voltaire, Vertot et Raynal, Pascal et d'Alembert. Mais c'est réduire la littérature au rang des arts frivoles, que de la considérer seulement par l'agrément qu'elle procure; c'est la mettre dans la même classe que la musique qui, faite uniquement pour flatter l'oreille, ne produit pas le même effet dans tous les temps, sur tous les hommes, et varie sans cesse, sans qu'on puisse en donner d'autre motif, sinon que ce qui se borne à plaire doit toujours avoir un air de nouveauté. La littérature, selon la juste définition de M. de Bonnal, étant l'expression de la société, il est aisé de comprendre pourquoi les partisans du siècle de Louis XIV ne peuvent s'accommoder des littérateurs du siècle suivant, puisque la société, à ces deux époques, a eu des principes entièrement opposés. Ainsi une querelle qui, en apparence, repose sur un goût plus ou moins délicat, embrasse réellement les grands intérêts de la morale et de la politique.

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