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MÉMOIRES

DE

PHILIPPE DE COMINES.

I. C. D. M., T. IV.

La notice suivante sur Comines est l'ouvrage de M. Frédéric Boissière, agrégé d'histoire, professeur au Collége Rollin. Ce travail, où la connaissance précise des faits se mêle à un remarquable esprit philosophique, a été l'œuvre dernière d'un jeune homme qui promettait d'honorer en France les études historiques. Une maladie violente a emporté en peu de jours M. Frédéric Boissière. Quinze jours avant sa mort, M. Frédéric Boissière, sans souffrance, sans tristesse, sans noirs pressentiments, causait avec nous de la notice qu'il venait d'achever; nous par

lions ensemble de Comines, de Louis XI, de Charles VIII. Aurions-nous pu penser que ce jeune savant de vingt-quatre ans serait sitôt englouti dans la tombe avec toutes ses espérances, avec tout son avenir! En écrivant ici le nom de M. Frédéric Boissière qui, s'il eût vécu, aurait laissé après lui d'importants ouvrages, nous sentons dans notre cœur un vif désir que cette Nouvelle Collection des Mémoires ait quelque duréc dans le monde, pour que la renommée d'un pauvre jeune homme puisse y trouver sa part.

SUR

PHILIPPE DE COMINES

ET

SUR SES MÉMOIRES.

Philippe de Comines naquit vers 1445, au château de Comines, près Meuny, d'une noble et ancienne famille de Flandres. Nicolas de la Clite de Comines, son père, avait été armé chevalier par Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne, avant la bataille de Wimen. Le nouveau chevalier tint à honneur de montrer qu'il était digne de ses éperons; il combattit vaillamment et tomba entre les mains de l'ennemi. Dans les dissensions civiles de la Flandres, il resta constamment fidèle à la cause des ducs. Bailli de Flandres en 1435, il fut chassé par les Gantois soulevés, et rétabli après la victoire des Bourguignons. Il mourut en 1454, laissant pour héritage à son fils Philippe, encore en bas-àge, des domaines considérables, mais grevés d'hypothèques, et la protection vaine et trompeuse souvent de la maison de Bourgogne. Le jeune Philippe de Comines, abandonné à luimême sous la tutelle de Jean de la Clite, son cousin, se livra de son propre mouvement à des études assez étendues pour cette époque. Suivant le penchant de son esprit, il s'adonna à l'histoire, considérant les événements sous leur côlé politique, et se préoccupant surtout des enseignements pratiques qui en ressortent. Il recherchait la conversation des étrangers, et apprit probablement par leur commerce l'allemand, l'italien et l'espagnol. Dès sa première jeunesse,

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esprit d'observation qui pénètre les partis et découvre leurs intentions sous leurs actes, s'exerçait dans Comines et acquérait de jour en jour plus de subtilité et de justesse; il s'habituait à juger les événements dans leurs causes et dans leurs résultats, à devancer pour eux l'avenir. La guerre du bien public, les traités de Conflans et de Saint-Maur lui révélèrent une puissance inconnue qui, humble et pacifique, dominait l'orgueilleux emportement des princes et des seigneurs ; Comines comprit Louis XI.

En 1468, Louis XI vint en personne négocier à Péronne avec Charles-le-Téméraire ; il comptait sur la force insinuante de sa parole pour amener le duc aux plus importantes concessions. Par malheur il avait oublié sa propre trahison. La ville de Liége se soulève contre Charles à l'instigation du Roi; Louis XI se trouve chargé de la responsabilité de sa politique. Sa situation était critique; il était au pouvoir de son ennemi irrité, et les sinistres souvenirs du château de Péronne redoublaient encore son effroi. Cependant Louis XI n'était pas abandonné dans son péril; une voix amie le guidait et lui signalait les écueils; les mouvements impétueux ou ralentis de Charles, les alternatives d'abattement ou de fureur, de crainte ou de cruauté où le jetait tour à tour la mobilité de son caractère, étaient indi

il contracta l'habitude du travail, qui devint pourqués à Louis XI, et d'après ces avis le Roi offrait

lui, pendant le reste de sa vie, un besoin de tous les jours et de tous les instants. L'oisiveté lui inspirait un profoud mépris; celui qui ne travaille pas, avait-il coutume de dire, qu'il ne mange pas. Au reste, il ne sut jamais le latin et le regretta amèrement toute sa vie (1).

Présenté à Lille, en 1464, à Charles, comle de Charolais, depuis duc de Bourgogne, le jeune Comines fut attaché à la cour de ce prince; il le suivit dans la guerre du bien public et à la bataille de Montlhéry, opposant déjà ses conseils sages et réfléchis à la fougue impétueuse de Charles-le-Téméraire. La prudence de Philippe de Comines se développait au milieu du tumulte des camps et du conflit des intérêts rivaux; cet

(1) Paquot; Mémoires pour servir à l'histoire littéraire des Pays-Bas. Sleidan, vie de Comines, en tête de la traduction latine de cet historien. Sleidan tenait ces détails sur la vie de Comines, de la bouche de Ma

à propos ou refusait de nouvelles concessions, el semblait répondre aux secrètes pensées de son rival. Quel était cet ami mystérieux dont parle Comines, ce serviteur infidèle du duc qui observait avec une attention si perfide les incertitudes passionnées de son maître? Ne serait-ce pas un de ses officiers qui passa avec lui cette nuit agitée et terrible où fut décidé le sort du Roi? Cet officier, qui depuis s'attacha à Louis XI et qui fut proclamé dans maintes occasions par le Roi luimême l'auteur de sa délivrance, ne serait-ce pas Comines?

Quoi qu'il en soit de cette première trahison que les circonstances entourent d'une grande probabilité, elle n'altéra en rien la bienveillance

thieu d'Arras qui avait vécu dans la maison de l'historien et qui avait été précepteur de son petit-fils. - Sur l'ignorance de la langue latine, voy. Comines, Mémoires, liv. VIII, ch. 17.

de Charles pour Philippe de Comines. L'année | grevés d'hypothèques; sa fortune patrimoniale

suivante, en 1469, le duc de Bourgogne lui fit remise d'une partie des dettes de son père qui grevaient encore ses biens (1). Comines resta trois ans encore à la cour de Bourgogne, vivant dans la familiarité du duc, assistant aux actes politiques les plus importants (2). Il prit part au siége de Beauvais et à l'invasion de la Normandie par les Bourguignons en 1472 (3), puis tout à coup, sans qu'on en ait pénétré les motifs, il abandonna Charles-le-Téméraire et, suivant son expression, vint au service du Roi (4).

Quelle peut avoir été la cause de cette défection? C'est ce que Comines néglige de nous faire savoir, et par son silence, il a ouvert un vaste champ aux conjectures; aucun témoignage précis, aucune indication positive n'a fixé nos doutes, et chaque historien a pu, à son gré, interpréter la conduite de Comines. La véritable cause de cette défection restant inconnue, on a cherché à en connaître du moins l'occasion, et l'on a trouvé dans Jacques Marchand une de ces anecdotes populaires par lesquelles les petits expliquent les actions des grands. Comines, suivant ce récit, revenant de la chasse avec le comte de Charolais, osa lui demander de lui tirer ses bottes; Charles obéit, mais il frappa Comines au visage avec les bottes qu'il venait de lui ôter, en disant Comment souffres-tu que le fils de ton maitre te rende un tel service? Comines garda de celle aventure le surnom de Tête boltée. Ce singulier récit a semblé à quelques historiens une explication suffisante à la conduite de Comines. Mais l'âge de Charles, sou caractère connu, celui de Philippe de Comines déposent également contre celle anecdote qu'aucun témoignage authentique ne vient confirmer. La majorité des historiens a compris qu'une résolution aussi imporfante prise par un homme aussi grave que Philippe de Comines, devait avoir pour principe autre chose qu'une aventure de jeunesse, une insolence du serviteur et un emportement du maître. Chacun d'eux, se livrant avec ardeur à la recherche des motifs inconnus, a expliqué cet événement à sa façon, condamnant tour à tour et excusant Philippe de Comines (5).

Par malheur pour notre historien, la vérité a fini par nous apparaître; les actes authentiques ne nous laissent aucun doute sur les motifs déterminants de sa défection. Comines fut acheté et trouva moyen de se vendre fort cher. Nous avons dit que ses biens héréditaires étaient

(1) Lettres patentes du 1er octobre 1469.

(2) Au Traité conclu entre Charles et Louis XI, en 1470. Mémoires, liv. III, ch. 9.

(3) Id., ch. 10.

(4) Id., ch. 11. Le duc leva le siége de Rouen le 3 septembre 1472, et les premiers actes du Roi, en faveur de Comines, sont du mois d'octobre de la même année: La défection de Comines doit donc être placée vers la fin de septembre ou vers le commencement d'octobre.

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était incertaine ou ruinée; et abandonnant sa terre au ressentiment de Charles-le-Téméraire, il vint demander à la reconnaissance de Louis XI un nouveau nom et de nouvelles richesses. Comines s'inquiétait peu de son nom flétri par les arrêts du parlement de Bourgogne, de son manoir abandonué, des tombeaux de ses pères restés seuls dans son château désert, des traditions de sa famille répudiées, de tous ces nobles attributs de la noblesse ternis et foulés aux pieds; il leur préféra les libéralités de Louis XI. Elles ne se firent pas attendre; le Roi, qui appréciait à sa juste valeur l'habileté diplomatique de Comines, ne lui marchanda pas le prix de sa trahison. Au mois d'octobre 1472, il lui fit don de quarante et un mille deux cents livres, plus de treute mille écus d'or, pour acheter la seigneurie d'Argenton qui remplaça la terre de Comines dont Philippe ne voulut plus porter le nom. L'importance de celte somme n'empêche pas Comines de rechercher de faibles secours ; il demande et obtient une somme de quatre cents livres, outre des dons, pensions et bienfaits, pour emménager le chastel de Bergen (6). Voilà Comines bien pourva de terres, il veut encore de l'argent comptant. Par lettres patentes du 20 octobre 1472, il obtient une pension de six mille livres qui consacre la vénalité de sa trahison, car, dit le Roi, ledit Comines a abandonné le pays de sa nativité, quitté et perdu ses biens pour nous venir servir, et à présent nous sert (7). La même année Louis XI donne à Comines la principauté de Talmont, les terres et seigneuries d'Olonne, de Château-Gontier, de Curson, de la Chevre-Berge et autres biens. « Lequel (Comines), disent les lettres patentes, par les bons advertissements et autres services qu'il nous fist, fut cause et moyen principal de la salvation de notre personne (8). » Par lettres du 12 janvier 1472 (1473 nouveau style), le Roi lui fait don des deniers provenant des francs fiefs et nouveaux acquêts, levés ès-bailliage de Tournai et pays de Tournésis, en faveur des grands et recommandables services qu'il lui avait rendus en ses plus secrètes et importantes affaires. Ces deniers sc montaient annuellement à quatre mille huit cent quatre-vingts livres, d'après l'estimation de la cour des comptes (9). Deux ans après, le 7 octobre 1474, Comines recevait la terre et haute justice de Chaillot, près Paris; le 24 novembre 1476, il était nommé sénéchal de Poitou et commandant du château de Chinon; enfin,

en

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