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révolutionnaire, parce que cette littérature étant née pendant le silence de la critique, et au milieu du bruit de toutes les passions, n'a pas encore été entièrement appréciée : « La révolution, qui offrira quelque jour de grands sujets, écrivoit-il en 1790, et ouvrira de nouvelles routes au talent, n'a encore fourni que de misérables ressources à la médiocrité, qui s'empresse d'autant plus de s'emparer de tout, qu'elle ne sait tirer parti de rien. Des barbouilleurs courent après ces sujets qui prêtent à la liberté de penser, et qu'elle seule permet de traiter; mais ils ne songent pas que la liberté de penser et d'écrire n'en donne pas la faculté. Ainsi l'on vient de mettre au Théâtre-Français et à celui des Variétés l'horrible aventure de la famille Calas; les auteurs, comme on s'en doute bien, ne sont embarrassés ni de la difficulté de mettre un procès criminel sur la scène, ni des moyens de tempérer l'horreur du sujet ; ils n'y ont vu que la misérable facilité de déclamer contre le fanatisme et contre notre ancienne jurisprudence, et de flatter la multitude aux dépens des prêtres et des parlemens : c'est aujourd'hui le pont aux ânes. Les deux pièces, quoique détestables de tout point, ont été applaudies mais aussi, quoiqu'applaudies elles ont été abandonnées dès la seconde représentation, sur-tout celle des Français; il est vrai que c'est encore la plus mauvaise des deux. L'auteur, M. Laya, qui avoit déjà donné les Dangers de l'Opinion, drame extrêmement médiocre et très-mal conçu, a imaginé, dans son Calas, de faire du capitoul David un franc scélérat, suborneur de témoins, et digne de la corde : c'étoit dénaturer le sujet ; on peut juger par ce seul trait de la force d'un auteur ».

:

J'ai cité beaucoup, dans les deux extraits que j'ai

fait de ces lettres, non pour le plaisir d'humilier quelques auteurs, mais pour l'intérêt de l'art : j'ai cru que l'autorité d'un critique tel que M, Laharpe, et d'un critique auquel on ne peut du moins adresser ici ce reproche banal d'esprit de parti, que prodiguent les auteurs qui n'ont réussi que par l'esprit de parti, seroit un poids dans la balance : vous vous plaignez amèrement, peut-on leur dire, des jugemens que l'on porte aujourd'hui de vos talens et de vos productions; vous les taxez d'injustice et de partialité ; vous voulez même accuser d'ignorance ceux qui vous jugent; mais récuserez-vous le littérateur le plus éclairé de votre siècle? Que dit-on qu'il n'ait dit lui-même? Est-il injuste par esprit de parti, celui qui méprisoit vos ouvrages en partageant vos opinions? Y.

XII.

Discours prononcé par M. de Fontanes, devant l'Institut, aux funérailles de M. Laharpe.

Les lettres et la France regrettent aujourd'hui un poète, un orateur, un critique illustre. Laharpe avoit à peine vingt-cinq ans, et son premier essai dramatique l'annonça comme le plus digne élève des grands maîtres de la scène française. L'héritage de leur gloire n'a point dégénéré dans ses mains; car il nous a transmis fidèlement leurs préceptes et leurs exemples. Il loua les grands hommes des plus beaux siècles de l'éloquence et de la poésie, et leur esprit, comme leur langage, se retrouva toujours dans les écrits d'un disciple qu'ils avoient formé. C'est en leur nom qu'il attaqua, jusqu'au dernier moment, les fausses doc

trines littéraires; et dans ce genre de combat, sa vie entière ne fut qu'un long dévoûment au triomphe des vrais principes. Mais si ce dévoûment courageux fit sa gloire, il n'a pas fait son bonheur. Je ne puis dissimuler que la franchise de son caractère et la rigueur impartiale de ses censures, éloignèrent trop souvent de son nom et de ses travaux la bienveillance et même l'équité. Il n'arrachoit que l'estime où tant d'autres auroient obtenu l'enthousiasme. Souvent les clameurs de ses ennemis parlèrent plus haut que le bruit de ses succès et de sa renommée. Mais à l'aspect de ce tombeau, tous les ennemis sont désarmés. Ici les haines finissent et la vérité seule demeure.

Les talens de Laharpe ne seront plus, enfin, contestés. Tous les amis des lettres, quelles que soient leurs opinions, partagent maintenant notre deuil et nos regrets. Les circonstances où la mort le frappe rendent sa mort encore plus douloureuse. Il expire dans un âge où la pensée n'a rien perdu de sa vigueur, et lorsque son talent s'étoit agrandi dans un autre ordre d'idées, qu'il devoit aux spectacles extraordinaires dont le monde est témoin depuis douze ans. Il laisse malheureusement imparfaits quelques ouvrages dont il attendoit sa plus solide gloire, et qui seroient devenus ses premiers titres dans la postérité. Ses mains mourantes se sont détachées avec peine du dernier monument qu'il élevoit. Ceux qui en connoissent quelques parties, avouent que le talent poétique de l'auteur, grâces aux inspirations religieuses, n'eut jamais autant d'éclat, de force et d'originalité.

On sait qu'il avoit embrassé avec toute l'énergie de son caractère, ces opinions utiles et consolantes sur lesquelles repose tout le système social; elles ont enrichi non-seulement ses pensées et son style de beautés nou

velles, mais elles ont encore adouci lès souffrances de ses derniers jours. Le Dieu qu'adoroient Fénélon et Racine a consolé, sur le lit de mort, leur éloquent panégyriste et l'héritier de leurs leçons. Les amis, qui l'ont vu dans ce dernier moment où l'homme ne déguise plus rien, savent quelle étoit la vérité de ses sentimens ; ils ont pu juger combien son cœur, en dépit de la calomnie, renfermoit de droiture et de bonté. Déjà même des sentimens plus doux étoient entrés dans ce cœur trop méconnu, et si souvent abreuvé d'amertumes. Les injustices se réparoient. Nous étions prêts à le revoir dans ce sanctuaire des lettres et du goût, dont il étoit le plus ferme soutien ; lui-même se félicitoit n'aguères encore de cette réunion si désirée; mais la mort a trompé nos vœux et les siens, Puissent au moins se conserver à jamais les traditions des grands modèles qu'il sut interprêter avec une raison si éloquente! Puissent - elles, mes chers confrères, en formant de bons écrivains qui le remplacent, donner un nouvel éclat à cette Académie française qu'illustrèrent tant de noms fameux depuis cent cinquante ans, et que vient de rétablir un grand homme, si supérieur à celui qui l'a fondée !

L.

XIII.

Reflexions sur le même sujet.

LA secte prétendue philosophique a toutes les

pas

sions du fanatisme : esprit ardent de prosélitisme, haine furieuse contre ceux qui abandonnent sa livrée, désertent ses drapeaux. Si surtout quelque homme célèbre, désabusé des dangereux principes qu'elle

prêche, effrayé des funestes conséquences qu'on en tire, abjure les uns et gémit sur les autres, en les détestant; vous voyez aussitôt les adeptes acharnés contre lui, le traiter comme un renégat, donner à sa conduite les interprétations les plus absurdes, appeler des noms les plus odieux cette fermeté courageuse qui lui fait désavouer ses erreurs passées, et les expier par la profession franche et ouverte de nouveaux sentimens et de principes plus purs; enfin, comme rien n'est plus aisé que la calomnie, sur-tout lorsqu'on se soucie fort peu d'y garder aucune mesure, aucun caractère de vraisemblance, vous les voyez calomnier ses intentions, ses motifs, sa bonne foi : ils dénaturent tout, ils corrompent tout, ils empoisonnent tout, semblables à ces harpies dont le soufle impur ou l'odieux contact infectoit tous les objets dont elles approchoient.

M. Laharpe méritoit les honneurs de cette persé cution et de cette intolérance philosophiques. Attaché pendant trente ans au char de la philosophie, il a travaillé de tous ses moyens à le renverser, pendant les dix dernières années de sa vie. L'immoralité profonde que les sages du dix-huitième siècle avoient introduite dans toutes les classes de la société, en prêchant l'oubli ou le mépris de tous les devoirs, de tous les principes religieux; l'aspect de la France livrée à des bourreaux, déshonorée par des excès féroces; des réflexions sur lui-même et sur tant d'autres victimes des systèmes philosophiques; voilà, aux yeux de tout homme raisonnable, de tout homme qui n'est aveuglé par aucune passion, des motifs humains suffisans pour ab→ jurer une doctrine dont les résultats étoient si funestes, et pour adopter celle qui, indépendamment de tant d'autres preuves de vérité, étoit la plus propre à y remédier pour le présent,et à en préserver pour l'avenir;

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