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que je conduisis en la chambre du Roy nostre sire, peu avant sadite mort. Les Vénitiens estoient prests à pratiquer contre Milan. La pratique d'Espagne estoit telle que l'avez veuë. Le roy des Romains ne désiroit chose en ce monde tant que son amitié, et qu'eux deux ensemble fissent leurs besognes en Italie: lequel roy des Romains, appelé Maximilian, estoit grand ennemy des Vénitiens, aussi ils tiennent grande chose de la maison d'Austriche, dont il est, et aussi de l'Empire.

Davantage avoit mis le Roy, de nouveau, son imagination de vouloir vivre selon les commandemens de Dieu, et mettre la justice en bon ordre, et l'Eglise, et aussi de ranger ses finances, de sorte qu'il ne leva sur son peuple que douze cens mille francs, et par forme de taille, outre son domaine, qui estoit la somme que les trois Estats luy avoient accordée en la ville de Tours, lorsqu'il fut Roy, et vouloit ladite somme par octroy pour la deffense du royaume, et quant à luy, il vouloit vivre de son domaine, comme anciennement faisoient les roys. Ce qu'il pouvoit bien faire; car le domaine est bien grand, s'il estoit bien conduit, compris les gabelles, et certaines aides; et passe un million de francs. S'il l'eût fait, c'eût esté un grand soulagement pour le peuple, qui paye aujourd'huy plus de deux millions et demy de francs, de taille. Il mettoit grande peine à réformer les abus de l'ordre de Sainet-Benoist, et d'autres religions. Il approchoit de luy bonnes gens de religion, et les oyoit parler. Il avoit bon vouloir, s'il eût pù, qu'un évesque n'eût tenu que son évesché, s'il n'eût esté cardinal, et cestuy-là deux, et qu'ils se fussent allez tenir sur leurs bénéfices; mais il eût eu bien affaire à ranger les gens d'église. Il fit de grandes aumosnes aux mandians, peu de jours avant sa mort, comme me conta son confesseur l'évesque d'Angers, qui est notable prélat. Il avoit mis sus une audience publique, où il escoutoit tout le monde, et par espécial les pauvres, et si faisoit les bonnes expéditions, et l'y vis huict jours avant son trespas, deux bonnes heures, et oncques puis ne le vis. Il ne se faisoit pas grandes expéditions à cette audience; mais au moins, estoit-ce tenir les gens en crainte, et par espécial ses officiers, dont aucuns il avoit suspendus pour pillerie.

Estant le Roy en cette grande gloire quant au monde, et en bon vouloir quant à Dieu, le septième jour d'avril, l'an 1498, veille de Pasques flories, il partit de la chambre de la reine Anne de Bretagne, sa femme, et la mena avec luy, pour voir jouer à la paume ceux qui jouoient aux fossez du chasteau, où ne l'avoit ja

mais menée que cette fois, et entrèrent ensemble en une galerie qu'on appeloit la galerie Haquelebac, parce que cettuy Haquelebac l'avoit euë autrefois en garde, et estoit la plus déshonneste lieu de léans; car tout le monde y pissoit, et estoit rompue à l'entrée; s'y heurta le Roy, du front, contre l'huys, combien qu'il fût bien petit, et puis regarda long-temps les joueurs, et devisoit à tout le monde. Je n'y estois point présent; mais sondit confesseur, l'évesque d'Angers et ses prochains chambellans, le m'ont conté ; car j'en estois party huict jours avant, et estois allé à ma maison. La dernière parole qu'il prononça jamais en devisant en santé, c'estoit qu'il dit qu'il avoit espérance de ne faire jamais pêché mortel ne véniel, s'il pouvoit, et en disant cette parole, il cheut à l'envers, et perdit la parole (il pouvoit estre deux heures après midy) et demeura là jusques à onze heures de nuict. Trois fois lui revint la parole; mais peu luy dura, comme me conta ledit confesseur, qui deux fois cette semaine l'avoit confessé. L'une à cause de ceux qui venoient vers luy pour le mal des escrouelles. Toute personne entroit en ladite galerie qui vouloit, et le trouvoit-on couché sur une pauvre paillaisse, dont jamais il ne partit, jusques à ce qu'il eût rendu l'âme, et y fut neuf heures. Ledit confesseur, qui tousjours y fut, me dit que lorsque la parole luy revint, à toutes les fois il disoit : « Mon Dieu et la glorieuse » vierge Marie, monseigneur sainct Claude et monseigneur sainct Blaise, me soient

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ayde. » Et ainsi départit de ce monde si puissant et si grand Roy, et en si misérable lieu, qui tant avoit de belle maisons, et en faisoit une si belle, et si ne sceut à ce besoin finer d'une pauvre chambre. Combien donc peut-on par ces deux exemples, cy-dessus couchez, cognoistre la puissance de Dieu estre grande, et que c'est peu de chose que de nostre misérable vie, qui tant nous donne de peine pour les choses du monde, et que les roys n'y peuvent résister non plus que les laboureurs.

CHAPITRE XXVI.

Comment le sainct homme, frère Hiéronyme, fut bruslé à Florence, par envie qu'on eut sur luy, tant du costé du Pape, que de plusieurs autres Florentins et Véni

tiens.

J'ay dit en quelque endroit de cette matière d'Italie, comme il y avoit un frère Prescheur,

ou Jacobin, ayant demeuré à Florence, par l'espace de quinze ans, renommé de fort saincte vie (lequel je vis et parlay à luy en l'an 1495 ), appelé frère Hiéronyme, qui a dit beaucoup de choses avant qu'elles fussent advenues, comme j'ay desjà dit cy-dessus, et tousjours avoit soustenu que le Roy passeroit les monts, et le prescha publiquement, disant l'avoir par révélation de Dieu, tant cela qu'autres choses dont il parloit, et disoit que le Roy estoit esleu de Dieu pour réformer l'Eglise par force, et chastier les tyrans: et à cause de ce qu'il disoit sçavoir les choses par révélation, murmuroient plusieurs contre luy, et acquit la haine du Pape et de plusieurs de la ville de Florence. Sa vie estoit la plus belle du monde ainsi qu'il se pouvoit voir, et ses sermons preschant contre les vices, et a réduit en icelle cité maintes gens à bien vivre, comme j'ay dit.

En ce temps, 1498, que le roy Charles est trespassé, est finy aussi frère Hiéronyme, à quatre ou cinq jours l'un de l'autre, et vous diray pourquoy je fais ce conte. Il a tousjours presché publiquement que le Roy retourneroit derechef en Italie, pour accomplir cette commission que Dieu luy avoit donnée, qui estoit de réformer l'Eglise par l'espée, et chasser les tyrans d'Italie, et que, au cas qu'il ne le fist, Dieu le puniroit cruellement ; et tous ses sermons premiers, et ceux de présent, il les a fait imprimer et se vendent. Cette menace qu'il faisoit au Roy, de dire que Dieu le puniroit cruellement, s'il ne retournoit, luy a plusieurs fois escrite ledit Hiéronyme, peu de temps avant son trespas, et ainsi le me dit de bouche ledit Hiéronyme, quand je parlay à luy (qui fut au retour d'Italie), en me disant que la sentence estoit donnée contre le Roy, au ciel, au cas qu'il n'accomplist ce que Dieu luy avoit ordonné, et qu'il ne gardast ses gens de piller.

Or environ ledit trespas du Roy, estoient Florentins en grand différend en la cité. Les uns attendoient encores la venuë du Roy, et la désiroient sur l'espérance que ledit frère Hiéronyme leur donnoit, et se consommoient, et devenoient pauvres à merveilles, à cause de la dispense qu'ils soustenoient, pour cuider recouvrer Pise, et les autres places qu'ils avoient baillées au Roy, dont les Vénitiens tenoient Pise. Plusieurs de la cité vouloient que l'on prist le party de la ligue, qu'on abandonnast de tous poincts le Roy, disans que ce n'estoient qu'abusions et folies de s'y attendre, et que ledit frère Hiéronyme n'estoit qu'un hérétique et un paillard, et qu'on le devoit jetter en un sac en la rivière : il estoit tant soustenu en la ville, que nul ne l'osoit faire. Le Pape et le duc de Milan escri

voient souvent contre ledit frère, asseurans les Florentins de leur faire rendre la cité de Pise, et autres places, en délaissant l'amitié du Roy, et qu'ils prissent ledit frère Hiéronyme, et qu'ils en fissent punition; et par cas d'adventure, se fit à l'heure une seigneurie à Florence, où il y avoit beaucoup de ses ennemis; car ladite seigneurie se change et se muë de deux mois en deux mois se trouva un Cordelier forgé, ou de luy-mesme prit débat audit frère Hiéronyme, l'appellant hérétique et abuseur du peuple, de dire qu'il eust révélation, ne chose semblable, et s'offrit de le prouver jusques au feu, et estoient ces paroles devant ladite seigneurie. Ledit frère Hiéronyme ne se voulut point présenter au feu ; mais un sien compagnon dit qu'il s'y mettroit pour luy, contre ledit Cordelier; et alors un compagnon Cordelier se présenta de l'autre costé, et fut pris jour qu'ils devoient entrer dedans le feu, et tous deux se présentèrent, accompagnez de leurs religieux au jour nommé; mais le Jacobin apporta le Corpus Domini en sa main, et les Cordeliers et aussi la seigneurie vouloient qu'il l'ostast, ce qu'il ne voulut point faire. Ainsi s'en retournèrent à leur couvent, et le peuple esmeu par les ennemis dudit frère, par commission de cette seigneurie, l'allèrent prendre audit couvent, luy troisième, et d'entrée le gesnèrent à merveilles. Le peuple tua le principal homme de la ville, amy dudit frère, appellé Francisque Valory. Le Pape leur envoya pouvoir et commission pour faire le procès. Et fin de compte ils les bruslèrent tous trois. Les charges n'estoient sinon qu'il mettoit discord en la ville, et que ce qu'il disoit de prophétie, il le sçavoit par ses amis qui estoient du conseil. Je ne les veux point accuser ni excuser. Je ne sçay s'ils ont fait bien ou mal de l'avoir fait mourir; mais il a dit maintes choses vrayes, que ceux de Florence n'eussent sceu luy avoir dites. Et touchant le Roy, et les maux qu'il dit luy devoir advenir, luy est advenu; ce que vous voyez, qui sceut premier la mort de son fils, puis la sienne, et ay des lettres qu'il escrivoit audit seigneur.

CHAPITRE XXVII.

Des obsèques et funérailles du roy Charles VIII, et du couronnement du roy Louys XII de ce nom, son successeur, avec les généalogies de France, jusques à iceluy.

Le mal du Roy fut un catharre ou apoplexie,

espéroient les médecins qu'il luy descendroit sur un bras, et qu'il en seroit perclus, mais qu'il n'en mourroit point; toutesfois il advint autrement. Il avoit quatre bons médecins; mais il n'adjoustoit foy qu'au plus fol, et à celuy-là donnoit l'authorité, tant que les autres n'osoient parler, qui volontiers l'eussent purgé quatre jours avant; car ils y voyoient les occasions de mort, qui fut et advint. Tout homme couroit vers le duc d'Orléans, à qui advenoit la couronne, comme le plus prochain; mais les chambelans dudit roy Charles le firent ensevelir fort richement, et sur l'heure on commença le service pour luy, qui jamais ne failloit ne jour, ne nuict; car quand les Chanoines avoient achevé, les Cordeliers commençoient, et quand ils avoient finy, commençoient les Bons-Hommes qu'il avoit fondez. Il demeura huiet jours à Amboise, tant en une grande chambre bien tendue, qu'en l'église, et toutes choses y furent faites plus richement qu'elles ne furent jamais à Roy, et ne bougèrent d'auprès du corps tous les chambelans, et ses prochains, et tous ses officiers, et dura ce service, et cette compagnie, jusques à ce qu'il fust mis en terre, qui dura bien l'espace d'un mois, et cousta quarante-cinq mille francs, comme me dirent les gens des finances. J'arrivay à Amboise, deux jours après son trespas, et allay dire mon oraison là où estoit le corps, et y fut cinq ou six heures, et à la vérité, on ne vit jamais semblable dueil, et qui tant durast. Aussi ses prochains, comme chambelans, et dix ou douze gentils-hommes, qui estoient de sa chambre, estoient mieux traitez et avoient plus grands estats et dons, que jamais roy ne donna, et trop. Davantage la plus humaine et douce parole d'homme que jamais fut, estoit la sienne : car je croy que jamais à homme ne dit chose qui luy deust desplaire, et à meilleure heure ne pouvoit-il jamais mourir; pour demeurer en grande renommée par les histoires, et en regret de ceux qui l'ont servy, et croy que j'ay esté l'homme du monde à qui il a plus fait de rudesse; mais cognoissant que ce fut en sa jeunesse, et qu'il ne venoit point de luy, ne luy en sceus jamais mauvais gré.

Quand j'eus couché une nuict à Amboise, j'allay devers ce Roy nouveau, de qui j'avois esté aussi privé que nulle autre personne, et pour luy avois esté en tous mes troubles et pertes; toutesfois pour l'heure ne luy en souvint point fort, mais sagement entra en possession du royaume, car il ne mua rien des pensions, pour celle année, qui avoient encores six mois à durer. Il osta peu d'officiers, et dit qu'il vou

loit tenir tout homme en son entier et estat, et tout cela luy fut bien séant, et le plustost qu'il put, il alla à son couronnement là où je fus, et pour les pairs de France, s'y trouvèrent ceux qui s'ensuivent. Le premier fut le duc d'Alencon, qui servoit pour le duc de Bourgogne. Le deuxiesme, monseigneur de Bourbon, qui servoit pour le duc de Normandie. Le troisiesme fut le duc de Lorraine, qui servoit pour le duc de Guyenne. Le premier comte, Philippe, monsieur de Ravestain, qui servoit pour le comte de Flandres. Le deuxiesme, Engilbert, monsieur de Clèves, qui servoit pour le comte de Champagne. Le troisiesme, monseigneur de Foix, qui servoit pour le comte de Toulouze; et fut ledit couronnement à Reims, du roy Louys XII, de présent régnant, le vingt-septième jour de may, l'an 1498, et est le quatrième venu en ligne collatérale. Les deux premiers ont esté Charles Martel, ou Pépin son fils, et Hue Capet, tous deux maistres du Palais, ou gouverneurs des roys, qui usurpèrent le royaume sous lesdits roys, et le prirent pour eux. Le tiers fut le roy Philippe de Valois, et le quart le Roy de présent. A ces deux derniers venoit le royaume justement et loyaument. La première génération des roys de France est à prendre à Mérouée. Deux roys y avoit eu en France avant ledit Mérouée: c'est à sçavoir, Pharamond (qui fut le premier eslu roy de France, car les autres avoient esté appellez ducs ou roys de Gaule) et un sien fils, appellé Clodion. Ledit Pharamond fut esleu roy l'an 420, et régna dix ans. Son fils Clodion en régna dix-huict. Ainsi régnèrent ces deux roys vingt-huiet ans, et Mérouée, qui vint après, n'estoit point fils dudit Clodion, mais son parent; parquoy sembleroit qu'il y eût eu cinq fois mutations en ces lignes royales; toutesfois, comme j'ay dit, on prend la première génération à commencer à Mérouée, qui fut fait roy en l'an 448, et là commença cette première ligne, et y a eu jusqu'au sacre du roy Louis XII mil cinquante ans que commença la génération desdits roys de France, et qui le voudra prendre à Pharamond, il y en auroit vingt et huict davantage, qui seroit mil septante et huict ans, que premier y a eu roy, appellé roy de France. Depuis Mérouée jusques à

Pépin, il y eut trois cens trente-trois ans qu'avoit duré ladite lignée de Mérouée. Depuis Pépin jusques à Hue Capet, y a deux cens trente sept ans qu'a duré ladite vraye ligne de Pépin et de Charlemagne son fils. Celle de Hue Capet a duré en vraye ligne trois cens trente-neuf ans, et faillit au roy Philippe de Valois, et celle dudit roy Philippe de Valois a duré en vraye ligne

jusques au trespas du roy Charles VIII, qui fut l'an 1498, et celuy-là a esté le dernier roy de cette ligne, qui a duré cent soixante-neuf ans, et y ont régné sept roys; c'est à sçavoir, Philippe

de Valois, le roy Jehan, le roy Charles V, le roy Charles VI, le roy Charles VII, le ΓΟΥ Louis XI et le roy Charles VIII, fin de la ligne droite de Philippe de Valois.

FIN DES MÉMOIRES DE PHILIPPE DE COMINES, SEIGNEUR D'ARGENTON.

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