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XI.

Fin du même sujet.

It ne faut pas juger en toute rigueur les Œuvres de M. de Vauvenargues, puisque, d'un côté, sa profession a dû nuire à ses premières études, et que, de l'autre, ses longues maladies et sa mort prématurée ont pu l'empêcher d'acquérir toute la profondeur d'esprit et de connoissances dont il étoit capable. Il est vrai que Pascal est mort jeune, et que toute sa vie ne fut qu'un tissu d'infirmités et de douleurs. Mais Pascal n'avoit point eu d'enfance; doué d'un génie extraordinaire, il avoit pénétré dans les hautes sciences à l'âge où les autres hommes en savent à peine le nom, et il eut pour guide le meilleur des pères, don inappréciable dans les études. Il avoit donc tous les avantages sur M. de Vauvenargues, qui, sous aucun rapport de talent, ne peut entrer en comparaison avec lui. Une seule chose le prouveroit. Pascal avoit deviné la langue et l'éloquence françaises. Non-seulement les Provinciales sont écrites avec une pureté admirable, mais cette pureté est du génie; car, avant elles, il n'y en avoit point d'exemple. Cent ans plus tard, et après le siècle des modèles, M. de Vauvenargues n'eut pas le don d'écrire purement, parce que l'étude lui avoit manqué. On sent, à chaque page de son livre, le besoin qu'il auroit eu de méditer les bons écrivains et de se former sur leur exemple à une plus parfaite justesse de pensée, et à une plus grande correction de style. L'une

et l'autre sont le fruit du jugement exercé par le travail et mûri par l'expérience.

On se rappelle ici le paradoxe de M. Suard, qui a voulu prouver que le défaut d'étude et d'instruction avoit pu être utile à M. de Vauvenargues, parce qu'il avoit laissé à son esprit plus de liberté dans ses développemens. Il n'est guère possible de se tromper davantage, ni d'avancer une maxime plus dangereuse pour les jeunes gens, en qui la présomption surpasse ordinairement le savoir, et qui, avec ce beau motif de se donner plus de liberté dans leurs développemens, ne manqueront pas, sur la parole de M. Suard, de rejeter loin d'eux le joug pesant de l'étude. Je le demande à tous les maîtres et à tous les pères qui ont l'expérience de l'enseignement, qui de nous, ou de M. Suard, soutient ici la bonne doctrine, la doctrine utile à la société? Qu'un jeune homme lise cette phrase de sa Notice: Celui qui se soustrait par ignorance aux autorités qui auroient pu éclairer son jugement, échappe également aux autorités usurpées qui auroient pu l'égarer; rien ne le géne dans la route de la vérité. Qu'est-ce que ce jeune homme en pourra conclure, si ce n'est que l'ignorance est un avantage, puisque celui qui se soustrait par elle aux autorités, sous prétexte qu'elles sont usurpées, trouve que rien ne le gêne dans ses développemens? Et s'il entend dire encore à M. Suard que le défaut d'instruction contribue à donner un caractère d'originalité et de vérité, ne préférera-t-il pas l'honneur de devenir original à la fatigue d'étudier et de s'instruire?

C'est avec de telles maximes qu'on pousse à leur perte ces jeunes présomptueux qui, à la premièrə étincelle d'esprit, courent se jeter dans la périlleuse carrière des lettres. Nous en sommes encore à entendre,

les leçons de cette philosophie profondément révolutionnaire, puisqu'elle n'enseigne, par tous ses principes, que la révolte contre l'autorité. Ni la raison, ni l'indignation publique, ne peuvent fermer la bouché de ces maîtres insensés. Mais pourquoi s'en plaindre? Qui peut décréditer leur funeste doctrine plus sûrement que leur exemple? Et quand on voit la manière dont ils écrivent et dont ils raisonnent, qui seroit tenté de se confier à leurs principes?

M. de Vauvenargues en étoit extrêmement éloigné. Il a gémi plus d'une fois de l'insuffisance de ses premières études, et il ne prévoyoit guère que M. Suard lui feroit un sujet d'éloges de ce qui a fait la matière de ses regrets. Son exemple doit apprendre aux jeunes gens que, quelque talent qu'on ait reçu de la nature on n'atteindra jamais à un degré supérieur dans les lettres, si cet heureux naturel n'est fortifié par l'étude

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et enrichi de tous les trésors de l'instruction.

M. de Vauvenargues a porté dans ses ouvrages toutes les qualités d'un homme bien né. Il est éloquent par son ame; son expression a de la noblesse, parce qu'il s'est toujours respecté lui-même. Il plaît par un air de candeur et par un ton de vérité qui contraste sí fort avec celui des philosophes qui ont spéculé sur ses ouvrages, qu'on ne peut leur pardonner l'injure qu'ils lui ont faite de le louer. Je ne sais d'ailleurs pourquoi il plaît à M. Suard d'en faire un homme de génie, si ce n'est qu'il copie ses maîtres, et que, voulant le peindre comme un incrédule, il a cru, en cette qualité, ne pouvoir lui faire trop d'honneur. La vérité est que M. de Vauvenargues est un très-bon esprit, plutôt juste que fin, et plus solide qu'étendu, aussi éloigné de l'élévation de Bossuet que de la profondeur de Pascal; moins vif et moins original que la Bruyère; moins

subtil, mais plus droit que la Rochefoucauld; logicien moins exact et moins fort que Nicole, mais écrivain plus éloquent, digne enfin d'occuper une place distinguée parmi nos moralistes.

Son Introduction à la connoissance de l'esprit humain n'est, à proprement parler, qu'une ébauche dont le dessin, beaucoup trop vaste pour les connoissances d'un jeune militaire, ne pouvoit recevoir qu'une foible exécution. La plupart des chapitres sont de purs sommaires où le sujet est à peine effleuré. Il y a souvent de l'inexactitude dans les définitions, de l'impropriété dans le choix des termes, et la métaphysique en est aussi foible que pouvoit l'être celle d'un jeune homme qui avoit passé la plus grande partie de sa vie sous les armes. Le peu d'idées générales qu'il possédoit manquoit de cet enchaînement lumineux qui fait voir au loin les conséquences, et qui ouvre à la méditation de vastes perspectives. En un mot, on ne trouve point chez lui cette raison étendue et perçante qui caractérise le génie des sciences morales.

Son meilleur ouvrage, et le seul qui soit achevé, est le recueil de ses Maximes, dont il seroit difficile de donner ici une notion suffisante; car, comment faire connoître par des citations une suite de six cent vingttrois maximes, toutes détachées, et qui n'ont le plus souvent aucun rapport entr'elles? C'est ce qu'on n'entreprendra point. Mais je puis assurer que M. Suard en donne l'idée la moins juste, lorsqu'il avance qu'elles sont plus en préceptes que les pensées de Pascal, et que, par cette raison, elles sont plus utiles. Le contraire est précisément l'exacte vérité. Les pensées de Pascal, qui roulent presque toutes sur la religion et les devoirs de l'homme, touchent nécessairement à des préceptes, et souvent elles en prennent la dignité et

les tours sentencieux. Les maximes de M. de Vauvenargues, au contraire, qui ne sont que les observations d'un homme du monde, et d'un jeune homme, ne pourroient avoir ni ce ton ni ce caractère, sans pédanterie, et l'éloge de M. Suard, s'il étoit fondé, seroit une injure.

Quand je place M. de Vauvenargues parmi les moralistes, on doit penser que je le regarde comme irréprochable touchant la religion, qui est le fondement de la morale. Il l'est en effet; et je lui dois la justice de reconnoître qu'il en parle en homme d'honneur vivement pénétré de sa vérité et de son importance. Il la défend avec chaleur contre les philosophes, et il montre bien qu'il connoissoit le fond de leurs intentions lorsqu'il s'écrie: Pensent-ils que l'irreligion dont ils se piquent puisse anéantir la vertu? Il dit ailleurs :«Les oracles de la piété, disent nos adversaires, condamnent la complaisance dans nos bonnes actions. Est-ce donc à ceux qui nient la vertu à la combattre par la religion qui l'établit? Qu'ils sachent qu'un DIEU juste et bon ne peut réprouver le plaisir que lui-même attache à bien faire. Nous défendroit-il ce charme qui accompagne l'amour du bien? Lui-même nous ordonne d'aimer la vertu, et sait mieux que nous qu'il est contra-> dictoire d'aimer une chose sans s'y plaire. S'il rejette donc nos vertus, c'est quand nous nous approprions les dons que sa main nous dispense, quand nous arrêtons nos pensées à la possession de ses grâces, sans aller jusqu'à leur principe, et que nous méconnoissons la main qui répand sur nous ses bienfaits. »

Ce discours est assurément d'une très-belle ame, et d'un chrétien très-éclairé. Il suffit de connoître la noble candeur de cet écrivain, et le ton de dignité dont il ne s'écarte jamais, pour sentir quelle force doit avoir

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