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» livres; si ces idées sont justes, elles nous conduisent, » de conséquence en conséquence, au bon temps » de 93, à l'égalité, à la fraternité ou à la mort, etc.,etc. ›› Si l'anonyme, auteur de cette boutade, a pensé véritablement ce qu'il a écrit, il ne lui faut pour toute réponse qu'une dose d'ellébore: de pareilles conclusions pourroient le conduire, de phrase en phrase, droit aux Petites-Maisons. Qu'il soit tranquille, les cordonniers, les tailleurs, les imprimeurs, les manufacturiers, les boulangers n'ont rien à craindre de mes observations morales : lui-même pourra continuer son" journal et y gagner son pain, sans aucun obstacle de la part de ma doctrine.

Mais voici quelque chose de plus sérieux, et qui passe la raillerie : Cet honnête censeur me dénonce comme m'étant fait un systême de dénaturer les opinions les plus accréditées, de flétrir tous les genres de gloire nationale, d'élever tout ce qui est petit, de rabaisser tout ce qui est grand : voilà ce qui s'appelle une délation bien conditionnée et en bonne forme, tout-à-fait dans le style du bon temps de 93. Le délateur paroît bien plus exercé et bien plus fort sur cet article, que sur la logique et sur la morale; mais le bonheur des temps où nous vivons, ne permet pas aux délateurs, quelqu'habiles qu'ils puissent être, des succès aussi brillans qu'au bon temps de 93.

J'ai travaillé autant qu'il m'étoit possible pour la gloire nationale, en combattant le mauvais goût, en m'efforçant de soutenir l'honneur de la littérature française, un des principaux genres de notre gloire nationale. Je puis me flatter en particulier d'avoir affermi les autels de Corneille, de Racine et de Boileau, que la génération précédente avoit essayé de renverser. J'ai osé quelquefois exprimer l'enthousiasme que m'ins

pirent nos illustres guerriers et leur invincible chef: est-ce là élever ce qui est petit, et rabaisser ce qui est grand? L'anonyme ne sait peut-être pas que telle est la définition qu'Isocrate donne de l'éloquence. Mais on s'est moqué d'Isocrate et de sa ridicule définition. Je crois que c'est au contraire pour n'avoir jamais élevé ce. qui est petit, que tant de petits écrivains enragés s'acharnent contre moi.

Je ne puis mieux finir qu'en renvoyant à mon adversaire la dernière phrase de sa diatribe : elle s'applique si juste à tout ce qu'il vient de dire, qu'il semble qu'il ait voulu généreusement me fournir contre lui-même ce dernier trait. On a beau être accoutumé aux sottises de toute espéce, celle-ci ne laissera pas que d'étonner. Ce qui m'étonne peut-être encore plus que les sottises de l'anonyme, c'est l'asile qu'on leur a donné dans un journal; c'est la complaisance avec laquelle on a bien voulu accueillir les personnalités les plus grossières et les plus odieuses qui n'appartiennent qu'au libelle, sur-tout quand elles sont couvertes du voile de l'anonyme:

Quand j'attaque quelqu'un, je le dois et me nomme.

C'est flétrir un des genres de gloire nationale, que de répandre ainsi l'opprobre sur notre littérature.

Enfin, un de mes grands sujets d'étonnement, est l'imprudence et la témérité de ceux qui se sont avisés d'agiter une pareille question sans l'entendre et sans savoir où elle mène, dans un temps où le brigandage, l'agiotage, le monopole, les spéculations meurtrières, tous les malheurs, en un mot, et tous les crimes dont le commerce est la cause ou le prétexte, frappent les yeux les moins clairvoyans. G.

XXV.

Suite du méme Sujet.

Je croyois avoir tout dit sur une dispute qui n'eût ja

mais dû exister; mais la manière dont on a travesti mes intentions, exige de moi un dernier mot ; je vais le dire, et le Philosophe sans le savoir, représenté dimanche dernier, m'en fournit une occasion naturelle. Forcé de m'expliquer encore, je rougis pour ceux qui ont be soin d'une explication nouvelle sur des idées si simples, si claires et si communes. Le jugement et la logique sont des qualités rares, sur-tout aux époques où l'on se flatte d'avoir le plus d'esprit et de philosophie; les que→ relles littéraires sont une des plus grandes preuves de la foiblesse de l'entendement humain on est toujours étonné de voir que les hommes parlant la même langue ne s'entendent point. Les objets contestés ayant diverses faces, ceux qui disputent n'en considèrent jamais qu'une: Les discussions se changent en satires; les passions interviennent au procès, et jamais la raison : on vent se venger, et non pas s'éclairer; on se bat sans savoir pourquoi; et quand le ressentiment est calmé, quand la guerre est finie, on s'embarrasse peu d'en connoître la

cause.

Un lieu commun sur le commerce ( scène III". du second acte du Philosophe sans le savoir) a fait naître cette étrange querelle, d'un côté fort ridicule, de l'autre très-désagréable et très-fâcheuse.

« Quel état que celui d'un homme qui, d'un trait de plume, se fait obéir d'un bout de l'univers à l'autre !

» Son nom, son seing n'a pas besoin, comme la mon❝ noie d'un souverain, que la valeur du métal serve de » caution à l'empreinte sa personne a tout fait, il a » signé, cela suffit. »

J'avoue que j'ai été choqué de cette emphase de rhéteur, très-déplacée dans la bouche d'un personnage qu'on nous donne comme un homme sage et modeste, d'ailleurs remplie d'idées fausses qui tendent à élever le négociant au-dessus de tous les souverains; car il n'y a point de souverain qui puisse se flatter de se faire obéir d'un trait de plume d'un bout de l'univers à l'autre. Les avanies que les négocians éprouvent en Turquie, à la Chine, au Japon, prouvent assez qu'on ne leur obéit pas d'un bout de l'univers à l'autre. Il ne suffit pas toujours que le négociant ait signé; sa personne ne fait pas tout, quelque respect qu'on ait pour son nom et son seing: tant de funestes exemples ont appris à s'en défier, qu'en général le métal qui sert de caution à l'empreinte du souverain, est encore regardé comme plus sûr que le papier revêtu de la signature du marchand.

« Ce n'est pas un peuple, ce n'est pas une seule nation » qu'il sert; il les sert toutes, et en est servi : c'est » l'homme de l'univers, >>

L'homme de l'univers ! Ce nom conviendroit peutêtre à l'homme maître de l'univers, à l'arbitre suprême du sort et des destinées du monde; mais un pareil titre appartient-il à un négociant, parce qu'il envoie partout des marchandises et en tire de tous les pays? Fournir aux peuples, pour leur argent, des denrées dont souvent ils n'ont pas un besoin réel, est-ce donc être l'homme de l'univers ?

« Quelques particuliers audacieux font armer les rois la guerre s'allume, tout s'embrase, l'Europe

» est divisée; mais ce négociant anglais, hollandais, » russe ou chinois, n'en est pas moins l'ami de mon > cœur : nous sommes, sur la superficie de la terre, » autant de fils de soie qui lient ensemble les nations, » et les ramènent à la paix par la nécessité du com

» merce. >>>

Ce troisième passage est infecté des mêmes vices que les deux autres, on y trouve du gigantesque et du faux. Il est cependant vrai que le commerce lie les nations, non par des fils de soie très-aisés à rompre, mais par des besoins mutuels; il est vrai aussi que les négocians prennent souvent peu de part aux intérêts qui divisent les souverains je crois même avoir lu ou entendu dire qu'autrefois il est arrivé à des négocians hollandais de pousser l'indifférence à cet égard jusqu'à vendre en temps de guerre des munitions même aux ennemis de leur pays; mais il est faux que, soit en paix, soit en guerre, le négociant chinois soit l'ami du coeur du négociant anglais ou russe : les jalousies, les rivalités, les haines secrètes, ne divisent que trop souvent ceux qui fond le même commerce; d'ailleurs, les amitiés fondées sur le gain ne peuvent jamais être appelées des amitiés de cœur. Bien loin que la nécessité du commerce ramène les nations à la paix, on a vu dans tous les temps les nations se disputer les bénéfices et les avantages du commerce, par les guerres les plus acharnées et les plus sanglantes.

Dans son enthousiasme pour le commerce, le personnage que fait parler Sedaine ne se résout qu'avec peine à reconnoître la supériorité du guerrier et du magistrat sur le marchand: Je n'en conviens, dit-il, qu'en supposant qu'il y ait des différences entre ceux qui font le mieux qu'ils peuvent dans le rang où le ciel les a placés. Voilà bien la doctrine de l'égalité exposée

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