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MÉMOIRES

DE

GUILLAUME DE VILLENEUVE.

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DE

GUILLAUME DE VILLENEUVE,

Tout ce que nous savons sur Guillaume de Villeneuve avant la guerre d'Italie, c'est qu'il était écuyer du jeune Charles VIII; plus tard, il devint chevalier, conseiller et maître-d'hôtel du roi de France, comme il nous le dit lui-même au commencement de ses Mémoires. Charles VIII, dans son aventureuse expédition d'Italie, n'eut pas de compagnons plus courageux, plus dévoués que Guillaume de Villeneuve. Dans le partage du royaume napolitain, conquis par les armes françaises, Guillaume de Villeneuve reçut le commandement de Trani, cité de la province de Bari. On sait comment, après le retour de Charles VIII, une ligue formée par le roi d'Espagne, le Pape et les principales puissances d'Italie, travailla à remettre le jeune roi Ferdinand sur son trône, et comment les Français furent contraints d'abandonner leur conquête. Villeneuve, dans ses Mémoires, nous raconte ses propres aventures dans la révolution de Naples ; il se défendit héroïquement dans la place dont il était gouverneur. Fait prisonnier après une admirable résistance, il fut jeté dans une galère qui faisait partie de la flotte espagnole. Arrivé à Naples, on l'enferma en la grosse tour du Portal du Château-Neuf, et c'est là que, pour éviter oisi

veté, il commença à écrire ses Mémoires. Guillaume, dans les premières pages de son écrit, rappelle quelques souvenirs, de l'histoire romaine, comme pour donner une couleur épique, un caractère grandiose à la campagne de Charles VIII, le très-vertueux, très-victorieux, trèsaimé et très-servy, et par tout le monde redoubtė; et son but aussi, en prononçant les noms d'Annibal et de Sempronius, est de donner à entendre et de bien prier, et à ung chacun de supplier, que si une autre fois on amène le très-chrestien roy de France aux Italies, soit cestui-cy ou autre, que, pour l'onneur de Dieu, on l'amène mieulx accompaigné qu'il n'étoit. Les Mémoires de Guillaume de Villeneuve parurent pour la première fois en 1717, dans le troisième volume du Nouveau Trésor des Anecdotes, de Don Martène; le savant Bénédictin les avait reçus d'un médecin de Tours, Jacques du Poirier. Martène avait intitulé ces Mémoires: Historia belli Italici sub Carolo VIII, rege Franciæ, Siciliæ et Jerusalem, Gallicè scripta à Guillelmo de Villanova qui presens aderat: ex ms. clarissimi viri Jacobi du Poirier, doctoris medici Turonici. Ces Mémoires renferment beaucoup de faits très curieux; ils sont écrits d'un style ferme et net.

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GUILLAUME DE
DE VILLENEUVE.

Je Guillaume de Villeneufve, chevalier, conseiller et maistre d'ostel du roy de France, de Sécile et de Jérusalem, Charles VIII de ce nom, mon très-hault et redouté seigneur et souverain, soit donnée gloire et bonne victoire de tous ses énemis.

Moy estant prisonnier au roy Ferrand, prins en la conqueste du réaume de Naples, détenu tant en ses gallées par force, que en la grosse tour du Portal du Chasteau-Neuf de Naples, par l'espace de ung an et trois jours, pour éviter oisiveté, ay voulu rédiger et mettre par escript❘ et en mémoire la venue du très-victorieux bien aymé et par tout le monde redoubté Roy en ce réaume de Sécile et cité de Naples, des gestes et actes qui par lui ont esté faits estant oudit réaume, et ce qui s'est ensuivy après son département, selon ce que j'en ay peu veoir et savoir en mon petit entendement.

Et premièrement, le très-vertueux, et trèsvictorieux, et très-aymé et bien servy, et par tout le monde redoubté, passa les mons [en 1494], à l'âge de vingt-deux ans. Après passa la duché et seignourie de Milan, la terre et seignourie des Lucquois, aussy la seignourie des Pisans, qui totalement se donnèrent à luy de leur libéral arbitre et propre voulenté. Et pareillement passa par la terre et seignourie de Flourence, là où il feist la plus belle entrée en armes, tant de gens de cheval que de gens de pié, qui jamais fut faite aux Italies, comme l'on disoit, logea par toutes les maîtresses villes des seignouries dessusdites, réservée la ville de Milan, et par tout eust grand recueil et bonne obéissance. De là entra dans la terre et seignourie de Saenne (1), en laquelle cité pareillement logea, et y a eu toute bonne obéyssance, et grant recueil, comme dessus ay dit, et tant alla le Roy par ses journées qu'il arriva en la terre Romaine, et logea dedans ladite cité l'espace de trois semaines ou environ, et toute son armée.

(1) Sienne.

et

(2) Le jeune Ferdinand, dont le père, Alphonsc, ré

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Nonobstant que le duc de Calabre (2) estoit arrivé dedans ladite cité de Rome un bien peu de temps avant, accompaigné de grant nombre d'hommes-d'armes, et de plusieurs autres gens de guerre, tant à cheval qu'à pié, pour lui vouloir garder le pas. Mais quant il sceut la venuë du très-grant et puissant Roy, il deslogea lui et toute son armée de la ville de Rome, et se retira à toute diligence au réaume de Naples.

Et debvez bien sçavoir qu'il n'est pas chose à oublier que quant le très-vertueux roy de France, de Sécile et de Jérusalem arriva et logea dedans ladite cité de Rome, qu'il n'avoit pas avec luy la grand armée, ne semblable compaignie de gens que avoit Hanibal de Cartaige, ou temps passé, quant il alla devant la cité de Rome pour la destruire. Car ledit Hanibal avoit si grand nombre de gens, que nullui ne luy pouvoit résister à l'encontre. Combien qu'il en perdist beaucoup avant qu'il fût arrivé en plaine Lombardie, néantmoins il trouva avecques lui le nombre de cent mille hommes de pié et vingt milles hommes de cheval, quant il arriva devant ladite cité de Rome, comme plus à plain dit l'histoire.

Pareillement debvez bien entendre que le très-vertueux Roy n'avoit pas telle compaignie, ne la multitude des gens-d'armes, comme estoient les François, Allamans et les Cypriens, quant ou temps passé ils voulurent venir pour destruire ladite cité de Rome; mais en ce temps leur saillist au devant, et courut sus ung consul de Rome, nommé Sempronius, lequel avecques la puissance de Rome se alla vers ses ennemys, lesquels, pour le grant froit, neige et gellée qui faisoit, ne se peurent défendre, si leur courut sus ledit Sempronius si asprement et par telle manière, qu'il les desfeist, et y eust de gens mors, tant des François, Allamans, que Cypriens, jusques au nombre de cent quarante milles, et de prisonniers bien soixante-dix

gnait encore, et qui évacua Rome à l'approche de Charles VIII.

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