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CHAPITRE XIX.

Comment le duc de Bethfort ala à grand puissance tenir la journée devant Yveri, laquelle ville et forteresse lui furent rendues.

Cy dist l'histoire, que environ huit jours en aoust de cest an, le duc de Bethfort assambla plusieurs hommes d'armes et archers et ses capitaines anglois, c'estassavoir les contes de Salsebéri, de Suffort, le seigneur de Willebi et....' avec plusieurs autres capitaines, tant de Normendie comme d'ailleurs, jusques au nombre de dix huit cens ou environ, hommes d'armes, et huit mille archiers, lesquelz il conduist et mena jusques à Yvery' pour estre à la reddicion d'icelle, dont par avant est faicte mencion. Et tant chevaulcha, à tout son arroy, qu'il vint devant Yveri la nuit de l'Assumpcion Nostre-Dame3, et tout ce jour se tint en bataille, actendant ses ennemis. Lesquelx estoient en très grand nombre, bien dix huit miile combatans, sous la conduite du duc d'Alençon, des contes d'Aumarle, de Ventadour, de Tonnoire, de Douglas, de Bosqueaulx et de Moiri, du visconte de Narbonne, du seigneur de La Faiette et plusieurs autres seigneurs de grand renommée, et estoient à trois lieues près dudit lieu d'Yveri, ou environ. Lesquelz envoyèrent quarante coureurs des plus expers de leur ost et les mieulx montés, pour adviser le contenement de leurs

1. Il y a ici dans le ms. 8346 un blanc, dont Vérard ne tient pas compte.

2. Ivry (Eure). 3. Le 15 août.

ennemis. Lesquelx coureurs, voiant de loing ledit de Bethfort et ses gens en moult belle ordonnance, retournèrent en leur ost; et furent chassés et poursuivis des Anglois. Et eulx venus, dirent ce qu'ilz avoient trouvé et veu. Et adonc, les seigneurs dessusdiz du parti du roy Charles, non véans pour lors leur advantage, retournèrent tout ensamble jusques à Vernuel ou Perche', qui lors tenoit le parti du roy Henri, auxquels ils firent entendant qu'ilz avoient desconfis les Anglois et que leur régent s'estoit sauvé à petite compaignie. Et sur ce propos, ceulx de la ville de Vernoel leur firent ouverture et obéissance, pour et ou nom du roy Charles. Après laquelle reddicion, comme le traictié le contenoit, baillèrent sauf conduict à aucuns Anglois estans léens et les renvoyèrent, à tout leurs baghes', envers le duc de Bethfort.

Gérard de La Pallière estoit capitaine d'Yveri, lequel véant que l'heure estoit venue et passée que son souscours devoit venir, ala devers le duc de Bethfort qui estoit en bataille devant lui pour actendre ses ennemis, et lui présenta les clefz de la forteresse, en lui requérant sauf conduict pour lui en aler selon le contenu du traictié, tant pour lui comme pour ses gens. Lequel lui fut accordé. Et lors ledit Gérault, présent ledit duc, tira unes lectres, lesquelles il lui monstra. << Or voy-je bien que au jour dhui me ont failly dixhuit grans seigneurs du parti du Roy notresire, les

1. Verneuil.

2. A tout leurs bughes (à tout leurs bagues). Vérard lit à tout leurs haches.

quelz m'avoient promis de moy donner souscours'. » Auxquelles lectres estoient attachés leurs seaulx. Et incontinent firent serement audit duc, quatre gentilz hommes des gens dudit Gérault.

Item, après, ledit duc de Bethfort prist conclusion de poursuivir les François qui à ceulx d'Yveri avoient promis de donner souscours, et qui près de là venus estoient, comme dit est. Si envoia le conte de Suffort devant, à tout seize cens combatans, pour les chevaul chier et aviser. Lequel conte ala à Dampville et à Vasseux, et delà à Bretueil ou Perche, à deux lieues près de Vernoel, où estoient lesdiz François, à tout leur puissance. Et ledit duc de Bethfort ala à Evreux, à tout son ost. Auquel lieu, le duc de Suffort leur envoia certain message pour lui faire sçavoir que lesdiz François estoient emprès Vernueil tous ensamble. Et pour ce, iceluy duc de Bethfort se mist à chemin pour y aler, et tant fist qu'il y parvint, à tout ses gens, pour combatre leurs ennemis. Lesquelx, paravant leur venue, avoient eu l'obéyssance de ladicte ville de Vernueil que soloient tenir les Angloix, par ce qu'ilz leur avoient donné à entendre que le dessusdit duc de Bethfort et tous les siens avoient esté desconfis devant Yvri. Et fut ladite bataille par ung jeudi xvi1° jour d'aoust, en la manière comme vous orrez de présent.

1. On voit par cette phrase que nous mettons entre guillemets, qu'il manque quelques mots au manuscrit.

CHAPITRE XX.

Comment le duc de Bethfort poursuivit les François et les combati devant Vernueil.

Or est vérité, si comme vous ay jà dit, que le duc de Bethfort avec ses barons, chevaliers et gens d'armes, estoit, comme dit est, devant Yvri, et là lui furent apportées les nouvelles véritables que ses ennemis se retraioient vers Vernueil ou Perche. Et adonc, pour ce que le jour de la reddicion d'Yveri estoit venu, fist sommer ceulx de dedens qu'ilz acquitassent leur promesse. Lesquelz, non ayans espérance de souscours, firent obéyssance audit de Bethfort, et lui délivrèrent la forteresce, en prenant de lui sauf conduict pour eulx en aler avecques tous leurs biens, sans emmener nulz des prisonniers qu'ils avoient. Et lors commist, le duc, capitaine d'ycelle ville, ung chevalier de Galles renommé en armes, accompaigné de plusieurs souldoyers. Et après les dessusdictes choses acomplies, le propre jour de l'Assumpcion, se parti ledit duc de Bethfort, à tout sa puissance, et se mist à chemin pour poursuivir ses ennemis, et ala logier en une grosse ville en tirant vers le Perche, nommée Damville en Vasseulx'. Et le lendemain, très matin, se desloga en belle et très grande ordonnance et chevaulcha jusques assez près de Vernueil. Auquel lieu et à l'environ estoient logiés les François ses ennemis, lesquelz sachans sa venue, se préparèrent diligemment et mi

1. C'est Damville, chef-lieu de canton de l'Eure.

rent leurs gens en bataille pour assambler à l'encontre d'iceluy duc; et firent seulement une grosse bataille, sans faire avant-garde, et avec ce ordonnèrent les Lombars et aulcuns autres, à demourer à cheval soubz la conduite du Borgne de Cameran, du Ronchin, Pothon et Lahire, pour rompre et envayr leurs ennemis par derrière, ou au travers. Et, en ce faisant, la grosse bataille des François dessusdiz estoit à pied. Pareillement, le dessusdit duc de Bethfort, avec ses gens, descendi à pied et fist mectre ses gens en bataille, en ung ost tant seulement, sans aussi faire avantgarde ne arrière-garde, ne laisser homme à cheval. Et furent mis les archers ou front devant, ayant chascun ung penchon devant eulx aguisé et fiché en terre. Et estoient les plus grans foucz (forces?) desdiz archers vers les deux bous de la bataille en manière de heles', et derrière les hommes d'armes estoient les paiges, les chevaulx et tous les meschans gens non puissans de combatre. Lesquelz chevaulx furent par lesdiz archers lyez tous ensamble par les hateriaux' et par les queues en plusieurs lieux les ungs aux autres, adfin que leurs ennemis de pied ou de cheval ne les peussent surprendre. Et pour les chevaulx et baghes' garder, furent commis de par le duc de Bethfort deux mille archers, adfin que ladicte bataille ne peust estre envaye. Et adonc, de chascune partie, furent fais chevaliers nouveaux en très grant nombre. Après lesquelz, et toutes ces ordonnances dessusdictes faites,

1. En manière d'ailes.

2. Hateriau cou.

3. Bagues, bagages.

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