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lement dans le costume de la matière, mais aussi dans le costume de l'intelligence (1), et de ne pas soigner assez cette bizarre toilette, pour se donner, comme M. Laharpe, un air de constance et de fermeté. Eh! citoyens, croyez-moi, soyez toujours franchement athées, c'est là le rôle qui vous convient. Vous avez tant de grace à louer la belle mort de Sylvain Maréchal, auteur du Dictionnaire des Athées, et d'autres ouvrages où respire le plus pur athéisme! Il y a un air si naturel dans vos éloges! on voit que vous parlez là d'un frère et ami.

Permettez-moi de vous avertir encore d'une petite contradiction : vous prétendez que Laharpe, dans son testament, demande pardon à Dieu de l'avoir doue d'une forte dose de sens commun pendant les trois premiers quarts de sa vie. Je ne vous remarquerai pas que d'après la construction de votre phrase, il sembleroit que c'est Laharpe qui a doué Dieu d'une dose de sens commun. Je n'y regarde pas de si près avec vous; mais observez que vous avez dit plus haut Laharpe n'avoit jamais été véritablement philosophe. Or, comment peut-on avoir une dose de sens commụn, lorsqu'on n'est pas véritablement philosophe ?

que

Vous reprochez à ce pauvre Laharpe de n'avoir sou haité à sa patrie que la paix, la tranquillité, le repos, la quiétude, etc. Ce souhait ne me paroît pourtant pas mauvais. Mais, dites-vous, il n'a pas ajouté la liberté, Ah! c'est vraiment dommage. Mais que voulez-vous,

(1) Comme il n'est pas donné à tout le monde d'entendre ces belles choses, je remarquerai que, dans le style de ces citoyens, varier dans le costume de la matière, c'est changer les sales habits du sans-culotisme, contre des habits parfumés et recherchés ; et varier dans le costume de l'intelligence, c'est varier dans ses opinions.

on ne pense pas à tout, sur-tout dans un pareil moment. On pourroit, d'ailleurs, vous répondre que lorsqu'on souhaite le bonheur de sa patrie, on comprend dans ce souhait la dose de liberté qui lui convient; on pourroit encore ajouter qu'on a tellement abusé de ce mot de liberté, que ceux qui aiment le plus la chose, redoutent encore le mot. Mais je sens que toutes ces réponses ne vous satisferont pas, et que vous êtes bien décidé à n'appeler une belle mort que celle où le mourant, après s'être écrié guerre aux tyrans, paix aux chaumières, aura souhaité aux malheureux qui lui survivent la liberté, l'égalité, la fraternité ou la

mort.

A.

XIV.

Sur un Discours prononcé à l'Académie française, le 15 ventose de l'an XIII, pour la réception de M. Lacretelle, à la place de M. Laharpe.

PARMI les nombreux discours académiques que nous possédons, il en est quelques-uns qui, par l'utilité de l'objet, la profondeur des idées et l'agrément du style, s'élèvent au-dessus de l'ordre commun des productions de ce genre, et peuvent être regardés comme d'excellens ouvrages; mais ils sont rares, et le public qui n'a pas le droit de fonder ses espérances sur des choses extraordinaires et des merveilles, et qui a la justice de ne compter que sur ce qu'il a le droit d'attendre, n'espère trouver dans le discours de réception d'un nouvel académicien, qu'un langage pur et correct, un style élégant et harmonieux, des idées justes exprimées avec noblesse, et sur-tout avec clarté : voilà tout ce qu'il exige, voilà tout ce qu'il attend. M. Lacretelle

a trompé des prétentions aussi justes, des espérances aussi bornées.

Si cet espoir étoit d'autant plus légitime qu'il étoit calculé sur une base assez sûre, et d'après un grand nombre de probabilités, c'est-à-dire, d'après la grande majorité des discours académiques, que sera-ce d'une autre espérance bien mieux fondée encore, puisqu'elle l'étoit sur l'universalité absolue de ces discours? En effet, jusqu'ici tous les récipiendaires, sans aucune exception, avoient fait un éloge franc et loyal de leurs prédécesseurs; ils avoient insisté avec une sorte de complaisance, et quelquefois même d'exagération louable en cette occasion, sur ce qu'il y avoit de bon dans leurs ouvrages; ils avoient dissimulé, ou même excusé ce qu'on y trouvoit de foible et de répréhensible; ils avoient oublié les défauts personnels de leurs prédécesseurs pour ne s'occuper que de leurs bonnes qualités. On n'attendoit point d'un homme qui, succédant à un académicien, profitoit pour ainsi dire de sa dépouille littéraire, une justice sévère et impartiale. L'usage, la convenance, toutes les bienséances sociales semblent exiger que parlant d'un homme dont la perte est encore récente, d'un homme que l'on remplace, parlant au milieu de ses anciens confrères, dont la plupart furent sans doute ses amis, on témoignė à sa mémoire une justice bienveillante, une sorte de culte religieux. Le public s'attendoit à lire l'expres→ sion de ces sentimens dans le discours du successeur de M. Laharpe; M. Lacretelle a encore trompé cet espoir.

Enfin, il est naturel de présumer d'autant mieux d'un ouvrage, qu'il a été médité plus à loisir, et que l'auteur ne peut donner, pour excuse des défauts qu'il y auroit laissé subsister, la rapidité du travail. Or,

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deux ans se sont écoulés entre la nomination de M. Lacretelle et sa réception, un mois entre sa réception et l'impression de son discours; de sorte qu'après avoir désespéré de l'entendre, on a presque désespéré de le voir imprimer. Que de temps pour le travailler, le polir, le corriger! Que ne devoit-on pas attendre de tant de soins, de travail, de réflexions! M. Lacretelle a encore trompé tant d'espoir, et son discours n'en est pas meilleur pour avoir été si longtemps attendu.

Le commencement de ce discours est une sorte de lieu commun sur les révolutions, dans lequel M. Lacretelle, après avoir pesé leurs avantages et leurs inconvéniens, semble croire que la révolution française a été utile aux sciences, aux arts, à l'académie. Après avoir pris le parti du louvre contre les rois, « il reçut, dit-il, les académies à leur naissance, mais successivement et comme quatre empires qui se posoient à côté l'un de l'autre, sans avoir déterminé ni ce qui pouvoit les unir ni ce qui pouvoit les séparer; ils forment aujourd'hui une auguste fédération..... chacune des académies s'agrandit et se perfectionne par l'Ins`titut qui les rassemble ». C'est au temps à déterminer ce que ces quatre empires peuvent gagner à s'être fondus dans un seul, mais j'observerai à M. Lacretelle que lorsqu'ils se posoient à côté les uns des autres, on connoissoit parfaitement leur ligne de démarcation et leurs rapports ; c'étoient des empires qui avoient aussi leurs limites naturelles, et on n'avoit pas attendu M. Lacretelle pour les assigner.

La destination de l'académie, continue l'orateur, « s'étoit perdue dans son origine même, elle s'est reproduite dans le génie du second fondateur, et cela seul atteste qu'elle est une acquisition éternelle. Attendons

cette pensée de Bonaparte, à l'organisation savante et libérale que lui doit l'Empereur des Français; attendons la fructification de ce germe qui renferme peutêtre une des gloires du dix-neuvième siècle ». J'ai fait de pénibles efforts pour entendre cette phrase, mais ils ont été bien inutiles.

Après cet exorde lourd, diffus, incohérent, mal pensé et mal écrit, M. Lacretelle arrive à ce qu'il appelle l'éloge de Laharpe; et, selon l'usage, il a trop de choses à dire, et trop peu de temps pour les dire, trop de matière et pas assez d'espace; mais une vue ́est venue à son secours, et cette vue concilie tout: elle consiste à esquisser ici M. Laharpe, et à le reprendre une autre fois tout entier, à l'exemple de ces illustres capitaines qui ne pouvant dans une attaque accomplir leur combinaison guerrière, divisent la bataille pour doubler la victoire. M. Lacretelle a donc aussi divisé son éloge qu'il compare très-naïvement à une attaque, afin de doubler sa victoire; mais s'il faut juger de la seconde par la première, sa combinaison guerrière sera fort mal accomplie, et ne le fera point mettre au rang des illustres capitaines.

En attendant que M. Laharpe soit repris tout entier, on nous le représente dans son esquisse, comme écrivant sous la gloire de Voltaire, Montesquieu, Rousseau, de ces quatre hommes qui mirent à distance tout leur siècle; mais il n'eut rien de commun avec ces quatre hommes. C'est avec Lamothe qu'il a un grand rapport. On a raison de dire qu'on ne se connoît pas soi-même; car assurément Laharpe ne se doutoit guère de ce rapport.

Après avoir porté sur les divers ouvrages de M. Laharpe des jugemens quelquefois vrais, souvent faux et toujours mal exprimés; après nous avoir dit élé

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