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DE LITTÉRATURE

ETC

DE MORALE.

POÉSIE.

La Poésie.

PRÉCEPTES Du genre.

CETTE faculté brillante s'occupe moins du réel que du possible, plus étendu que le réel; souvent même elle préfère au possible des fictions auxquelles on ne peut assigner des limites. Sa voix peuple les déserts, anime les êtres les plus insensibles, transporte d'un objet à l'autre les qualités et les couleurs qui servaient à les distinguer; et, par une suite de métamorphoses, nous entraîne dans le séjour des enchanterens, dans ce monde idéal où les poëtes, oubliant la terre, s'oubliant eux-mêmes, n'ont plus de commerce qu'avec des intelligences d'un ordre supérieur.

C'est là qu'ils cueillent leurs vers dans les jardins des

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Muses, que les ruisseaux paisibles roulent en leur faveur des flots de lait et de miel, qu'Apollon descend des cieux pour leur remettre sa lyre, qu'un souffle divin, éteignant tout à coup leur raison, les jette dans les convulsions du délire, et les force de parler le langage des Dieux dont ils ne sont plus que les organes.

Il est des poëtes qui sont en effet entraînés par cet enthousiasme qu'on appelle inspiration divine, fureur poétique. AEschyle, Pindare et tous nos grands poëtes le ressentaient, puisqu'il domine encore dans leurs écrits. Que dis-je? Démosthène à la tribune, des particuliers dans la société, nous le font éprouver tous les jours. Ayez vous-même à peindre les transports ou les malheurs d'une de ces passions qui, parvenues à leur comble, ne laissent plus à l'âme aucun sentiment de libre, il ne s'échappera de votre bouche et de vos yeux que des traits enflammés, et vos fréquens écarts passeront pour des accès de fureur ou de folie. Cependant vous n' n'aurez cédé qu'à la voix de la nature.

Cette chaleur, qui doit animer toutes les productions de l'esprit, se développe dans la poésie avec plus ou moins d'intensité, suivant que le sujet exige plus ou moins de mouvement, suivant que l'auteur possède plus ou moins ce talent sublime qui se prête aisément aux caractères des passions, ou ce sentiment profond, qui tout à coup s'allume dans son cœur et se communique rapidement aux nôtres. Ces deux qualités ne sont pas toujours réunies. J'ai connu un poëte de Syracuse qui ne faisait jamais de si beaux vers que lorsqu'un violent enthousiasme le mettait hors de lui-même.

La poésie a sa marche et sa langue particulières. Dans l'épopée et la tragédie, elle imite une grande action dont elle lie toutes les parties à son gré, altérant les faits connus, en ajoutant d'autres qui augmentent l'intérêt, les relevant, tantôt au moyen des incidens merveilleux, tantôt par les charmes variés de la diction, ou par la

beauté des pensées et des sentimens. Souvent la fable, c'est-à-dire la manière de disposer l'action, coûte plus et fait plus d'honneur au poëte que la composition même

des vers.

Les autres genres de poésie n'exigent pas de lui une construction si pénible; mais toujours doit-il montrer une sorte d'invention, donner par des fictions neuves un esprit de vie à tout ce qu'il touche, nous pénétrer de sa flamme, et ne jamais oublier que, suivant Simonide, la poésie est une peinture parlante, comme la peinture est une poésie muette.

J'ai dit que la poésie avait une langue particulière. Dans les partages qui se sont faits entre elle et la prose, elle est convenue de ne se montrer qu'avec une parure très-riche, ou du moins très-élégante, et l'on a remis entre ses mains toutes les couleurs de la nature, avec l'obligation d'en user sans cesse, et l'espérance du pardon, si elle en abuse quelquefois.

Elle a réuni à son domaine quantité de mots interdits à la prose, d'autres qu'elle allonge ou raccourcit, soit par l'addition, soit par le retranchement d'une lettre ou d'une syllabe. Elle a le pouvoir d'en produire de nouveaux, et le privilége presque exclusif d'employer ceux qui ne sont plus en usage, ou qui ne le sont que dans un pays étranger, d'en identifier plusieurs dans un seul, de les disposer dans un ordre inconnu jusqu'alors, et de prendre toutes les licences qui distinguent l'élocution poétique du langage ordinaire.

Les facilités accordées au génie s'étendent sur tous les instrumens qui secondent ses opérations. De là ces formes nombreuses que les vers ont reçues de ses mains, et qui toutes ont un caractère indiqué par la nature. Le vers héroïque marche avec une majesté imposante: on l'a destiné à l'épopée ; l'iambe revient souvent dans la conversation : la poésie dramatique l'emploie souvent avec succès. D'autres formes s'assortissent mieux aux chants accom

pagnés de danses; elles se sont appliquées sans efforts aux odes et aux hymnes. C'est ainsi que les poëtes ont multiplié les moyens de plaire.

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis, t. VII.

Manière de faire les Vers.

QUELQUE sujet qu'on traite, ou plaisant ou sublime, Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime : L'un l'autre vainement ils semblent se haïr; La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir: Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue, L'esprit à la trouver aisément s'habitue. Au joug de la raison sans peine elle fléchit, Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit. Mais, lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle; Et, , pour la rattraper, le sens court après elle. Aimez donc la raison; que toujours vos écrits Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.

La plupart, emportés d'une fougue insensée, Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée. Ils croiraient s'abaisser dans leurs vers monstrueux, S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme cux. Evitons ces excès : laissons à l'Italie

De tous ces faux brillans l'éclatante folie.

Tout doit tendre au bon sens; mais, pour y parvenir,
Le chemin est glissant et pénible à tenir :
Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie.
La raison, pour marcher, n'a souvent qu'une voie.
Un auteur, quelquefois trop plein de son objet,
Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet.
Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile,
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant;
L'esprit rassasié le rejette à l'instant.

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