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de ne pas prostituer l'estime à des êtres vils auxquels l'humanité ne doit tout au plus que la pitié.

Ce qui m'a sur-tout mal disposé pour les Templiers, c'est qu'ils sont en vénération dans ces malheureuses sectes d'illuminés, foyers du fanatisme le plus destructeur, et qui menacent d'embraser l'Europe entière, Mon garant est le fameux Cagliostro, autorité grave dans cette matière: il dit lui-même que la première secte d'illuminés, dite de stricte observance, a principalement en vue la destruction totale de la religion catholique et de la monarchie, sous le prétexte de venger la mort du grand-maître des Templiers. Le même Cagliostro dit avoir vu la formule du plus horrible serment, qui contenoit l'engagement de détruire tous les souverains : cette formule étoit écrite dans un livre qui avoit la forme d'un missel, et au commen¬ cement on lisoit ces mots : Nous grands-maîtres des Templiers.

Je suis donc autorisé à regarder les Templiers comme des ennemis de la religion et du gouvernement, et comme tels ils m'ont extrêmement déplu sur la scène, sans m'inspirer aucun autre intérêt que celui qu'inspire le supplice d'un scélérat, et cet intérêt n'est point du tout l'intérêt tragique.

G.

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XXVIII.

Suite du même sujet.

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Opinion de Condorcet

sur les Templiers.

J'AI combattu les Templiers quand ils étoient florissans, applaudis, fêtés par les spectateurs ; maintenant qu'ils sont abandonnés, dégradés, proscrits par les lecteurs, j'éprouve quelque répugnance à les attaquer. L'effet produit par les Templiers a quelque rapport avec les épreuves des Francs-Maçons : on commence par en être ému, on finit par en rire; le faux n'éblouit qu'un moment.

La préface n'a pas eu un autre sort que la pièce : préconisée d'avance comme un chef-d'œuvre d'érudition historique, elle n'a paru qu'une triste et lourde dissertation, où la partialité règne par-tout, où le fanatisme perce en plusieurs endroits. L'auteur, qui recueille avec une attention minutieuse les témoignages. les plus insignifians en faveur des Templiers, ne fait mention nulle part de leurs torts les plus graves envers la société. Presque tous les gouvernemens de l'Europe se sont-ils donc ligués sans aucun motif, pour détruire un ordre de saints religieux? Le pape et les conciles ont-ils pu conspirer la ruine d'un corps ecclésiastique vertueux et fidèle? Quel est le souverain qui s'avise de se priver lui-même d'une des plus belles provinces.? Une pareille supposition peut-elle entrer dans l'esprit d'un homme instruit et sense? Cette prétendue conspiration contre l'innocence et la vertu, tramée dans tout le monde chrétien par les rois et les prêtres, n'est-elle

pas une des plus absurdes et des plus dangereuses chir mères qu'on ait jamais présentées à la crédulité pu blique ?

L'ordre des Templiers étoit devenu redoutable à tous les gouvernemens; il bravoit à-la-fois l'autorité ecclésiastique et civile; l'inutilité, l'oisiveté, les richesses, le caractère audacieux et turbulent de ces moines guerriers menaçoit la société d'une dissolution funeste: ils étoient, dans le corps politique, ce qu'est dans le corps humain un squirre, un polype ou toute autre excroissance nuisible à l'organisation générale. Etablis pour combattre les infidèles, ils combattoient les rois et les évêques; fondés pour secourir les pélerins qui visitoient les saints lieux, ils ne donnoient plus de secours qu'aux mutins qui se soulevoient contre les magistrats; fauteurs de l'indépendance et de l'anarchie, ils préparoient une révolution qui devoit renverser les autels et les trônes.

On ne manquera pas de me demander sans doute sur quelle autorité j'appuye une pareille accusation. J'en ai une qui en vaut mille; je n'irai pas la chercher dans de vieilles chroniques, dans les légendes grossières de quelques moines ignorans et superstitieux, dans les apologies des amis et des partisans des Templiers. Je laisse notre auteur puiser dans des sources aussi suspectes, tandis que je produis en ma faveur le témoignage d'un des sages les plus célèbres du dixhuitième siècle, d'un des plus fameux adeptes des nouveaux mystères : c'est un apôtre de l'humanité et de la liberté que j'invoque; c'est un des héros des modernes théories morales et politiques, c'est un des réformateurs du genre humain, un des restaurateurs de la dignité de l'homme; c'est enfin le plus ardent missionnaire des principes régénérateurs, l'illustre

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Condorcet. A ce nom respectable, tout ami des Templiers doit fléchir le genou, et attendre avec respect la réponse de l'oracle.

Condorcet étoit persuadé que l'ordre des Templiers travailloit en secret à la délivrance du genre humain, c'est-à-dire à l'anarchie; qu'il méditoit la ruine des superstitions et des préjugés, c'est-à-dire, suivant l'argot philosophique, de la religion et des monarchies; et voici comment il s'exprime en parcourant les progrès de l'esprit humain vers l'époque qui a précédé l'invention de l'imprimerie :

« Nous examinerons si, dans un temps où le pro» sélytisme philosophique eût été si dangereux, il ne » se forma point des sociétés secrétes destinées à » perpétuer, à répandre sourdement et sans danger, » parmi quelques adeptes, un petit nombre de vé»rités simples, comme de súrs préservatifs contre » les préjugés dominateurs. Nous chercherons si l'on » ne doit point placer au nombre de ces sociétés » CET ORDRE CÉLÈBRE CONTRE LEQUEL LES PAPES >> ET LES ROIS CONSPIRÈRENT AVEC TANT DE BAS»SESSE, ET QU'ILS DÉTRUISIRENT AVEC TANT DE

» BARBARIE. >>>

Si les Templiers n'avoient été que des moines guerriers, engagés par un vou solennel à combattre les infidèles et les mécréans ; s'ils n'avoient jamais fait que protéger les pélerius qui alloient à la Terre Sainte, n'est-il pas bien évident que jamais M. de Condorcet ne leur eût accordé sa protection? Ils n'auroient pas été si intéressans à ses yeux, si dignes de sa pitié philosophique ; il n'auroit pas pris la peine d'injurier en leur honneur les papes et les rois. Mais cet homme, dont le tact étoit si sûr en fait de prosélytisme et de philosophie, considéroit les Templiers comme ses précur

seurs dans l'apostolat du nouvel Evangile il voyoit en eux les premiers ouvriers qui avoient travaillé dans cette vigne que lui-même a cultivée depuis avec plus d'ardeur, mais avec un aussi malheureux succès. Enfin, il reconnoissoit dans les Templiers des frères qui, après avoir été dans l'Orient les champions du fanatisme religieux, s'étoient montrés dans l'Occident comme les prêtres de la philosophie. M. de Condorcet pardonnoit à ces moines d'avoir servi long-temps les préjugés dominateurs, et même de s'être fort enrichis à ce service, puisqu'ils avoient expié les erreurs d'un zèle faux et légitime des richesses mal acquises, en répandant des vérités simples et de sûrs préservatifs contre ces mêmes préjugés qu'ils avoient soutenus les armes à la main.

C'est donc une opinion très-probable, puisque c'est l'opinion de M. de Condorcet, que les Templiers, à l'époque de l'abolition de leur ordre, n'étoient occupés qu'à limer sourdement les fers des peuples, à miner les bases du despotisme spirituel et temporel : c'est dans cette louable et sainte occupation qu'ils furent surpris par Clément V et Philippe-le-Bel.

Emporté par cette noble passion du bonheur et de l'affranchissement de l'espèce humaine, M. de Condorcet n'a pas vu qu'en s'expliquant avec cette franchise sur ses amis les Templiers, il justifioit en quelque sorte la bassesse et la barbarie des rois et des papes, ses plus grands ennemis; car la première loi de la nature, fort antérieure à tout systême philosophique, est que tout être cherche à se conserver, à se défendre contre tous ceux qui veulent le détruire. Les Templiers, dites-vous, conspiroient contre les papes et les rois : eh bien, les papes et les rois ont conspiré contre les Templiers. Rien n'est plus naturel: il y avoit bien

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