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des partis, qui n'achète pas au prix de ses vertus les faveurs de l'aveugle Plutus. Je crois lire la peinture que Sénèque nous fait du stoïcien accompli. Ces traits n'appartiennent pas plus à l'homme de lettres en particulier, qu'à tout homme d'un caractère vertueux et ferme; et pour avoir ce caractère, il n'est pas du tout nécessaire de composer des ouvrages. Que tous ces lieux-communs sont faux et insipides!

Pour développer cette pensée, que le sage ou l'homme de lettres, comme on voudra, ne vend point ses vertus, l'auteur fait un portrait de J. J. Rousseau, qui, transfuge des châteaux, revole à sa chaumière, qui repousse l'outrage de l'orgueilleux bienfait, qui fuit enveloppé de sa vertu sauvage:

11 porte (ajoute le poète) au sein des bois, sur la cîme des monts Sa longue rêverie et ses pensers profonds;

Foulant aux pieds les biens que le vulgaire adore,

Que leur préfère-t-il? Un rayon de l'aurore!

Que toute cette déclamation est choquante de fausseté! Personne n'ignore combien J. J. Rousseau étoit vertueux, et lui-même il a pris soin de nous l'apprendre. Voilà donc son orgueil, sa misantropie sauvage, son ingratitude, érigés en vertus sublimes! Mais le dernier trait passe tout le reste pour le précieux et la niaiserie. L'auteur se demande ce que Rousseau préféroit aux biens que le vulgaire adore, et répond délicieusement: un rayon de l'aurore! Moi, je réponds avec plus de vérité : il préféroit l'éclat, le bruit que sa conduite faisoit dans le monde. Fou d'orgueil, altéré de renommée, il vouloit qu'on s'occupât de lui sans cesse ; et la bizarrerie de sa conduite, jointe à son grand talent, étoit un moyen sûr pour parvenir au but qu'il se proposoit.

Le défaut général de cette pièce est de ne présenter que des idées vagues : l'auteur ajoute de nouveaux traits à la peinture de son stoïcien ; il le représente dans l'adversité, soutenant sans fléchir la lutte du malheur, puis résistant aux attraits de la prospérité, enfin protėgeant l'opprimé, quel que soit l'oppresseur; ce qui le conduit à citer l'exemple de La Fontaine :

Quand Fouquet de Louis eut perdu la faveur,
La Fontaine resta l'ami de son malheur :
D'un cœur naïf et pur déployant l'énergie,
Il fit sur son destin soupirer l'élégie,

Et laissant les flatteurs à leur vulgaire effroi,
Il chanta son ami même devant son roi :

Dévouement vertueux! témérité sublime!

:

Cesvers font plaisir, parce qu'ils rappellent un trait qui honore et la mémoire de La Fontaine, et les lettres ellesmêmes ils me paroissent pourtant avoir une certaine emphase qui est ici d'autant plus déplacée qu'il s'agit de l'homme le plus vrai, le plus naïf et le plus simple qui fût jamais. Ce vers: Il chanta son ami même devant son roi, ne semble-t-il pas donner un air de bravade à La Fontaine, qui, dans cette occasion, ne vit sûrement pas, comme l'illuminé de M. Thomas, la patrie à ses côtés, la justice et l'humanité devant lui; mais qui céda aux mouvemens de son cœur et qui, d'une voix humble et sublime à-la-fois, fit entendre les plus donx accens que la reconnoissance puisse jamais inspirer au génie. M. Fouquet étoit son bienfaiteur; ce ministre, d'une ame si libérale et si généreuse, avoit comblé de biens La Fontaine. Le poète, comme tous les hommes d'un vrai génie, fut reconnoissant : quand M. Fouquet tomba dans la disgrâce, il exprima ses regrets touchans en beaux vers, parce que c'étoit są langue; mais il ne brava point Louis XIV: cela eût

été insensé. Il ne fit point attention au vulgaire effroi des flatteurs; il laissa parler son ame, il s'écria, sans faire le factieux :

Du magnanime Henri qu'il contemple la vie ;
Dès qu'il put se venger il en perdit l'envie.

Le reste de la pièce de M. Millevoye est un crescendo de déclamations aussi usées que futiles : c'est l'homme de lettres, ou plutôt le stoïcien dans l'exil, dans les fers, bravant toujours et l'oppresseur et les tyrans; imaginations d'autant plus idéales que, généralement parlant, les princes et les rois ont beaucoup plus favorisé les lettres, comme l'atteste l'histoire de tous les temps, qu'ils n'ont persécuté les gens de lettres. Enfin, l'exagération de ses idées est telle, qu'elle la conduit à s'appuyer de l'exemple même de Caton d'Utique qu'il seroit ridicule de considérer comme un écrivain et comme un homme de lettres. Il représente, pour terminer, son héros littéraire n'arrivant à sa vieillesse

Qu'en trompant les poignards de ses persécuteurs.

Il n'est

pas nécessaire de faire sentir le vide et le faux de ces idées scholastiquement déclamatoires.

Ce morceau rachète un peu le vice du fonds par une heureuse distribution des matières, et par un certain. mérite de disposition assez rare aujourd'hui. Le style est en général clair et facile; il suppose dans l'auteur assez de goût pour qu'on doive l'exhorter à éviter dorénavant le néologisme à la mode, et cette fausse hardiesse d'expressions qu'il doit laisser aux poètes d'athénées on regrette de trouver dans sa pièce des bois inspirateurs, un vers indépendant, des pugilats lit

téraires, apprendre le cœur humain, etc. Malheureusement ce sont là les beautés qu'on applaudit le plus aujourd'hui, et l'indépendance de l'homme de lettres ne va pas communément jusqu'à sacrifier les applaudissemens aux règles et aux droits de son art. Y.

X V.

Discours sur la question suivante, proposée en 1807 et en 1808, par l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse: Quels ont été les effets de la décadence des mœurs sur la littérature française ? Par P. J. de Sales.

ON

N fait peu de cas des Académies de province, on les regarde comme vouées à l'ignorance, au mauvais ton, et sur-tout au mauvais goût; on croit qu'il n'existe de véritables connoissances, d'urbanité, de belle littérature, que dans les académies de Paris; il y a une prévention contre le titre d'académicien d'Angers, de Montauban, de Lyon, de Besançon, de Toulouse, que beaucoup d'auteurs se font gloire de mettre en tête de leurs recueils ou de leurs ouvrages. Un académicien de province est presque un personnage de comédie, comme les Desmazures, les Pourceaugnac et les Deschalumeaux; Thalie s'est quelquefois égayée aux dépens des beaux-esprits et des academicieus de province. Il n'y a guère de préjugé qui ne soit fondé : il faut qu'il y ait dans tout cela quelque chose de vrai. Cependant tous les académiciens de province ne sont pas à

Toulouse, à Lyon, à Angers, etc.; et je crois que depuis qu'il existe des académies, les plus belles questions littéraires ont été proposées par ces sociétés savantes et estimables qui ont le malheur de ne pas respirer l'air de la capitale : c'est peut-être à l'académie de Dijon que nous devons le talent de Rousseau, qui probablement n'auroit jamais brillé d'un éclat si vif, si cette académie n'eût jeté la première étincelle dans ce génie inflammable, et ne l'eût mis en fermentation par sa fameuse question sur les arts et sur les lettres. Le problême de l'académie de Toulouse ressemble à celui de l'académie de Dijon ; mais le discours que j'ai entre les mains ne ressemble guère au discours de Rousseau. Il est vrai que le tribunal des Jeux Floraux ne l'a pas couronné, et il a bien fait : les académies se compromettent quand elles donnent des prix qui ne sont pas mérités; elles exposent et l'ouvrage, et le lauréat, et leur sentence aux sifflets du public. Il ne suffit pas, pour être digne d'un prix, d'avoir fait moins mal que ses rivaux; il faut avoir bien fait telle est la règle que doivent suivre tous les corps littéraires qui veulent exciter l'émulation et distribuer des couronnes.

:

cette

Le candidat se console de son peu de succès par phrase: « Je dois avertir le lecteur que l'académie avoit » proposé pendant deux ans consécutifs le même sujet, » et qu'elle vient enfin de le retirer définitivement. >> Cette détermination, ne semble-t-elle pas annoncer » que la question, telle qu'elle est conçue, présente » un vague et une obscurité nuisibles à sa solution? » Je ne suis pas de cet avis: la question me paroît aussi nette et aussi claire qu'elle est grande, intéressante et philosophique. D'ailleurs, pourquoi l'auteur s'est-il engagé dans un sujet qui lui paroissoit vague et obscur? ou bien, pourquoi n'a-t-il reconnu cette obscurité qu'après

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