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et joustes commancerent jusques à la nuyt, que les devises revindrent. Et ainsi passerent temps les ungs et les autres en la ville d'Arras, en festes et joyeulx esbatements l'espace de huit jours, que on n'y fist aultre chose, et n'estoit neant plus de memoire d'ouvrer que le jour de Pasques. Si devés scavoir qu'il y eult de gracieuses devises entre la contesse d'Artois et son tres desiré mary, qui comme il la veist enceinte fut joyeulx oultre mesure, et d'aultre costé se devisa à son pere, le conte de Bouloingne, et dist de ses adventures au long, comme il est à croire.

Apres ces huit jours doncques, s'en alla chascuin en son lieu, car feste et ung mesme temps ne puet mie tousjours durer; ainsois convient que toutes choses par nature preignent fin.

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Fille de l'astrologue de Charles V, venue de Pise, instruite par son père dans les sciences et la littérature, Christine de Pizan devint, près de la cour, femme de lettres par goût et par nécessité. Elle composa des ouvrages en vers. Sa prose est meilleure. Connaissant quelques auteurs anciens, elle chercha dans leur imitation l'élégance et la dignité du style, et, même dans ses écrits historiques, l'ampleur et la gravité oratoires. La lenteur de ses périodes eût impatienté la vivacité d'esprit du dix-huitième siècle, mais dans le sien c'était une étude, une préparation à l'éloquence. Le plus important de ses ouvrages est Le livre des fuis et bonnes meurs du sage roy Charles V. Instructif par les renseignements, il est à nos yeux particulièrement intéressant pour la connaissance de la langue du XIVme siècle que nous y trouvons dans son intégrité.

Ci dit la phisonomie et corpulance du roy Charles.

Or; me plaist deviser, et raison m'y instruit, la phinozomie' et personne du susdit noble sage prince.

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De corsage estoit hault et bien formé, droit et lé par les espaules, et haingre par les flans, gros braz et beauls membres avoit

Deux manières d'écrire le même mot à deux lignes d'intervalle.

2 Ce mot ne se dit plus que des femmes.

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si correspondens au corps qu'il convenoit, le visage de beau tour un peu longuet, grant front et large; avoit sourcilz en archiez, les yeuls de belle forme, bien assis, chasteins en couleur, et arrestez en regart; hault nez assez, et bouche non trop petite, et tenues levres; assez barbu estoit, et ot un peu les os des joes hauls, le poil ne blont ne noir, la charneure clere brune; mais la chiere ot assez pale, et croy que ce ', et ce qu'il estoit moult maigre luy estoit venu par accident de maladie et non de condicion propre. La phinozomie et façon estoit sage, attrempée et rassise, à toute heure, en tous estas et en tous mouvemens; chault, furieus en nul cas n'estoit trouvé, ains agmoderé en tous ses fais, contenances et maintiens, tout telz qu'appertiennent à remply de sagece, hault prince. Ot belle aleure, voix d'omme de beau ton, et avec tout ce, certes, à sa belle parleure tant ordenée et par si belle, arrengé sanz aucune superfluité de parolle, ne croy que rethoricien quelconques en lengue françoise ne sceust riens amender.

Cy dit, comment le roy Charles se contenoit en ses chasteaulx, et l'ordre de son chevauchier.

Aulcunes foiz avenoit, et assez souvent ou temps d'esté, que le Roy aloit esbatre en ses villes et chasteaulx hors de Paris, lesquelz moult richement avoit fait refaire et reparer de solemnelz edifices, si comme à Meleun, à Montargis, à Creel, a Saint-Germain en Laye, au bois de Vincenes, à Beauté, et mains autres lieux; là, chaçoit aucunes foiz et s'esbatoit pour la santé de son corps, desireus d'avoir doulz et attrempé; mais en toutes ses alées, venues et demeures estoit tout ordre et mesure gardée ; car, ja ne laissast ses cotidiennes besongnes à expedier ainssi comme à Paris.

1 Gr. § 14.

2 Froissart dit, vol. 11, chap. 26, qu'il avait été empoisonné dans sa jeunesse, par Charles le Mauvais, roi de Navarre, et qu'il fut sauvé par un médecin allemand que l'empereur Charles IV, son oncle, lui envoya.

3 Gr. $66.

L'acoustumée maniere de chevauchier estoit de notable ordre: à tres grant compaignie de barons et princes et gentilz hommes bien montez et en riches abis, luy assis sus palefroy de grant eslitte, tout temps vestu en abit royal, chevauchant entre ses gens, si loing de luy, par telle et si honorable ordonnance, que, par l'aorné maintien de son bel ordre, bien peust sçavoir et cognoistre tout homme, estrangier ou autre, lequel de tous estoit le Roy; ses gentilzhommes devant luy ordenez, et gens d'armes, tous estoffez, comme pour combatre, en nombre et quantité de plusieurs lances, lesquelz estoyent soubz capitaines, chevaliers notables, et tous recepvoyent beauls gages pour la desserte de cel office; les fleurs de lis en escharpe portez devant luy, et par l'escuyer d'escuierie le mantel d'ermines, l'espée et le chapel royal, selons les nobles anciennes coustumes royalės.

Devant et après, les plus prochains du Roy chevauchoyent, les princes et barons de son sang, ses freres ou autres; mais, nul ja ne l'approchast, se il ne l'appellast: apres luy, plusieurs groz destriers, moult beauls en destre estoyent menez, aornez de moult riche harnois de parement; et quant il entroit en bonnes villes, où à grant joye du peuple estoit receus, ou chevauchoit parmi Paris, où toute ordonnance estoit gardée, bien sembloit estat de tres hault magnific, tres poissant et tres ordené prince.

Et ainsy ce tres sage Roy avoit chiere en tous ses faiz la noble vertu d'ordre et convenable mesure. Lesquelles serimonies royales n'accomplissoit mie tant au goust de sa plaisance, comme pour garder, maintenir et donner exemple à ses successeurs à venir, que, par solennel ordre, se doit tenir et mener le tres digne degré de la haulte couronne de France, à laquelle toute magnificence souveraine est deue et pertinent.

Gr. $ 79.

Ci dit de la jeunece du roy Charles, et comment c'est grant peril quand administration de bonne doctrine n'est donnée aux enfens des princes.

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N'est à mon propoz et ne quier faire grant narracion sur les fais de l'adolescence du dit Roy; et pour touchier la verité, j'entens que jeunece, par propre voulenté menée, plus perverse que à tel prince n'appartient, dominoit en luy en celluy temps, mais je suppose que ce pot estre par maulvaiz aministrateurs, car, comme jeunece soit de soy encline à mains mouvemens hors ordre de raison, encore quant elle est conduite et exortée par maulvaiz et sans conscience anminciateurs plus tendens à l'adulacion du jeune courage du prince, pour son gré acquerre 3, que pour le conduire par pure et deue voye, c'est un grant meschief et peril en tout grant seigneur; car orgueil qui leur ramentoit leur haulte puissance, et jeunece qui les instruit à leur singulier plaisir en tous delis, leur ostent la crainte et regart de toute discipline, et par oultre cuidance peuent estre conduis à telle ignorance que ilz presument à eulx estre licite faire follies et choses hors ordre de bonnes meurs; ce qui seroit lait et malhonneste à simples et povres hommes, laquelle chose est tout le contraire; car tout ainssy que seigneurie humaine est rigle des autres estas, est raison qu'elle soit regulée et reamplye de precieux joyaulx de vertus et de l'entendement; et, pour ce, les parens, obvians à telz inconveniens, doivent plus singulierement procurer à leur enfens bonne compaignie sage et honeste, et prendre garde à la discipline des meurs, que à leur bailler estat quelconques ne autre nourriture deliée, et pour ce, à ce propoz, treuve-l'en, en maintes escriptures, que anciennement aux enfens des roys et princes, comme autrefois ay parlé sur ceste matière estoyent quis

1 Gr. § 33.

2 Gr. 11.

3 Gr. $77.

4 Faute de copiste pour amenisteurs, administrateurs.

6 Gr. § 33.

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sages maistres philozophes, lesquelz en avoyent l'aministracion et gouvernement jusques à ce que ilz feussent parcreus et enforciz, si que ilz fussent ydoines à soustenir le fais des armes, et adont estoyent livrez à la chevalerie es mains des sages chevaliers expers en telle discipline; car n'est mie doubte, comme il est dit par maint aucteur, tout ainssy comme la cire est apte et preste à toute emprainte recepvoir, est l'engin de l'enfent disposé à recepvoir telle discipline comme on luy veult bailler et aprendre ; et å ce propos n'est mie sans grant peril donner auctorité de seigneurie à enfent sanz frain de sages amenistrateurs.

Et, par exemple, l'avons ou livre des Roys, ou temps Roboam, filz Salomon, pour ce qu'il n'avoit pas respondu sagement au peuple, ainssi comme les preudes hommes luy avoyent conseillé, mais orgueilleusement et fierement, par le conseil des jeunes avecques luy nourris en enfence, le royaume fu divisé en deux royaumes de douze lignées, Roboam, n'en ot que les deux, et Jeroboam, qui ot esté sergent Salomon, en ot dix.

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Des enfens des chevaliers, qui est à entendre des nobles victorieux aussi, est escript que anciennement en enfence les tenoyent soubz grant crenseur de ce est escript es histoires des Grieux' jadis triumphans, que Ligurgus, roy de Lacedemone, entre les belles loys que il estably, ordonna que les jouvenceaulx n'eussent en l'an fors une robe; item, que les jeunes enfens, yssus hors de la primiere nourriture, fussent tirez des mignotises maternelles; et comme oisiveté et delices soyent à eulx comme venin destruiseur de meurs, ordonna ycelluy que separez fussent des delices des bonnes villes et nourris sus les champs en exercitacion d'aucun labeur selon leur faculté et aage. Item, que honneur aucun ne fust donné à home, fors selon les merites de ses vertus, et non parfaict honneur actribué à aulcun jusques à tant que continuée vertu l'eust parmené en l'aage de viellece et d'impotence : laquelle loy, pour l'augmentacion de vertu, pleust à Dieu que courust en noz aages, et en perpetuel temps.

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Gr. $ 9. 2 Gr. $ 48 Gr. $ 24.

4 Grecs.

$ Gr. $ 77.

6 Eut cours, eut force.

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