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bien servir le Roy; et y estoit pour chef le capitaine Aubert Roussel, et le capitaine Champie, capitaine du chasteau.

Le vingt-huitiesme jour du moys de septembre, jour de monsieur Saint-Michel, partist un gallion du port de Pusol, qui estoit à don Fédéric d'Arragon, pour porter les gens-d'armes de monseigneur de Ligny, qui estoit à Venise, pour eulx en aller au réaume de France, qui estoient sous la charge du gouverneur Ragusse.

Cedit jour s'embarqua dedans ledit gallion messire Guillaume de Villeneufve, chevalier, conseiller, maistre d'oustel du Roy nostre sire; et cedit jour allèrent à ung chasteau nommé Prochite (1), là où il y a sept milles de Baye; de Prochite passasmes l'isle de Ponce, où il y a quarante milles; de Ponce entrasmes en la plage Roucaine, où il y a du mont Celselle (2) jusques au mont Argentel (3) cent cinquante milles; et est le mont Argentel en la terre des Senoys; et du mont passasmes entre l'isle de Gourgolle (4) et Caporse (5) qui est aux Genevois. Ladite montaigne est inhabitée à cause de la grande quantité de ras qui ordinairement sont en ladite montaigne. De Gourgolle tirasmes la vie de Prouvence, et passasmes devant la montaigne de Sarrezane et de Petresante, et de là passasmes à Vintemille; et de là allasmes prendre le port à Monègue (6), là où ledit gallion cuida périr et tous ceux qui estoient dedans, du grand fortunal du temps qui courut; mais Nostre-Seigneur et Nostre-Dame-de-la-Garde de Marseilles, à laquelle fut voué ung pellerin, sauva et garda toute la compaignie.

Ledit port de Monègue est beau, et est une très-forte ville et chasteau et de grant regart; mais pour l'onneur du Roy, le seigneur dudit Monègue nous recueillit et nous donna vivres et toutes autres choses nécessaires, ayant esgart à la pitié qui estoit en nous; et de là partist ledit de Villeneufve, à pié, et s'en alla à Villefranche, et de là à Nysse, et de là à Marseille, là où il trouva monseigneur le marquis de Rothelin, gouverneur dudit pays de Prouvance, lequel pour l'onneur du Roy, et pour la grand pitié de

ledit de Villeneufve à la Sainte-Baulme en achevant ses veux et pellerinages; et de la Sainte-Baulme passa par Beauquère en sa maison, et n'y arresta point, et incontinent s'en alla, sans séjourner, à Lyon sur le Rosne, où il trouva le Roy, son souverain seigneur, tousjours à pié, demandant sa vie pour l'amour de Dieu, et en l'estat qu'il saillist hors de sa prison, tout ainsi comme son veu portoit.

Et tant alla par ses journées qu'il arriva en la cité et ville de Lyon, et illecques trouva le Roy, son souverain seigneur, qui promptement fut assanneté de sa venuë, lequel feist mener en son logis, en la salle à parer, là où il soupoit, accompaigné de grande quantité de seigneurs et autres gentils-hommes. Mais quand il veist ledit de Villeneufve ainsi défait de sa personne, et piteusement vestu, avec un carcan de fer au col, cinq livres pesant, comme bon prince esmeu de pitié, plain de douleur, et comme bon et vray père de famille doit faire à son bon serviteur, recueillit ledit de Villeneulfve très-bénignement, monstrant estre très-joyeux de sa délivrance; et qu'il soit ainsi le monstra par effet: car dès le landemain lui envoya ledit seigneur tous ses habillemens qu'il avoit vestu, jusques à sa chemise. Et en oultre luy feist ledit seigneur plusieurs autres grans biens et dons inextimables à lui et aux siens, pour monstrer exemple aux autres ses bons serviteurs. Et dès lendemain le feist son maistre d'ostel de sa bouche, pour donner à connoistre audit de Villeneufve la grand amour et bonne confiance qu'il avoit en lui, et qui ne fut pas petit de chose d'estre si près de la personne du Roy trèschrestien, et sans per, et si très-vertueux et victorieux de tous ses ennemys, craint et redoubté de tous ses subjets, bien servi, et léaument aimé, Charles VIII de ce nom, mon trèsredoubté et souverain seigneur, à qui Dieu par sa grâce veuille donner bonne vie et longue, et à la louange et exaltation de son très-hault nom, et finallement salut à son âme au réaume de Paradis, auprès du grand Roy des roys.

Cy finist le viatique de l'aller et conqueste du réaume

pourreté en quoy il veist ledit de Villeneufve, de Naples par le roy très-chrétien, roy de France, de

lui présenta beaucoup de bien; mais il ne voulut rien prendre fors sa vie, pour l'amour de Dieu, ainsi qu'il est voué de faire estant en sa prison, jusques à tant qu'il eust trouvé le Roy, son souverain seigneur et maistre; et de là s'en alla

(1) Procida.

(2) Cercelle.

(3) Monte Argentaro.

Sécile et de Jérusalem, Charles VIII de ce nom, et plusieurs autres choses qui s'en sont ensuivies après son département, comme avez peu veoir par ledit livre, fait et composé par Guilleaume de Villeneufve, chevalier, conseiller et maistre d'ostel ordinaire dudit seigneur,

l'an de grâce 1497, 8 du mois de novembre.

(4) L'ile de la Gorgonne.
(5) L'ile de Corse.
(6) Monaco.

FIN DES MEMOIRES DE GUILLAUME DE VILLENEUVE,

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DU

SUR LE PANEGYRIC

CHEVALLIER SANS REPROCHE,

LOUIS DE LA

TRÉMOILLE.

Jean Bouchet, auteur du Panégyric du cheval- | seigneurs au XVIe siècle s'y trouvent retracées

lier sans reproche, Louis de la Trémoille, procureur à Poitiers, était né en 1476; les biographes ont tour à tour placé sa mort en 1550 et en 1555. L'indication de ses ouvrages suffit pour caractériser jusqu'à un certain point le genre d'esprit de Jean Bouchet: 1° les Regnards traversant les périlleuses voyes des folles fiances du monde; 2 l'Amoureux transy sans espoir; 3o Angoisses et remèdes d'amour du Traverseur en son adolescence; 4 Eploration de l'Eglise militante sur ses persécutions intérieures et extérieures, en ryme françoise; 5° Temple de bonne renommée et repos des hommes et femmes illustres; 6° Labyrinthe de fortune et séjour de trois nobles dames, en ryme françoise; 7 Epistres morales et familières, etc., etc. Jean Bouchet était un homme d'esprit qui tournait agréablement des vers dans le goût des dames, et qui rappelait les troubadours des vieux temps.Tous les poèmes du procureur de Poitiers dorment maintenant dans la poudre des bibliothèques; il ne serait plus question de lui s'il n'avait pas laissé autre chose que des rymes françoises. Ses Annales d'Aquitaine et son Panegyric de Louis de la Trémoille feront vivre sa renommée, parce que ces deux

ouvrages pourront toujours être utilement consultés. Jean Bouchet, probablement chargé des affaires du seigneur Louis de la Trémouille, vécut long-temps dans son intimité au château de Thouars. L'éducation du prince de Talmont, fils unique du seigneur de la Trémouille, lui avait été confiée; ce fils intrépide était tombé sur le champ de bataille de Marignan, couvert de soixante-deux blessures, à peine àgé de trente ans. Après la mort du seigneur de la Trémouille, qui servit sous trois rois, Charles VIII, Louis XII et François I", et qui avait terminé à la journée de Pavie une carrière sans reproche, Jean Bouchet eut l'idée d'écrire l'histoire de sou illustre bienfaiteur. Le Panégyric de Louis de la Trémouille est un curieux ouvrage sous le rapport des faits et de la peinture de mœurs; l'exactitude historique n'y reçoit aucune atteinte, et la vie de chateau et les habitudes des grands

dans toute leur piquante vérité. Le style de Jean Bouchet, avec son élégante clarté et son naturel naïf, a un grand charme; ce qui dépare l'ouvrage de Jean Bouchet, ce sont de nombreuses allégories, ce sont les apparitions mythologiques mêlées aux grands récits de l'histoire. Les traités de politique composés par Junon, les belliqueuses exhortations du dieu Mars, les sages conseils de Minerve jetés à travers des tableaux de chevalerie, faisaient merveille il y a deux cents ans; mais tout cela n'est plus lisible aujourd'hui. Les anciens éditeurs de la Collection des Mémoires avaient eu donc raison de retrancher du Panégyric la partie mythologique; mais ils furent entraînés trop loin dans leur plan de suppression, et dénaturèrent en quelques parties la physionomie du livre et des personnages. Les restitutions historiques des derniers éditeurs des Mémoires nous ont paru de bon goût; elles donnent le texte tel qu'il a été publié dans ces derniers temps, d'après l'édition de Poitiers, imprimée en 1627, par les soins de Jacques Bouchet, parent de l'auteur. Quelques passages tirés de la partie mythologique méritent d'être conservés. Dans un portrait de Louis XI, tracé par la déesse Junon, on lit ces mots qui peiguent avee vérité le caractère du tyran: «I (Louis XI vouloit être » crainct plus que Roy qui fut oncques; et il n'y >> eut jamais Roy en France qui vesquit en plus >> grant craincte et suspection; en sorte que la >> moindre imagination qu'il eust prise en la plus >> pauvre créature de son royaulme, luy eust >> donné une telle craincte que, pour la chasser » de son esprit, estoit contrainct faire mourir >> cette personne, ou la prendre à son service : >> et si mourut crainctif de tout le monde. »>

La vieille simplicité française envahie par le luxe italien, à la suite des guerres de François Ier et de Charles VIII, fournit à la déesse un tableau intéressant : «Anciennement les capitaines >> et gens de guerre n'avoient accoustumé de >> faire trainer après eux tant de bagaige, » comme font de présent les François, qui ont

»lict de camp, vaisselle et cuisine, et plus d'es>> piceries et choses attractives à luxure qu'à >> combattre leurs ennemis; et n'y a si petit >> gentilhomme qui ne veuille avoir ung aussi bon >> cuisinier que le Roy, et estre servi de électuai>> res, divers potaiges, et aultres viandes délicates >> en diversité comme princes; et si possible es» toit, quant vont à la guerre, feroient charoyer >> après eulx toutes les ayses de leurs privées » maisons. A présent ceulx qui, par fortune, » ont été du misérable gouffre de pauvreté re» tirés et auctorisés par les roys et princes, font

» les maisons de plaisance à coulonnes de mar>> bre, représentations d'images et symulachres >> si bien faicts, qu'il semble à les veoir qu'on >> les ayt dérobés à la nature. Le dedans est tout » d'or et d'azur, les jardins semblent villes, >> tant sont les galeries bien couvertes, et pour >> la multitude de tonnelles et cabinets, tout >> pleins de lascivie et volupté, que mieulx sem» blent habitations de gens vénérées (débau» chées) que marciaulx, et de gens lascivieulx » que de gens de vertu, »>

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